Trois questions sur la spéculation financière

la finance pour tous

Cette interview a été réalisée en 2010. Les propos tenus doivent donc être considérés en se plaçant dans le contexte de l’époque.

Dominique Plihon, professeur d’économie financière à l’Université Paris XIII définit pour l’IEFP ce qu’est la spéculation financière et explique son rôle dans la crise grecque.

Qu’est-ce que la spéculation financière ?

 

La spéculation est un comportement consistant à gagner de l’argent en achetant (ou en vendant) des marchandises des actifs financiers ou des devises avec l’intention de les revendre (ou de les racheter) à une date ultérieure, en bénéficiant d’une évolution favorable du prix de ces marchandises ou de ces actifs.

Utile et critiquable

La spéculation est utile car il y a besoin de gens qui acceptent d’être la contrepartie d’acteurs économiques qui pour ont besoin « de se couvrir » c’est-à-dire de se protéger contre l’évolution des prix de marchandises, d’actifs ou de devises. La couverture est une bonne gestion, nécessaire à l’activité de nombreuses entreprises. Mais elle n’est pas possible sans spéculateurs qui « prennent le risque ».

La spéculation est critiquée pour deux principales raisons :

  • pour des raisons morales (il s’agit d’une activité non productive, qui consiste à gagner de l’argent « en dormant »)

  • parce que la spéculation peut contribuer à l’instabilité des marchés ou à des crises graves comme la crise actuelle sur la dette publique grecque ou sur l’euro.

Contenir la spéculation

Au total, si on admet que les marchés financiers doivent exister, il faut des spéculateurs, mais leur poids doit être contenu dans des proportions raisonnables.

A l’heure actuelle le poids de la spéculation par rapport à la production et aux transactions réelles est trop élevé. Cela pose la question de la régulation des marchés pour réduire la spéculation à des proportions raisonnables.

La spéculation n’est pas toujours déstabilisante. En période de stabilité relative, la spéculation sur les différents marchés peut être plutôt stabilisante. Mais en période de défiance plus importante, l’action des spéculateurs a un effet cumulatif déstabilisant et peut entrainer une vraie crise sur une devise ou un autre marché.

L’objectif n’est donc pas de supprimer la spéculation mais de faire en sorte qu’elle soit la moins déstabilisante possible.

Quel est le rôle de la spéculation dans la crise grecque ?

Les spéculateurs choisissent le « maillon faible », c’est à dire la Grèce, qui a la dette publique qui augmente le plus vite et qui l’a mal gérée, et le système européen de politique économique de la zone Euro qui n’est pas en mesure d’aider collectivement un pays en difficulté.

Les spéculateurs sont principalement d’une part des fonds spéculatifs comme celui de George Soros qui s’était déjà illustré dans la spéculation contre la Livre Sterling en 1992 qui avait abouti à la sortie de celle-ci du Système Monétaire Européen et d’autre part des grandes banques d’investissement comme Goldman Sachs qui agit de manière tout à fait répréhensible (il y a d’ailleurs des actions judiciaires contre elle).

Elle a d’abord aidé Grèce à camoufler une partie de sa dette et a pu ensuite utiliser l’information qu’elle avait sur la situation de la dette publique de la Grèce pour spéculer contre elle.

Les CDS (Credit Default Swaps) ont été massivement utilisés par les spéculateurs. Il s’agit d’une sorte d’assurance contre l’insolvabilité d’un débiteur. En soi ce produit peut être considéré comme utile. Mais il y a une grande différence avec une assurance. Vous ne pouvez pas assurer une maison que vous ne possédez pas. Dans le cas des CDS si. Vous pouvez avoir des CDS sur des risques de défaillances d’un débiteur sans être au départ son créancier.

La spéculation utilisant les CDS consiste en quelque sorte à acheter une assurance sur une maison et à y mettre le feu pour pouvoir toucher l’assurance. Les spéculateurs ont créé une situation de tension par le simple fait d’acheter massivement des CDS sur la dette grecque et ils en ont tiré des profits.

La spéculation a aussi pour effet d’amplifier les déséquilibres existant au départ. Elle engendre une défiance sur la dette grecque qui oblige le gouvernement grec à prendre des mesures ayant un coût économique et social plus élevé que ce qui aurait été nécessaire.

Quelles mesures prendre ?

Dans le cas de la crise grecque les mesures à prendre devraient se situer au niveau de l’organisation des marchés d’une part et au niveau du fonctionnement de l’Union économique européenne d’autre part.

  • S’agissant des marchés il faut prendre des mesures pour casser la spéculation.En interdisant que les opérations puissent s’opérer sur des marchés de gré à gré où les transactions se passent entre deux acteurs sans contrôle, en toute opacité, et en imposant qu’elles se fassent exclusivement sur des marchés organisés.En interdisant les ventes à découvert où la vente à découvert à nu (ou trading nu) qui constituent le cœur de la spéculation déstabilisante.

  • S’agissant du fonctionnement de l’Union économique et monétaire européenne, le maitre mot pourrait être celui de coopération. Des États conduisent des politiques économiques que l’on peut considérer comme non coopératives. La Grèce est loin d’être seule en cause. L’Allemagne conduit depuis des années une politique de dumping social notamment par l’application de la TVA sociale qui permet aux exportations allemandes de ne pas supporter de charges sociales. Les États devraient mener des politiques plus coopératives. La faille de l’Euro est qu’il n’y a pas de politique budgétaire et fiscale commune. Le budget européen, qui ne représente que 1 % du PIB européen, ne permet pas d’en conduire alors qu’il faudrait pouvoir organiser des transferts vers les pays en difficulté afin d’homogénéiser les conditions de la croissance en Europe.

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