D’année en année, les journées de l’économie de Lyon rencontrent un succès croissant. Le thème central choisi cette année était celui de la gouvernance économique (mondiale, européenne, environnementale) . Mais les sujets abordés dans plus de 40 conférences et ateliers débordaient largement cette question. L’IEFP avait choisi de traiter de la protection des consommateurs de services financiers.D’autres traitaient des banques centrales, de Léon Walras, de l’héritage, du rôle des économistes, de la réforme de l’enseignement de l’économie, de la réforme des retraites, de la fiscalité, des inégalités hommes /femmes, des leçons de l’histoire des crises financières, du salaire des traders… . Impossible de tout suivre. Voici cependant quelques morceaux choisis.
Les paradoxes des banques centrales
On a construit et fait prédominer depuis une trentaine d’années une doctrine selon laquelle les Banques Centrales doivent s’occuper essentiellement, sinon exclusivement, de la stabilité des prix. Une situation paradoxale, a expliqué Michel Aglietta lors d’un débat intitulé « Faut-il faire confiance aux banques centrales ? », car à l’origine les banques centrales étaient les banques des banques. Leur rôle essentiel était de maintenir la stabilité financière. Ce changement, explique-t-il , a reposé sur le postulat que l’objectif de stabilité des prix et celui de stabilité financière étaient indépendants l’un de l’autre. « Pour admettre une telle dichotomie, il fallait supposer que les marchés financiers étaient efficients et autorégulés ». La finance était supposée s’occuper d’elle- même et le mieux possible. Le choc de la crise a fait exploser ce schéma et ces présupposés. Les Banques centrales sont redevenues les banques des banques.
Et autre paradoxe, elles ont bien joué ce rôle en inventant des moyens d’injecter des liquidités sur le marché. Mais les Banques centrales ne remplacent pas les Etats qui ont dû intervenir pour traiter les problèmes de solvabilité des banques, problèmes qui étaient sous-jacents à la crise de liquidité des banques traitée par les Banques centrales. Selon Michel Aglietta, les Etats ont beaucoup moins bien joué leur rôle. Ils ont mis trop de temps à réagir et ils ne l’ont pas fait comme il aurait fallu. Mais aujourd’hui, les Banques centrales ont beaucoup plus de difficultés à jouer un rôle positif vis-à-vis de la sortie de crise. Nous sommes dans une situation où le secteur privé (entreprises, ménages, institutions financières) cherche avant tout à se désendetter, ce qui a pour effet de casser la croissance. C’est un processus très long. « Il faut pratiquement une décennie pour sortir de la situation ». Le relai doit être pris par des politiques de relance et de déficit budgétaires. Celles qui ont été menées ont certes permis d’éviter l’effondrement total, mais pas plus. Il aurait fallu être beaucoup plus audacieux. La Chine l’a été. Son plan de relance a été de 12 % du PIB là où celui des pays européens a été en moyenne de 1,2 % du PIB.
2{QE2 pour quoi faire ?2}
Maintenant la FED, la banque centrale des Etats-Unis cherche à agir en achetant des bons du Trésor à moyen terme des Etats Unis. (2ème phase de la politique quantitative de liquidités ou QE2 pour quantitative easing 2). L’effet recherché est il de relancer le crédit et la demande privée en faisant baisser les taux ? En réalité cette émission de liquidités intervient dans un contexte où en réalité le crédit (demande et offre) est peu sensible aux variations des taux d’intérêt. On espère qu’il y aura un effet positif parce que les taux d’intérêt et donc les rendements des titres publics vont baisser. Les placements devraient se porter sur les actifs privés. Leurs prix devraient remonter et l’on espère que cela va entrainer une relance plus générale. Selon Michel Aglietta, « cet effet devrait rester limité ». Mais en revanche selon lui, cette politique accroit l’écart de rendements avec les actifs étrangers. Elle va générer des achats d’actifs à l’étranger avec en conséquence une baisse du dollar. « C’est, dit-il, sans doute cela qui est recherché par cette politique ». Se met ainsi en place une guerre des changes larvée et des risques de bulles financières dans les pays émergents que ceux-ci cherchent à contrer par des contrôles de change et des capitaux.
Perte de contrôle
Les banques centrales des pays industrialisés ont en fait perdu le contrôle des conséquences de leurs politiques monétaires. Pendant qu’elles avaient en ligne de mire la stabilité des prix, les pays émergents s’occupaient eux essentiellement de leurs changes. Les liquidités se sont retrouvées dans les réserves de changes de ces pays et elles n’ont cessé de grossir. C’est cette liquidité mondiale qui a généré les bulles et les placements aux USA à très bas taux intérêt. « Dans une situation d’interdépendance globale, conclut-il, les politiques monétaires devraient cesser d’être polarisées sur des objectifs différents ».
Un éléphant, ça se voit
La stabilité financière doit être, dit-il, considérée comme un bien public. Le Conseil du risque systémique mis en place aux USA situe, selon lui, les responsabilités comme il faut. Le Conseil réunit les dirigeants de la Fed, des autorités de régulation des banques, des assurances et des marchés financiers sous la responsabilité du Trésor public américain. C’est bien au niveau du Trésor, c’est-à-dire du gouvernement que doit être située la responsabilité ultime. Dans ce cadre le rôle de la Banque centrale doit être un rôle d’alerte contre les bulles et les dérives éventuelles en formation.Est-ce possible, alors que l’on n’a pas de définition précise de l’exubérance des marchés ? Oui répond Michel Aglietta « un éléphant en face de soi cela se voit, même si on ne sait pas le définir ». L’augmentation très forte du rapport entre crédit privé et production ou celle du rapport entre dette et revenu (telles qu’elles sont intervenues depuis les années 1990) constituent des signaux d’alerte significatifs utilisables par les banques centrales. Et lorsqu’il y a alerte, la résistance des institutions financières devraient être testée et le capital des institutions porteuses de risque systémique devrait être renforcé.
Crises financières : « Cette fois-ci c’est différent »
La formule sert de titre à l’ouvrage de deux économistes américains Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart récemment publié dans sa version française et qui retrace l’histoire quantitative de « huit siècles de folie financière ».
Intrinsèquement instable
Lors du débat sur le thème « Crises financières, les leçons de l’histoire » André Orléan, directeur de recherche au CNRS, l’a reprise à son compte. En matière financière le caractère répétitif des crises s’impose à l’observateur. Depuis le 17ème siècle, toute l’histoire du capitalisme est marquée par la répétition périodique de telles crises. Pourquoi les crises reviennent-elles de façon si répétitive ? Parce que, explique André Orléan, il y a quelque chose d’intrinsèquement instable dans le fonctionnement de la finance et des marchés d’actifs. La concurrence n’y a pas les mêmes vertus stabilisantes que sur les autres marchés. La hausse des prix ne fait pas baisser la demande, elle tend à l’accroitre. Quand les prix de l’immobilier augmentent ceux qui en possèdent se sentent plus riches et tendent à s’endetter davantage. Et les banques peuvent prêter plus puisque les prix des biens « collatéraux » qui servent de garantie des prêts sont plus élevés. D’où la succession de phases d’euphorie et de krachs quand les prix des actifs finissent par se retourner. Mais pourquoi l’expérience des euphories et des crises passées ne sert elle à rien ou presque ? Parce que les acteurs financiers s’aveuglent eux mêmes, répond André Orléan. Ils ne veulent pas croire à la constitution d’une bulle et d’une euphorie. Ils savent qu’il y en a eu régulièrement mais ils pensent « cette fois ci c’est différent ; certes les fois d’avant c’était des bulles, mais ce coup-ci, il y a des raisons qui justifient des prix d’actifs si élevés ». Par exemple cette fois ci « c’était différent » parce que la globalisation financière, les politiques monétaires adaptées et le partage des risques grâce à la titrisation étaient supposés avoir rendu l’économie plus sûre.
Transformations de structure
Mais tout de même est-ce bien à chaque fois la même chose ? L’histoire ne montre-t-elle pas que les différences sont également fortes ? Qu’il y a des crises plus ou moins graves ? Et des périodes durant lesquelles il y a moins de crises financières et des crises qui ont moins de conséquences sur l’économie et dont on sort plus facilement ?
André Straus, également directeur de recherche au CNRS et Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur des études à l’EHESS, soulignent de ce point de vue l’importance des évolutions structurelles.
« Les grandes crises entrainent des transformations de la façon dont fonctionne le capitalisme », ce qui rend possible à la fois les accalmies et le retour de crises – mais dans un contexte structurel différent- si les innovations dérapent ou épuisent leurs effets. Si bien que les choses ne sont jamais les mêmes. André Straus donne l’exemple de la création des caisses d’escompte au 19ème siècle et Pierre-Cyrille Hautcoeur celui des assignats pendant la révolution française. André Strauss fait également remarquer que les périodes stables correspondent en général à la domination économique d’une nation. « Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, c’est le Royaume-Uni et pendant les Trente Glorieuses ce sont les États-Unis ». A contrario, leur remise en cause correspond- à des périodes de crises comme on l’a vu dans l’entre-deux guerres et ce qui est également le cas aujourd’hui.
Finalement, selon Pierre-Cyrille Hautcoeur l’aide de l’histoire vis-à-vis de la crise actuelle est assez limitée. D’une part il ne faut pas penser que c’est toujours pareil et qu’on va sortir de cette crise en faisant ce qu’on aurait dû faire en 1931, comme a tendance à le penser le Président de la FED, Ben Bernanke. En fait on sort des grandes crises par une redéfinition d’un cadre économique qui constitue un cadre convaincant pour les acteurs, un projet qui suscite une adhésion suffisante si non unanime. Le New Deal de Roosevelt en 1933 est une référence.
Fiscalité : le décrochage des 1 %
Il existe en France quarante et un prélèvements obligatoires mais au bout du compte ce sont les ménages qui paient par un prélèvement sur leurs revenus ; directement quand il s’agit par exemple de l’impôt sur leur revenu, mais aussi de leurs cotisations sociales (prélevées sur leur revenus à la source avant qu’il leur soit versé) ; indirectement quand il s’agit par exemple de l’impôt sur les sociétés qui réduit d’autant les bénéfices distribuables en dividendes aux actionnaires.
En partant de cette analyse, les économistes Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez ont effectué un travail d’imputation des différents impôts et prélèvement aux individus en fonction de leurs revenus et de la nature de ceux-ci (salaires, revenus de la propriété, pensions et allocations…)
Le résultat est à paraitre dans un ouvrage, « La révolution fiscale » qui sera publié en janvier 2011, mais Thomas Piketty en a dévoilé « les bonnes feuilles » dans un débat consacré à la réforme de la fiscalité.
Révolution fiscale
Résultat : si en moyenne les impôts et prélèvements obligatoires annuels pèsent en France 45 % des revenus, on constate une certaine progressivité depuis le bas de l’échelle des revenus (qui se situent à environ 40 % de taux d’imposition global). Mais la progressivité s’arrête tout en haut de l’échelle et au contraire le taux de prélèvement chute massivement en dessous des 40 % pour les 1 % les plus riches et au sein de ceux-ci, plus on est riche et plus le taux d’imposition global est faible.
D’où leur proposition d’une réforme qui viserait une fiscalité plus justement répartie. Objectif : remettre le taux des 1 % les plus riches au niveau des 10% du haut de l’échelle. Pour l’obtenir, explique Thomas Piketty, il s’agirait de fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu afin de constituer un Impôt sur le revenu unifié, prélevé à la source, progressif et individualisé.
Cela rapporterait, ont-ils calculé, 30 milliards d’€ à niveau moyen de prélèvement constant. (Par comparaison, le bouclier fiscal représente 700 millions d’€ et l’ISF pèse 3, 3 milliards d’€).
C’est donc à la fois beaucoup car il s’agit de 30 milliards supplémentaires prélevés sur seulement 1 % de la population. Et pas tant que cela puisque cela permettrait de réduire de seulement 1 à 3 % le taux d’imposition des 50% de la population disposant des revenus les moins importants.
Equité et efficacité
Et cela soulève de nombreuses questions :
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Est-il légitime d’additionner aux impôts des cotisations sociales « non contributives » correspondant aux droits que l’on acquiert pour sa retraite ? Si on les met à part, on constate que la chute du taux d’imposition du haut de l’échelle est moins importante et la réforme proposée rapportera moins.
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La réforme proposée est-elle efficace en termes de croissance et d’emploi … et finalement en termes de ressources fiscales ? L’équité et l’efficacité fiscales ne font pas forcément bon ménage. Au bout du compte ce sont bien les individus qui payent les impôts avec leurs revenus mais avant cela les impôts pèsent sur les comportements des agents économiques en fonction des assiettes et des taux. Ne risque-t-on pas un impact négatif sur la croissance en imposant davantage les revenus du capital et de la propriété ? Ne risque-t-on pas une fuite à l’étranger de gens qualifiés ? La réponse n’est pas simple, comme l’a montré la divergence de point de vue entre les économistes débatteurs, Thomas Piketty et Alain Trannoy.
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Les questions fiscales sont aussi des choix de société. Thomas Piketty préconise d’individualiser l’impôt sur le revenu au sein du couple (mais pas de supprimer le quotient familial pour les enfants). Cela permettrait selon lui de cesser que les femmes soient traitées comme des revenus d’appoint. Pas d’accord, répond le député Hervé Mariton, qui considère que la fiscalité doit encourager la famille dont la stabilité constitue selon lui un élément positif de la société.
Voir également :