Selon les dirigeants réunis à Washington le 15 novembre 2008 les objectifs des réformes doivent être les suivants (Déclaration du sommet du G20) :
« Les régulateurs doivent faire en sorte que leurs actions favorisent la discipline des marchés, soient exemptes d’effets potentiellement négatifs sur d’autres pays, y compris des arbitrages en matière de régulation, et soutiennent la concurrence, le dynamisme et l’innovation sur les marchés. Les institutions financières doivent également assumer leur part de responsabilité dans la crise et jouer leur rôle pour surmonter celle-ci, notamment en reconnaissant les pertes, en améliorant la transparence et en renforçant leur gouvernance et leur pratique en matière de gestion des risques ».
Nous avons classé les chantiers autour de quelques grandes questions qui ont été diagnostiquées comme autant de causes essentielles de la crise. Elles devraient être au cœur de la réunion du G20 le 2 avril 2009 à Londres.
Atténuer la pro-cyclicité des instruments et des politiques de régulation
La régulation financière actuelle est dominée par une logique « microprudentielle » qui vise à assurer la sécurité des institutions financières prises une par une. C’est tout le sens des dispositifs prudentiels (système de Bâle II) qui vise à appréhender les risques des crédits bancaires et à encadrer les établissements bancaires par des exigences de capitaux et de fonds propres minimum. Le système n’a pas bien fonctionné.
La pro-cyclicité (c’est-à-dire la tendance à mettre d’autant plus de charbon dans la machine qu’elle a déjà tendance à chauffer et à réduire d’autant plus son alimentation en carburant qu’elle ralentit) est une tendance intrinsèque au fonctionnement du système bancaire et financier. Elle a été aggravée au lieu d’être atténuée d’une part sous l’effet de la réglementation prudentielle et comptable et d’autre part du fait des politiques des banques centrales.
Puisque les exigences en capital imposées aux banques sont « invariantes au cours du cycle », explique l’économiste Jean Tirole, celles-ci sont donc incitées à augmenter leur volume d’actifs en période favorable et à les diminuer lors de récessions.
« La comptabilité en juste valeur ou valeur de marché (“fair value accounting”, “mark-to-market”) force les intermédiaires financiers à reconnaître les dépréciations de leurs actifs lorsqu’une valeur de marché soit est directement disponible, soit peut être reconstituée à partir d’autres prix de marché. Face à une chute des prix de leurs actifs, les intermédiaires financiers, en manque de capital, ont le choix entre :
a) rétablir leurs fonds propres en procédant à une augmentation de capital,
b) diminuer la taille de leur bilan en revendant des titres plus ou moins liquides,
et c) diminuer la taille de leur bilan en arrêtant de prêter ».
(Jean Tirole, « Leçons d’une crise », Notes TSE n°1, décembre 2008)
Selon les économistes Michel Aglietta et Laurence Scialom, les banques centrales doivent déduire de la crise financière qu’elles n’ont pas seulement une mission de contrôle de l’inflation. Elles devraient s’occuper de la stabilité financière autant que de la stabilité des prix. Et pour ce faire, les deux économistes notifient l’insuffisance du taux d’intérêt pour répondre aux deux objectifs et plébiscitent un instrument macroprudentiel.
« Les banques centrales devraient étendre leur surveillance à l’ensemble des opérations risquées, crédit traditionnel ou opérations hors bilan […] Elles auraient ainsi une mesure globale du levier d’endettement et pourraient indexer une provision en capital pour risque systémique sur la progression de ce levier au cours de la phase euphorique au-delà d’un niveau moyen défini à travers plusieurs cycles. […] Un tel dispositif aurait l’avantage de constituer un frein à l’emballement du crédit dans la période pré-crise et de renforcer la capacité d’absorption des chocs financiers en période de stress. En outre, les banques centrales ne devraient pas se priver d’utiliser l’imposition de réserves obligatoires marginales sur des catégories de crédit dont la progression dérape manifestement ».
(Michel Aglietta et Laurence Scialom, « Les nouvelles régulations financières », Libération, 28 octobre 2008)
Garantir que tous les marchés, produits et acteurs financiers soient soumis à une forme ou une autre de régulation
Trop d’acteurs et de produits financiers ont échappé à la régulation alors que les inter- relations entre les marchés et entre les acteurs sont de plus en plus fortes. Certains d’entre eux mobilisaient des effets de levier souvent considérables. Ils étaient donc porteurs de risques d’effet domino considérables comme la crise l’a montré.
De ce fait, Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France (de 2003 à 2015), insiste sur l’utilité d’une régulation des entités ayant un rôle systémique. Il aborde notamment :
- « certains marchés de gré à gré, comme le marché interbancaire ou le marché des dérivés de crédit » ;
- les agences de notation qui ont mal joué leur rôle d’informatrices sur les marchés durant la crise ;
- et de certaines institutions financières telles que les hedge funds.
Christian Noyer avait en 2008 l’idée d’une régulation des acteurs financiers à plusieurs étages :
L’enregistrement de l’entité qui s’engagerait « à respecter un code de bonnes pratiques » ;
Des obligations de transparence sur les activités et les comptes, notamment pour les « fonds spéculatifs et, plus généralement, les institutions poursuivant des stratégies reposant essentiellement sur l’effet de levier ou la prise de risque» ;
Et finalement, « une réglementation plus contraignante portant sur les activités et la prise de risque [qui] s’accompagnerait aussi d’une supervision plus serrée ».
(Intervention de Christian Noyer à l’Université Paris-Dauphine, « Une nouvelle régulation pour une nouvelle finance », le 11 décembre 2008)
D’autres analyses soulignent l’importance de la question des places « off shore » (paradis fiscaux et réglementaires). Les dirigeants du G20 ont ainsi appelé à « prendre des mesures de protection contre les risques financiers illicites issus de juridictions non coopératives et en promouvant l’échange d’informations, notamment en ce qui concerne les juridictions qui ne se conforment pas encore aux normes internationales en matière de secret bancaire et de transparence ». Selon certains, comme l’ancien banquier Jean Peyrelevade, il conviendrait en fait de supprimer les paradis fiscaux.
Comment ce contrôle va–t-il être organisé ?
Une réforme de la supervision des activités financières en France est actuellement en préparation. Elle est discutée sur la base notamment du rapport de la Mission de réflexion et de propositions sur l’organisation et le fonctionnement de la supervision des activités financières en France (Rapport de M. Bruno Deletré, janvier 2009).
Deux options sont possibles : soit regrouper tout ce qui relève de la commercialisation des produits – qu’il s’agisse de crédit, d’épargne ou d’assurance – sous la responsabilité d’une autorité unique. Il s’agirait d’élargir les missions de l’Autorité des marchés financiers, aujourd’hui responsable pour les seuls produits d’épargne financière. Cela suppose un renforcement de ses moyens et une articulation avec ceux de la Banque de France et du ministère de l’Économie et des Finances (DGCCRF).
Soit la nouvelle autorité de supervision qui regroupera l’Acam et la Commission bancaire contrôlera la commercialisation du crédit et de l’assurance et l’AMF contrôlera celle des produits de l’épargne financière. Inconvénient de la formule : Des produits d’assurance comme l’assurance vie ou l’assurance retraite sont en réalité des produits d’épargne financière.
Modifier la gouvernance des banques
Un autre chantier concerne la structure de rémunération dans la finance qui fait aller dans le sens de la prise de risque excessif et de celui de l’enrichissement personnel sans souci des conséquences pour l’entreprise. La gouvernance de l’entreprise bancaire est donc également un sujet de débat.
Afin d’échapper aux risques d’arbitrage réglementaire et compte tenu de la dimension des principaux acteurs bancaires et financiers européens, le niveau pertinent de la réforme en la matière pourrait être le niveau européen. Le commissaire européen M. Mc Creevy en charge du marché intérieur et des services financiers semble vouloir traiter la question :
« La crise a montré que les managers détenaient un pouvoir excessif dont ils ont fait un mauvais usage. Les bonus étaient établis sur la base de revenus tirés de la gestion d’actifs sans considérer les coûts que cette gestion pouvait entraîner par la suite… Il faut réfléchir à des modifications de la gouvernance qui permette de renforcer le rôle du mangement non exécutif et de celui des actionnaires et de donner la priorité à la valeur à long terme des actions plutôt qu’aux paiements de bonus à court terme ». (Discours devant l’association des journalistes européens, 8 Décembre 2008)
Renforcer l’architecture de la régulation financière internationale
La déclaration de Washington privilégie nettement le niveau national de la régulation financière. Mais elle inscrit sur la feuille de route d’une part le renforcement de la coopération entre régulateurs nationaux et d’autre part la nécessité de réformer les institutions financières internationales, en intégrant et en donnant plus de poids aux« économies émergentes et en développement, y compris les pays les plus pauvres.
« Les régulateurs doivent renforcer leur coordination et leur coopération dans tous les secteurs des marches financiers, notamment les flux de capitaux transfrontaliers. Le renforcement de la coopération en matière de prévention, de gestion et de règlement des crises, doit être une priorité pour les régulateurs et les autres autorités compétentes » (Déclaration du sommet du G20, Washington, le 15 novembre 2008).
Changement général ?
Au-delà de la réforme de régulation de la sphère financière et de celles des régulateurs intervenant dans ce secteur, le débat s’ouvre également sur un changement plus global. Ainsi le gouverneur de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet, s’est interrogé le 9 janvier 2009 sur le besoin d’un « changement de paradigme pour le système financier mondial » (le terme paradigme est utilisé pour décrire un changement radical dans la manière de penser les choses).
« Bien entendu, il faudra prendre garde à ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » en remettant en cause l’économie de marché dans laquelle ce système s’est développé. Elle seule, en effet, à ce jour, s’est montrée capable d’apporter une prospérité durable dans le monde. Aucune autre forme d’organisation de l’économie ne permet d’atteindre un tel niveau d’efficience. Toutefois,…. Nous ne pouvons tolérer les faiblesses qui sont apparues au grand jour depuis août 2007 et, plus encore, depuis la mi-septembre 2008. Nous devons tirer tous les enseignements, sans complaisance, de la situation actuelle » (Jean-Claude Trichet, 9 janvier 2009).
Jean-Claude Trichet imagine un nouveau paradigme reposant sur trois piliers :
- la soutenabilité, associée à la notion de long terme ;
- la résilience face aux chocs, c’est-à-dire à la capacité à y résister et à retrouver sa structure initiale ;
- l’approche systémique.
Le système financier mondial actuel doit reposer sur le bon fonctionnement d’un très grand nombre de facteurs, parmi lesquels : le contrôle prudentiel, les règles comptables, la qualité des audits, la gestion de la liquidité, la gestion des risques, l’évaluation des crédits, etc. » (Jean-Claude Trichet, 9 janvier 2009).
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