Alliance Alstom – General Electric : les clés pour comprendre

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Le 21 juin 2014, Alstom et General Electric ont annoncé un accord au terme duquel le groupe américain reprendra une partie de la branche énergie d'Alstom en échange d'un apport de 6,7 milliards d'euros en cash et de la cession de ses activités de signalisation qui viendront renforcer la branche transport d'Alstom.

Retour sur les tenants et les aboutissants de ce dossier.

Alstom est en mauvaise posture stratégique et financière

Alstom est un groupe d’envergure internationale employant 96 000 salariés dans le monde et réalisant plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

C’est l’un des leaders mondiaux dans les domaines des infrastructures de production et de transmission d’électricité ainsi que dans celles du transport ferroviaire.

Pourtant, l’avenir du groupe est incertain en raison d’un positionnement stratégique inadapté dans le secteur de l’énergie et d’une capacité financière limitée.

Alstom en panne dans le secteur de l’énergie

Confronté à une conjoncture économique morose en Europe, avec notamment en 2013 une baisse de la consommation d’électricité pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Alstom a enregistré une chute de son carnet de commandes. Le groupe français subi de plein fouet la concurrence de ses rivaux traditionnels (General Electric, Siemens) mais aussi de nouveaux arrivants de pays en développement (Chine, Inde, Corée) face auxquels il souffre d’un positionnement trop « milieu de gamme » avec des produits pas assez compétitifs.

Trop dépendant des marchés européens en perte de vitesse et ne disposant pas de la taille critique pour s’imposer sur les marchés asiatiques à fort potentiel, Alstom perd du terrain par rapport à ses concurrents et son avenir à moyen terme dans cette activité « énergie », de l’aveu même de son Président-Directeur Général Patrick Kron, ne semble pas assuré. Et ce d’autant plus qu’Alstom n’a pas les moyens financiers nécessaires pour investir dans le recherche et le développement ou pour accompagner les clients partout dans le monde. De plus en plus en effet, ceux-ci exigent des emplois locaux et des transferts de technologie nécessitant des implantations locales couteuses.

Alstom en manque de ressources financières

Le groupe français est déjà fortement endetté avec une dette financière nette (qui correspond aux emprunts financiers moins les disponibilités et placements financiers) de plus de 3 milliards d’euros, en hausse de 29% sur un an, et qui représente désormais près de 60 % de ses capitaux propres. De fait, il pourrait difficilement recourir à de nouveaux emprunts, sauf à voir les agences de notation dégrader une note déjà faible et proche de la catégorie « obligation pourrie ».

Par ailleurs, avec la chute des commandes dans l’activité énergie, le libre cash-flow s’est effondré et le groupe, sur trois des quatre derniers exercices, aura consommé des liquidités : les anciens contrats se devaient d’être honorés (ce qui implique des sorties de trésorerie pour les financer), alors que les commandes se raréfient et que les clients retardent le paiement des avances sur commandes.

Enfin, les actionnaires d’Alstom – Bouygues en tête  avec près de 30 % du capital- n’ont pas les moyens de lui apporter les capitaux nécessaires à son développement.

Un accord qui semble optimal…

L’accord prévoit qu’une fois le rachat par GE du pôle énergie d’Alstom réalisé, le groupe américain s’engage à réinvestir 2,6 milliards d’euros dans trois coentreprises avec Alstom (turbines à vapeur, qui équipent les centrales nucléaires d’EDF, réseaux et énergies renouvelables)

L’accord final prévoit également qu’à compter de début 2015, l’Etat français pourra racheter à Bouygues ou directement sur le marché 20% du capital d’Alstom, ce qui en fera le principal actionnaire. Mais dès à présent et pendant près de deux ans, l’Etat devient le premier actionnaire, en droits de vote, d’Alstom. L’Etat aura également un droit de veto dans le domaine des turbines à vapeur, afin de garantir la souveraineté française dans le domaine nucléaire.

Pour Alstom et General Electric, l’accord trouvé semble optimal :

Pour Alstom, qui se sépare d’une activité qu’il n’avait plus les moyens de développer et pour laquelle, par conséquent, l’avenir paraissait compromis. En échange, il va percevoir quelque 6,7 milliards d’euros de liquidités qu’il pourra employer à rembourser sa dette et procéder à des acquisitions et des investissements dans le secteur porteur des transports ferroviaires sur lequel ses positions sont encore très fortes et qui seront encore renforcées par l’acquisition de la branche signalisation de GE.

Pour General Electric qui, outre le fait qu’il complète opportunément sa présence géographique, renforce ses positions en rachetant les activités gaz et vapeur d’Alstom, acquiert un positionnement mondial dans l’hydraulique et le nucléaire et monte en gamme dans les réseaux électriques.

…Mais qui comporte aussi quelques points d’interrogation

Le rachat par GE des activités énergie d’Alstom se traduira pour 65 000 de ses 93 000 salariés dans le monde par un changement d’employeur. Or, la marge opérationnelle du groupe américain est bien supérieure à celle du groupe français. Il est fort probable dans ce contexte qu’une rationalisation des activités acquises soit opérée par GE, ce qui pourrait se traduire par des réductions d’effectifs et/ou par des cessions à terme des activités les moins rentables.

A ce sujet, le gouvernement français a obtenu des dirigeants de GE l’engagement de créer sur trois ans 1000 emplois industriels nets en France. Toutefois, cet engagement porte sur tout le périmètre des activités de GE et non sur le seul secteur de l’énergie. Autrement dit, GE pourrait très bien supprimer des emplois « Alstom » et en créer d’autres en compensation dans des secteurs dans lesquels il est déjà implanté en France (équipements d’imagerie médicale, moteurs d’avions) et dans lesquels il aurait de toutes façons envisagé de recruter.

Par ailleurs, les coentreprises créées dans l’énergie devraient pouvoir bénéficier de la force de frappe de GE en matière de financement et de réseaux commerciaux. Mais les actifs apportés par ce dernier dans ces « joint ventures » restent limités et l’on ne peut parler à leur sujet de réel partage de compétences puisque GE n’est pas ou peu présent dans les activités industrielles concernées (éolien en mer, hydraulique, vapeur nucléaire). On ne sait donc pas aujourd’hui si ces alliances se révèleront véritablement profitables à Alstom à terme.

Enfin, l’accord conclu entre Bouygues et l’Etat français soulève différentes questions. Ce dernier dispose en effet d’une option d’achat d’une partie de la participation de Bouygues (20 % du capital d’Alstom) à exercer dans les 20 mois suivant la finalisation du rapprochement entre Alstom et GE, à un prix de marché, égal ou supérieur à 35 € (prix moyen auquel Bouygues a acquis ces titres). Autrement dit, Bouygues n’est tenu de vendre ses titres que si le cours atteint ce niveau, très supérieur au cours actuel de 26 €, et l’Etat n’est en aucune façon obligé d’acquérir ces titres. En attendant l’exercice éventuel de cette option, Bouygues a accepté de transmettre immédiatement à l’Etat les droits de vote attachés à ces actions et de soutenir, au titre des droits de vote qui lui restent, la désignation par l’Etat de deux administrateurs d’Alstom. L’Etat, sans même verser un centime, devient le premier actionnaire en droits de vote du groupe et pourra infléchir les décisions stratégiques du groupe; particularité qui, pour Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), « est contraire au principe d’efficacité capitalistique ».