Qu’est ce qui s’est réellement passé ?
Le public, et lafinancepourtous.com comme les autres, n’en sait pas encore grand-chose. On sait juste qu’un trader aurait pris des positions extravagantes sur le marché des futures et que, quand la banque s’en est aperçue, elle a dû déboucler ses positions, ce qui a entraîné la perte de 5 milliards d’euros.
Décryptage :
Un « trader » c’est une personne qui intervient sur les marchés financiers, qui passe des ordres pour le compte de la banque pour laquelle il travaille.
Dans un service d’arbitrage, comme celui auquel appartenait le trader Jérôme Kerviel, on cherche à profiter des imperfections du marché. Si la loi de l’offre et de la demande joue à plein et si le marché est transparent, le prix d’un même bien, une action, par exemple, doit être le même partout. Toutefois, pendant une période intermédiaire, il y a des décalages entre le prix sur une bourse et le prix sur une autre bourse, dont profite l’arbitragiste.
La différence entre les deux est souvent infime, il faut donc des volumes importants pour que l’activité soit rentable. Mais elle n’est pas en soi trop risquée dès lors que des achats compensent des ventes. Les arbitragistes n’ont pas normalement une position dite « directionnelle » (on mise sur la hausse ou la baisse d’un actif…). Or, c’est précisément ce qui est, semble-t-il, reproché à Jérôme Kerviel: il aurait pris des positions à l’achat sur des montants très élevés (50 milliards d’euros), sans qu’elles soient compensées par une intervention de sens contraire.
Le marché des futures, c’est le marché des contrats à terme. On fixe aujourd’hui le prix auquel on achètera demain, on parie sur l’évolution du prix d’une action ou d’un indice. En l’occurrence, le trader, semble n’avoir pris des positions que dans un sens et avoir parié sur la hausse de l’indice. L’évolution depuis le début de l’année ne lui avait pas donné raison ! Petite précision : les « futures » sont une des deux catégories principales de ce que l’on appelle les « dérivés », les « options » formant l’autre catégorie.
Prendre une position, c’est prendre un engagement à l’achat ou à la vente. On est « long » (acheteur) ou « short » (vendeur).
Déboucler sa position, ça veut dire vendre si on était acheteur jusque-là ou acheter si on était vendeur. En début de semaine, la Société Générale, constatant que son trader avait pris d’énormes positions acheteuses, a pris des positions inverses à la vente. Vendre en trois jours de telles quantités dans un marché en crise, c’était nécessairement perdre beaucoup d’argent. La perte aurait pu être encore plus grande si le marché avait connu la situation ! Et réduite si la Société Générale avait mis plus de temps pour vendre et attendu que le marché remonte.
Comment ce trader a-t-il pu prendre de telles positions ?
Ce n’est pas l’habitude, à la Société Générale ni ailleurs, de prendre des positions d’une telle ampleur. Dans toutes les banques, il y a des règles qui encadrent strictement la liberté des traders, un service qui contrôle les risques pris et toute une batterie d’outils informatiques qui signalent les anomalies, tout ça étant contrôlé par la Commission bancaire. S’agissant de produits risqués (et les dérivés sont particulièrement risqués à cause de leur effet de levier : on ne verse que le dépôt de garantie, c’est-à-dire un faible pourcentage du montant sur lequel on s’engage). Comment cela a-t-il pu se produire ? L’explication officielle « d’un montage élaboré de transactions fictives » ne nous renseigne guère. Espérons qu’on nous en dira davantage et que l’enquête judiciaire permettra de faire toute la lumière sur ces opérations.
La Société Générale pouvait-elle faire autrement ?
Ayant découvert la situation, la Société Générale était dans une situation délicate. Pour éviter une perte abyssale, elle devait vendre dans la plus grand secret. Pour éviter d’être accusée de cacher la vérité (ce qui est sanctionnable à la fois par l’AMF et la justice pénale), elle devait informer au plus vite le marché de ce qu’elle avait découvert. Il semble qu’elle ait attendu trois jours pour informer le marché, mais c’était afin de pouvoir déboucler sa position, et même pas dans des conditions optimisées comme on le sait…
Je suis client de la Société Générale. Que dois-je craindre ?
Rien. D’abord, parce que la Société Générale reste un établissement sérieux. Malgré cette perte de 5 milliards, et celle de 2 milliards imputable à la crise des subprimes, la Société Générale fera un résultat positif en 2007. Elle n’est donc pas, loin de là, au bord de la faillite.
En tant qu’épargnant et déposant, vous n’avez pas de souci à vous faire. Pas de raison de faire la queue aux guichets comme l’ont fait les clients de la Northern Rock en Grande-Bretagne l’été dernier. Du reste, eux-mêmes ont été finalement rassurés par les autorités britanniques qui leur ont garanti qu’elles feraient tout pour qu’ils ne soient pas lésés.
En France, il existe un Fonds de garantie des dépôts . Créé en 1999, il a pour vocation d’indemniser aussi rapidement que possible les déposants dans la limite d’un plafond de 70 000 €, lorsque l’établissement auquel ils ont confié leurs avoirs ne peut plus faire face à ses engagements. Il peut aussi intervenir à titre préventif pour permettre la disparition ordonnée d’un établissement défaillant sans que les déposants ne soient lésés par cette défaillance. Il a le même rôle à l’égard des titres financiers (actions, obligations…). Soyez donc rassuré, que vous soyez déposant ou épargnant.
La Société Générale n’est pas au bord de la faillite mais sa recapitalisation est devenue inévitable. Pourquoi ? Parce qu’il existe de nombreux ratios que les banques doivent respecter, et notamment un rapport entre les engagements pris (les prêts accordés notamment) et les fonds propres. On exige plus de fonds propres d’une banque qui inspire un peu moins confiance ; en plus, une partie des 7 milliards € de résultats qu’elle espérait faire aurait grossi ses fonds propres. Annoncer qu’on va recapitaliser, c’est aussi une manière de rétablir la confiance.
Cette recapitalisation va sans doute amener de nouveaux actionnaires, et peut-être un changement de contrôle et dans ce cas-là une OPA, ce qui aura une incidence pour les actionnaires de la banque, mais assez peu à court terme pour ses clients.
Je suis actionnaire. Que penser ?
Pour l’actionnaire, cette affaire ne peut évidemment pas être considérée comme une bonne chose. Depuis l’annonce du 24 janvier, le titre a perdu plus de 10% de sa valeur. Le 28 janvier dans la matinée le cours était à 68€. Et il avait déjà entamé une forte baisse plusieurs jours avant l’annonce.
Mais sans doute faut-il remettre l’action Société Générale dans une perspective à long terme. C’est toujours ce qu’il faut s’efforcer de faire avec les actions.
En 1999, le cours avoisinait 40€. En avril 2007, le cours avait atteint 158€.
Pour ceux qui sont entrés à 40€, cela reste une opération positive. On ne peut pas en dire autant pour ceux qui ont acheté à 158€.
Quant aux salariés de la Société Générale qui sont collectivement les premiers actionnaires, puisqu’ils détiennent 7% du capital (et plus de 10% des droits de vote), ils auront un rôle important à jouer dans les semaines qui viennent pour déterminer l’avenir du groupe.