Les indices phares de toutes les bourses des pays occidentaux sauf le Nikkei de la bourse de Tokyo affichent en cette fin d’année 2009 des remontées d’environ 50 % par rapport au point bas touché en mars dernier. Même les difficultés rencontrées à Dubaï ne les a pas fait replonger durablement. Toutefois, on est encore de 25 % (à New York et à Londres) à 40 % (Paris et Francfort) en dessous des sommets atteints à l’été 2007 juste avant le déclenchement de la crise des subprimes.
Tout le monde s’accorde sur les raisons de la reprise (ce que les spécialistes appellent un « rallye » de hausse) : les liquidités extrêmement abondantes et très peu coûteuses émises par les banques centrales, la stabilisation économique et même une reprise de la croissance depuis le troisième trimestre 2009, les résultats financiers positifs affichés par les grandes entreprises cotées et notamment par celles du secteur financier.
Mais les avis divergent entre ceux qui considèrent que, loin d’être montés trop vite, les cours de la bourse restent plutôt inférieurs au « juste prix des actions » et ceux qui affirment qu’une bulle est déjà en train de se reconstituer. L’opposition des diagnostics porte aussi sur les indicateurs utilisés.
Explications.
Encore bas, au nom du « PER »
La valeur d’un actif correspond à la somme actualisée des flux de revenus que rapportera cet actif. Dans le cas d’une action, il s’agit de la somme des bénéfices futurs réalisés par l’entreprise. Il y a formation de bulle lorsque les prix des actions dépassent durablement cette valeur, appelée souvent « valeur fondamentale ». Mais comment la connaître ou du moins l’estimer, alors qu’il s’agit de prévisions ?
Un indicateur souvent utilisé est le PER (en anglais, Price Earning Ratio) qui mesure le rapport entre le cours de l’action d’une entreprise ou d’un groupe à la bourse et le bénéfice par action après impôt de cette entreprise. L’inverse du PER (bénéfice sur cours de l’action) mesure une sorte de rendement implicite vu le niveau de cours atteint : par exemple un PER de 15 correspond à un rendement implicite de l’action de 1/15= 6,666 %. On dispose ainsi d’un instrument de comparaison facile avec les rendements affichés des placements dans d’autres types d’actifs (livrets, obligations, OPCVM).
Sur la base de cet indicateur, l’économiste Marc Touati, de la société de gestion « Global Equities » considère que les bourses n’ont pas fini de manger leur pain blanc. En effet, le niveau actuel des indices phares des différentes places correspondent à des PER faibles rapportés aux bénéfices attendus pour 2010 et 2011 (de 10 à 12 selon les places) alors que par exemple, le PER moyen du CAC 40 des 20 dernières années a été de 23. Conclusion de Marc Touati, le niveau atteint par les bourses est encore largement sous-évalué et, sans même se caler sur ce niveau moyen en prenant les hypothèses « prudentes » d’un PER de 15 et d’une hausse des bénéfices de 15 % en 2010 et 2111, le juste prix du CAC 40 serait de 4500 points soit 17 % de plus qu’aujourd’hui, celui de l’indice DJ Euro Stoxx 50 devrait être de 3200 points et non de 2900 et de Dow Jones devrait se situer à 12200 points soit également 17 % de plus que les 10 300 points actuels.
Déjà trop haut, au vu du Q de Tobin
D’autres économistes sont d’un avis tout à fait différents. Martin Wolf (site payant) et Wolfgang Münchau considèrent dans le Financial Times qu’avec un Dow Jones supérieur à 10000 points « la prochaine bulle est déjà sur les rails ». Ils s’appuient notamment sur les travaux de la société de gestion dirigée par Andrew Smithers qui avait notamment diagnostiqué la formation de la bulle internet en 2000.
Pour eux l’indicateur du PER est trop fruste. Il repose en effet sur les bénéfices actuels ou sur les prévisions de ceux de l’année à venir ce qui est trop peu pour représenter « la somme des bénéfices futurs ».
Pour savoir s’il y a bulle il faudrait ,selon eux, combiner deux indicateurs :
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Le CAPE (Cyclically Adjusted Price-Earnings), inventé par Robert Shiller, professeur d’économie et de finances à l’Université de Yale qui a notamment identifié la formation de la bulle immobilière des USA et le Q indicateur élaboré il y a 40 ans par le prix Nobel James Tobin.
Le CAPE mesure la moyenne mobile (et non pas instantanée) sur 10 ans du PER ajusté de l’inflation.
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Le Q correspond à la valeur boursière d’une ou de plusieurs entreprises (mesurée selon les cours de l’action) divisée par la valeur de remplacement de son capital fixe (bâtiments équipements etc.). Il mesure l’opinion du marché sur les investissements futurs de ou des entreprises concernées. Si Q est supérieur à 1 cela veut dire que le marché anticipe une profitabilité de l’investissement au-delà de son coût et inversement.
Sur la base de l’utilisation de ces indicateurs, Wolfgang Münchau, Martin Wolf et Andrew Smithers considèrent tous trois que le marché boursier américain est surévalué d’environ 35 à 40 %.
Bref, selon que vous suivrez le PER ou le CAPE et le Q, vous serez donc porté à considérer que le rallye de hausse du CAC pourrait bien se poursuivre en 2010 ou qu’au contraire la période baissière n’est pas encore achevée.