Que recouvre la notion de « prix d’ actifs » ?
Par prix d’actifs, il faut en fait entendre cours boursiers et obligataires. Ce sont donc bien des économistes de la finance de marché qui ont été récompensés par le jury.
Alors que depuis la fin des années 1990 l’instabilité s’est fortement accrue sur les marchés financiers mondiaux avec l’apparition et la répétition de crises financières globalisées de grande ampleur, ce thème revêt une importance particulière ; que ce soit pour les professionnels de l’industrie financière, dont le métier consiste notamment à anticiper les variations des cours des actifs financiers afin d’optimiser leur allocation de portefeuille ; ou pour les banquiers centraux dont l’une des principales missions est d’œuvrer pour la stabilité du système financier. Il est donc essentiel pour ces derniers de comprendre le mode de fixation et de fluctuation des prix des actifs pour pouvoir agir le plus en amont et le plus efficacement possible avant le déclenchement d’une crise financière.
Sur quoi ont porté les travaux des trois lauréats ?
Leurs travaux ont permis de mieux comprendre comment se forment et évoluent les cours des actifs financiers. Toutefois, dans ce domaine, ce ne sont pas les aspects théoriques -sur lesquels Eugène FAMA s’est rendu célèbre avec son hypothèse d’efficience des marchés- qui ont été mis en avant par le jury pour justifier sa décision.
Le jury a au contraire insisté sur les apports empiriques des trois lauréats dans l’analyse des prix des actifs, c’est à dire l’utilisation de bases de données profondes et fiables permettant de tester les modèles théoriques de formation des cours sur les marchés financiers et ainsi de mieux comprendre leur dynamique.
C’est pourquoi L. P. HANSEN figure parmi les lauréats. En effet, contrairement à E. FAMA et R. SHILLER, celui-ci n’a pas développé de thèse sur le fonctionnement des marchés financiers ou le comportements des intervenants sur ces marchés, mais il apparait incontournable dans le domaine de la finance de marché pour avoir mis au point des outils statistiques particulièrement performants ayant permis l’exploitation des informations extrêmement riches contenues dans les bases de données sur les actifs financiers.
E. FAMA est quant à lui un économiste très prolifique. Il a en effet publié plus d’une centaine de livres et d’articles dans des revues académiques, avec un focus particulier sur le fonctionnement des marchés financiers, la fixation du prix des actifs et la finance d’entreprise. Il est plus particulièrement connu pour avoir défini la théorie de l’efficience des marchés, qui postule que les cours des actifs indiquent le juste prix car ceux-ci intègrent toute l’information disponible à un instant donné.Dès lors, les fluctuations des cours des actions ou des obligations s’expliqueraient par l’arrivée d’informations nouvelles- par nature imprévisibles – qui, en modifiant l’appréciation que les investisseurs portent sur la valeur des titres, provoqueraient un ajustement quasi-instantané de leurs prix. es travaux ont très largement influencé des générations d’économistes et de praticiens de la finance. La théorie des marchés efficients a longtemps été considérée comme une référence incontournable en matière de finance de marché. Ce modèle a toutefois été remis en cause avec l’apparition, à partir de la fin des années 1990, d’une forte instabilité et la formation puis l’éclatement de bulles spéculatives sur les marchés financiers, phénomènes récurrents qui manifestement ne pouvaient s’expliquer par un comportement rationnel d’agents économiques intervenant sur des marchés efficients.
R. SHILLER a une vision très différente du fonctionnement des marchés financiers. Tenant de l’école de la finance comportementale, il considère que les émotions et plus généralement la nature humaine sont des paramètres importants à prendre en compte dans l’analyse économique, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse d’un comportement purement rationnel des agents, qui se situe à la base de la théorie défendue par E. FAMA.
Les apports de R. SHILLER dans le domaine de la formation des prix des actifs sont principalement de deux ordres :
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D’une part, en analysant au début des années 1980 l’évolution du marché boursier américain sur longue période, il a le premier mis en évidence le fait que les fluctuations de cours étaient beaucoup trop volatiles pour pouvoir être expliquées par un comportement rationnel des investisseurs.
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D’autre part, en recourant à l’utilisation de sondages menés auprès des professionnels de la finance, il a pu collecter et exploiter des informations qui lui ont permis d’étayer et de valider les thèses de l’école de la finance comportementale. Les résultats de ses travaux ont ainsi largement contribué à accréditer l’hypothèse selon laquelle les décisions d’investissement sur les marchés financiers étaient majoritairement dictées par des considérations d’ordre émotionnel plutôt que par des comportements rationnels.
Les travaux de R. SHILLER sur le prix des actifs, très largement fondés sur l’analyse rigoureuse de données fiables, reposent donc essentiellement sur une méthode empirique qui lui a permis de mettre en évidence les lacunes de la théorie financière moderne et de remettre les aspects comportementaux des acteurs économiques au cœur du débat. C’est d’ailleurs sans doute ce dernier aspect qui explique qu’il ait pu repérer la formation de bulles spéculatives sur les marchés boursier et immobilier américains et anticiper leur éclatement en 2000 pour le premier et en 2007 pour le second.
R. SHILLER considère par ailleurs que si la finance reste un des outils les plus puissants pour accroître le bien-être général, comme l’illustrent les innovations majeures qu’elle a apportées (notamment l’assurance, les prêts hypothécaires ou les comptes d’épargne), elle se doit de mieux prendre en compte la réalité de la nature humaine. Ainsi, dans le but de limiter les prises de risque excessives et les formations de bulles spéculatives, il préconise d’améliorer l’information financière et, plus généralement, le financement par les gouvernements de l’éducation financière des citoyens. Selon lui en effet, ces derniers ne bénéficient que d’avis biaisés fournis par les intermédiaires financiers qui les conduisent à adopter des comportements moutonniers comme la crise immobilière de 2007 a pu le mettre en exergue (le boom immobilier était notamment entretenu par l’idée que la valeur croissante des prix était appelée à perdurer et que les ménages avaient intérêt à investir pour se prémunir d’une hausse future).
Pourquoi récompenser conjointement les travaux des trois universitaires si différents, voire antagonistes ?
La raison est que chacun pris isolément a contribué à l’émergence du modèle de référence qui fait actuellement consensus en matière de fixation et de variation du prix des actifs financiers, et qui repose sur l’idée que les fluctuations de cours sont déterminées à la fois par une prise de décision rationnelle reposant sur l’analyse de toute nouvelle information (apport d’E. FAMA) et par des comportements à l’égard de la prise de risque propres à chaque investisseur (apport de R. SHILLER). Dans la mesure où ce modèle de référence dans la détermination des prix d’actifs n’aurait pas pu être validé sans les travaux empiriques menés avec les outils statistiques extrêmement sophistiqués développés par L. P. HANSEN, il apparait logique que ce dernier ait été récompensé également.