Tel était le thème de la sixième conférence du conseil scientifique de l’Autorité des marchés Financiers (AMF) qui s’est déroulée le 6 mai 2011, en collaboration avec la commission de régulation de l’énergie (CRE), nouvel organe institutionnel de régulation des marchés de l’énergie.
La volatilité croissante des prix des matières premières, également appelées de leur nom anglais « commodities » (ou commodités), coïncide avec le rôle croissant des acteurs financiers sur ces marchés. D’où les questions posées sur la responsabilité éventuelle de ces derniers concernant la hausse moyenne des prix et la volatilité des cours et sur la façon de réguler les marchés et leurs opérateurs de la façon la plus efficace possible.
La finance pour tous débriefe.
1. Pourquoi investir dans des matières premières…
C’est un constat : on observe une forte augmentation des fonds investis sur le marché de commodités. Dans leur grande majorité, ces fonds sont investis dans les marchés de dérivés .
Les motifs d’investissements sur les dérivés de matières premières dépendent de l’activité des investisseurs :
Les entreprises et institutions de productions, de transformations ou de commercialisation de matières premières éprouvent le besoin de se couvrir des variations de prix. Les produits dérivés jouent parfaitement ce rôle et sont donc des outils indispensables pour les acteurs du marché « physique ».
Mais les acteurs du marché « physique » ne sont pas les seuls investisseurs en matière premières.
Les investisseurs « financiers » recherchent surtout les avantages liés à la diversification de leurs portefeuilles.
Le principe est simple : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. En substance, il est moins risqué d’investir dans un plus grand nombre d’actifs financiers peu corrélés. Les investissements dans les dérivés de commodities peuvent apparaitre comme un moyen de diversifier ses risques.
Pourtant, il ne s’agit pas forcément d’une structuration des marchés socialement optimale. Patrick Artus, directeur de recherche chez NATIXIS, rappelle que « le rôle de l’épargne est de financer l’économie. Allouer de l’épargne à un stock de matière première ou à un dérivé est une perte nette d’efficacité». L’objectif des investissements dans les marchés de matières premières n’est donc pas de générer, et donc de profiter, de la croissance.
D’autre part, on peut constater une plus grande corrélation entre les titres financiers dérivés de matières premières et l’ensemble des titres financiers « standards » (actions, obligations, etc.). De même, les prix de matières premières qui n’ont, à priori aucun lien entre eux, sont très fortement corrélés. Les prix du blé, du soja, du pétrole, du cuivre, etc. varient dans le même sens, au même moment.
2. La volatilité des prix des matières premières : quelques pistes.
La question fondamentale du lien entre volatilité des prix comptants et prix sur les marchés de dérivés est « lesquels entrainent les autres ? ».
La réponse donnée par les intervenants est unanime : ce sont les variations des prix « spots » (c’est-à-dire au comptant) qui déterminent les prises de positions sur les marchés de dérivés. Autrement dit, c’est la volatilité sur les marchés comptant qui incite les investisseurs à se couvrir par des produits dérivés.
En somme, la spéculation (sur les marchés de dérivés) n’est pas la cause, mais une conséquence de la volatilité des prix spots.
Qu’est-ce qui peut alors générer cette volatilité des prix comptants ?
Une première explication peut être la croissance des pays émergents dans la finance mondiale. Celle-ci génère une tendance durable à la hausse des prix des matières premières, du fait que la demande tend à augmenter plus rapidement que l’offre. Les capacités de production tournent à plein régime. Et le moindre évènement (alea climatique, accident, évènement politique) génère une forte volatilité des prix.
Mais ceci n’explique ni la corrélation entre le prix des différentes commodities ni celle existant entre ceux-ci et les prix des autres actifs financiers (actions, obligations etc.).
Ce qui l’explique c’est d’abord le fait que les commodities sont considérées comme des actifs financiers par des investisseurs qui arbitrent continuellement entre des opérations sur ces marchés et des opérations sur les autres segments des marchés financiers. Ils choisiront par exemple d’acheter du pétrole pour se couvrir d’une baisse du dollar, etc.
De plus, la forte croissance du trading haute fréquence (appelé également trading algorithmique) intervient comme un facteur aggravant de ce phénomène. Cette technique consiste à automatiser les ordres d’investissement grâce aux nouvelles technologies informatiques. Elle représenterait 70 % des volumes de transactions échangés. Ces traders robots agissent sur les marchés en dépit des « fondamentaux », c’est-à-dire l’état réel du marché (stocks, productions, demande, prix) et peuvent provoquer de grands décalages et déstabiliser des secteurs entiers !
En déplaçant automatiquement des masses très importantes de capitaux de titres en titres, de bourses en bourses, de marchés en marchés, pour profiter d’opportunités d’arbitrages, les prix de matières premières se retrouvent reliés aux prix d’actions, d’obligations diverses, et le cours du blé varie de la même façon que le prix du cuivre. Ce point est une des principales préoccupations du régulateur, qui voit dans le rapprochement de ces marchés, pourtant fondamentalement déconnectés, un risque aggravé de propagation de crises globales.
3. Quelle régulation ?
La volatilité des prix des matières premières pose d’abord un problème politique mondial : c’est le pouvoir d’achat de populations, de pays, de peuples qui est remis en cause par ces variations de prix.
Le rôle des régulateurs est donc d’abord de cerner la source de cette volatilité et de mettre en place un cadre réglementaire de nature à permettre un fonctionnement efficace des marchés des matières premières. Le principal enjeu est de s’assurer que les prix spots reflètent bien les fondamentaux et que les prix des dérivés de matières premières convergent avec les prix au comptant. La régulation peut alors intervenir à deux niveaux :
Concernant les marchés de dérivés, la régulation devrait intervenir sur deux axes :
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L’information : la transparence doit être la règle de fonctionnement de tous les marchés. Le régulateur doit mieux appréhender le rôle des différents acteurs et, en particulier, l’importance du trading algorithmique, des dark pools, etc. afin réduire les distorsions possibles.
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L’organisation du marché : l’existence de marchés de dérivés de matières premières n’est pas remis en cause, mais puisque la majorité des transactions se font de gré à gré (sur le marché dit « OTC »), l’AMF préconise de mettre en place des plateformes d’échange multilatérales pour les produits les plus standardisés afin d’améliorer la transparence, la vitesse et donc la liquidité sur ces marchés.
Pour sa part la régulation des marchés « physiques » doit être adaptée à chaque marché car tous les marchés de matières premières fonctionnement différemment. Par exemple, il n’y a pas de cotation en continu des prix des produits agricoles, contrairement aux prix des énergies, certains produits sont stockables, d’autre non (électricité), etc.
Les régulateurs devront toutefois s’assurer de l’absence d’abus de marché et d’abus de position dominante. Ils devraient en particulier s’assurer que les producteurs ne réduisent pas volontairement leur offre afin de créer de la rareté sur le marché et donc de faire monter les prix).
Mais il est nécessaire que cette régulation s’inscrive dans un cadre mondial. A cet égard, le Président de l’AMF, Jean-Pierre Jouyet, considère que le seul organe capable de mettre en place cette réglementation est le G20. La régulation du marché des matières premières est l’un des objectifs que s’est fixée la présidence française du G20.