Vente de SFR par Vivendi : les points essentiels

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Jusqu'en 2013, Vivendi était présent dans quatre domaines : les télécoms (SFR, Maroc Télécoms, GVT), la télévision payante (Canal +), la musique (Universal Music) et les jeux vidéos (Activision Blizzard). De ce fait, il était assimilé à un conglomérat pénalisé en bourse en raison de l'absence de cohérence entre ses divers métiers et de l'importance de son endettement.

C’est pourquoi la direction du groupe a entamé un repositionnement stratégique visant à recentrer ses activités sur les métiers de l’audiovisuel (télévision payante, internet) et les contenus (musique, production cinématographique).

En 2013, le groupe avait ainsi vendu Maroc Telecom et Activision Blizzard pour plus de 10 milliards d’euros, ce qui lui avait permis de réduire son endettement net et de combler une partie de la décote dont le titre souffrait en bourse.

La vente de SFR, dont Vivendi détient la totalité du capital depuis 2011, s’inscrit dans cette perspective. Il s’agit aussi de redonner des marges de manœuvre au groupe pour lui permettre de faire des acquisitions dans les contenus en Europe et aux Etats-Unis et de devenir l’un des tout premiers leaders européens, voire mondiaux, dans ce domaine.

Part de marche de la telephonie en 2013

L’offre de Numéricable

Numéricable est un câblo-opérateur présent sur les marchés de la télévision payante, la fourniture d’accès à Internet, le téléphone fixe et le téléphone mobile (en tant qu’opérateur virtuel). Ses parts de marché sont assez restreintes dans l’ensemble de ses métiers (7 % dans le téléphone fixe, à peine 1 % dans le mobile).

Numéricable a d’abord proposé à Vivendi 10,9 milliards d’euros en numéraire et 32 % du capital de la nouvelle entité qui serait issue de la fusion entre SFR et Numéricable, puis a relevé son offre en numéraire à 11,75 milliards suite à une première surenchère de Bouygues (11,3 milliards après une première offre de 10,5 milliards).

L’ensemble Numéricable-SFR deviendrait le numéro 2 du téléphone mobile et du fixe en France avec respectivement 21,5 millions d’abonnés (soit 32 % de parts de marché) et 7 millions de clients (28 % de parts de marché).

La fusion des deux entités permettrait de créer un grand réseau intégré fixe/mobile bénéficiant de la complémentarité de chacune des deux entreprises : le réseau câblé de Numéricable (Numéricable est propriétaire de la quasi-totalité du réseau câblé existant en France) et la puissance commerciale de SFR. L’idée est notamment d’interconnecter les antennes-relais de SFR et le réseau câblé pour améliorer sensiblement les débits et d’interconnecter également le réseau fixe ADSL de SFR et celui du câble avec pour objectif de proposer une offre combinée fixe/mobile de haute performance en termes de débits et à coût compétitif. Le rapprochement devrait aussi générer d’importantes synergies (optimisation des dépenses marketing et d’informatique, économies dans le téléphone fixe en raison de la migration des abonnés SFR vers le réseau Numéricable ce qui permettra d’économiser près de 200 millions d’euros de loyer à verser à Orange).

L’offre de Bouygues Télécom

Bouygues Télécom est présent à la fois dans le téléphone fixe (3,5 % de parts de marché), la fourniture d’accès Internet (8 millions de clients, soit 8 % de parts de marché combinées avec l’offre de téléphone fixe) et le téléphone mobile (18 % de parts de marché).

Depuis l’arrivée de Free sur le marché du mobile en 2012, le groupe a perdu des parts de marché et a  vu son cash-flow libre se contracter sensiblement pour passer à 25 millions d’euros en 2013 contre 403 millions en 2010. De fait, en perdant des parts de marché, Bouygues Télécom n’a plus la taille critique nécessaire pour rentabiliser l’investissement consenti dans son réseau.

La fusion avec SFR permettrait à Bouygues de se positionner en tant que leader du marché du mobile, avec 50 % de parts de marché (32,5 millions de clients) et numéro deux dans l’Internet fixe avec 25 % de parts de marché et 7,2 millions de clients. La fusion permettrait de réaliser 10 milliards d’euros de synergies, dont 80 % au cours des 3 premières années.

L’offre de Bouygues du 6 mars 2014 se montait à 10,5 milliards d’euros en numéraire. Bouygues proposait également 46 % du capital de la nouvelle entité issue de la fusion Bouygues Télécom/SFR, entité qui serait par la suite introduite en bourse. Bouygues a relevé son offre à deux reprises :

  • Le 12 mars 2014, avant la décision de Vivendi d’entamer des négociations exclusives avec Numéricable, l’offre est passée à 11,3 milliards d’euros en numéraire et à 43 % du capital de la nouvelle entité. Parallèlement, Bouygues Télécom et Free sont parvenus à un accord au terme duquel le premier s’engage à céder au second son réseau mobile ainsi que 35 à 40 mégahertz de fréquence pour 1,8 milliard d’euros. Cet accord permet à Bouygues d’augmenter son offre en numéraire sur SFR et de réduire le risque de veto qui  pourrait être posé par le régulateur de télécommunication sur la fusion des numéros deux (SFR) et trois (Bouygues Télécom) du téléphone mobile.

  • Le 20 mars 2014, après la décision de Vivendi d’entamer des négociations exclusives avec Numéricable, l’offre a été portée à 13,15 milliards d’euros en numéraire et à 21,5 % du capital de la nouvelle entité. L’amélioration de l’offre de Bouygues Télécom est rendue possible grâce à l’engagement de divers gros investisseurs, dont la Caisse de Dépôts et Consignations, JC Decaux et la famille Pinault.

Les raisons du choix de Vivendi d’entamer des négociations exclusives avec Numéricable

Le conseil de surveillance de Vivendi a examiné les deux offres en présence pour le rachat de SFR au regard de cinq critères :

  1. La valorisation de SFR. Sur ce point, les deux offres concurrentes se sont révélées identiques, avec une valorisation avoisinant les 15 milliards d’euros avant synergies, et environ 19 milliards d’euros après.

  2. L’offre en numéraire. Celle de Numéricable était supérieure de 450 millions d’euros.

  3. Le risque d’exécution. Le projet de fusion de Bouygues est apparu plus complexe que celui de Numéricable car il repose sur l’intégration de deux gros opérateurs du mobile exerçant les mêmes métiers. Ceci suppose que la réalisation de synergies passe par une réorganisation complète des agences et des équipes, difficile à mettre en place et longue à produire ses effets. Sans compter que la pression concurrentielle forte dans ce secteur est susceptible de réduire les gains escomptés des synergies.

  4. La liquidité des titres détenus sur la nouvelle entité cotée. L’offre de Bouygues s’est révélée moins intéressante pour Vivendi que celle de Numéricable car la nouvelle entité issue de la fusion avec SFR aurait dû être introduite en bourse, contrairement à Numéricable qui est déjà cotée. Ainsi, la participation minoritaire de Vivendi dans le projet de Bouygues se serait révélée moins « liquide », avec un temps de détention plus long avant de pouvoir la céder sur le marché (ce qui engendre un risque de baisse de la valeur de cette participation).

  5. Le projet industriel. Celui proposé par Numéricable, fondé sur la complémentarité des réseaux fixe et mobile avec l’objectif de proposer une offre mixte renforcée par la perspective du très haut débit, a paru plus porteur et davantage générateur de valeur que celui de Bouygues qui ne repose que sur la création d’un leader du mobile lancé dans la course à la taille critique avec comme horizon une concurrence frontale avec les deux autres opérateurs sur le marché (Orange et Free).

Sur l’ensemble de ces cinq critères, l’offre de Numéricable est donc apparue plus intéressante que celle de Bouygues Télécom. Toutefois, à l’issue de la période de trois semaines de négociations exclusives, le conseil de surveillance de Vivendi aura la possibilité de réexaminer les offres en présence, et donc la surenchère proposée par Bouygues, avant de prendre une décision définitive.

La position du ministre du redressement productif

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, s’est publiquement déclaré en faveur de l’offre faite par Bouygues Télécom avant que Vivendi ne prenne sa décision d’ouvrir des négociations exclusives avec Numéricable.

Pour le ministre du redressement productif, l’offre de Bouygues permettrait de réduire à trois le nombre d’opérateurs de téléphonie, ce qui favoriserait -via une réduction de l’intensité concurrentielle- un accroissement de la marge bénéficiaire des opérateurs restants et donc leur capacité à investir dans le mobile de quatrième génération et la fibre. Revenir à trois opérateurs via la fusion Bouygues/SFR devrait également permettre, selon lui, de donner les meilleures garanties pour la préservation de l’emploi dans le secteur des télécoms en raison du fait qu’elle éviterait la sortie du marché à terme du quatrième opérateur de téléphonie mobile (Bouygues ou Free) qui n’aurait pas pu acquérir suffisamment de  parts de marché.

En outre, Arnaud Montebourg souhaite que le rachat de SFR soit effectué par une entreprise engagée en matière de patriotisme économique. Cela passerait par un siège social établi en France, une cotation de la future entité à la bourse de Paris, des achats d’équipements de téléphonie auprès du français Alcatel, une relocalisation des call-centers en France et l’engagement de maintenir l’activité recherche et développement sur le territoire national.