Il y a encore quelques semaines, la transparence politique financière était absente de tous les débats. Seuls quelques spécialistes s’intéresseraient à cette thématique… Oui mais voilà : c’était sans compter sur la révélation de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du budget et désormais ancien parlementaire, le 2 avril 2013, de la détention d’un compte en Suisse. Cette annonce, largement relayée par les médias, a alors suscité bon nombre d’interrogations : faut-il instaurer l’obligation pour tous les ministres et élus de la République de déclarer leur patrimoine ou/et leurs revenus à chaque début de mandat ? Ces données doivent-elles être rendues publiques ? Pourquoi la France a-t-elle longtemps été une exception en matière de transparence financière au sein de la communauté européenne ? Enfin, pourquoi nourrit-elle autant les débats ?
La déclaration de patrimoine des ministres français…
Suite à la révélation de « l’affaire Cahuzac », le président Hollande, lors d’une annonce télévisée, a décidé de mettre en place un certain nombre de dispositions destinées à lutter contre la délinquance financière et de renforcer la transparence. Dès le lundi 15 avril, l’ensemble des membres du gouvernement ont ainsi rendu public leur patrimoine.
Cette mesure devrait s’élargir aux parlementaires, aux grands exécutifs locaux et aux dirigeants des grandes administrations dans les mois à venir.
…publique ou privée ?
Contrairement à une idée reçue, les ministres, et plus généralement l’ensemble des élus et dirigeants d’organismes publics, doivent fournir à la commission pour la transparence financière de la vie politique leur situation patrimoniale en début et en fin de mandat et ce depuis le 11 mars 1988. Cette commission est chargée de contrôler l’évolution patrimoniale des élus « afin de vérifier l’absence de tout enrichissement anormal ».
Cependant, cette commission a l’interdiction de publier ou de divulguer à une autre administration les déclarations de patrimoine des intéressés. En effet, la loi stipule que « la commission assure le caractère confidentiel des déclarations reçues ainsi que des observations formulées, le cas échéant, par les déclarants sur l’évolution de leur patrimoine ». Sur ce point, une étude comparative internationale en matière de transparence financière de la vie politique réalisée par le GRECO en 2009 déplorait les limites de l’action de la commission qui « doit se contenter exclusivement des informations fournies par les déclarants et ne peut exiger leur communication […] les déclarants ne sont pas tenus de déclarer l’ensemble de leurs mandats et fonctions, ni leurs revenus ».
Autrement dit, la récente mesure décidée par le président Hollande brise cette disposition en rendant accessible à tous les déclarations de patrimoine (pas encore celles des revenus) des ministres. Pourquoi ?
L’exception française
Au-delà de l’affaire Cahuzac, la France a longtemps été l’un des seuls pays de la communauté européenne avec la Slovénie, la Grèce et la Belgique à ne pas rendre publique la situation financière de ses élus. En Slovénie, les membres du gouvernement, les élus locaux et les fonctionnaires sont tenus de déposer auprès du dispositif de contrôle des conflits d’intérêt, leurs déclarations de patrimoine et de revenus. En Grèce et en Belgique, seule la déclaration de patrimoine est exigée.
En matière de transparence financière, les élus du Nord de l’Europe (Allemands, Lithuaniens, Hollandais, Norvégiens) font office d’exemple. En effet, dans la plupart de ces pays, la loi leur impose de rendre publiques leurs déclarations de patrimoine, voire de revenus. En Norvège notamment, cette obligation s’applique à l’ensemble des contribuables, à l’exception de la famille royale.
Le Danemark est un cas particulier. Il ne dispose pas de dispositif législatif en matière de transparence politique financière. En effet, la grande majorité des élus livrent publiquement et spontanément leur situation financière conformément « à une pratique perçue comme une norme sociale », indique une étude réalisée par la commission pour la transparence financière de la vie politique publiée en décembre 2011.
Le rapport à l’argent
En France, la plupart des sociologues et autres spécialistes interrogés sur la thématique du rapport à l’argent s’accordent sur un état de fait : « Les Français n’aiment pas parler d’argent ». En effet, selon Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Science-po, « le problème n’est pas le rapport à l’argent mais le rapport à la parole sur l’argent » (Libération, 17 avril 2013).Un tabou qui reste largement ancré dans la conscience collective française pour des raisons diverses, notamment historiques, sociologiques et culturelles : « tous les Français, à deux ou trois génération près viennent du monde paysan »,indique-t-elle en évoquant ainsi « le silence complet sur la question (d’argent, ndlr) de peur de se le faire voler ou de susciter de la convoitise […] deuxième élément : l’influence de la religion catholique […] à l’origine tournée vers les pauvres ».
Selon certains observateurs, ces différents éléments expliqueraient en partie pourquoi la plupart des enquêtes d’opinion révèlent que deux Français sur trois considèrent les élus et dirigeants politiques comme « corrompus » ou « exposés à la corruption ». Sans nul doute, les initiatives politiques prises récemment en la matière devraient faire baisser ces statistiques. Reste néanmoins les facteurs sociologiques et culturels profondément ancrés en France.