Le 2 octobre dernier, a eu lieu le 3ème colloque du Conseil Scientifique de l’AMF organisé en partenariat avec la Banque de France, sur les produits structurés et leur rôle dans la crise financière actuelle.
Rappelons brièvement ce que sont les produits structurés. Il s’agit de produits complexes, résultats des opérations de *[titrisation*], qui portent différents noms techniques (CDOs, MBS…), selon le type de créances ou de titres auxquels ils sont rattachés et dont ils visent à transférer le risque.
Michel Prada a ouvert le colloque en résumant les problèmes de régulation posés par ces produits.
1) Comment améliorer la transparence sur ces produits ?Une partie des problèmes, a-t-il estimé, est lié au fait que ces produits n’étaient pas négociés dans le cadre d’un marché organisé. Les agences de notation n’ont pas non plus aidé à la transparence de l’information sur ces produits.
2) Comment améliorer la gestion des risques et des conflits d’intérêt tout au long de la chaîne de la titrisation ?Le système de rémunération pourrait être au cœur de la réflexion sur ce thème.
3) Quel rôle doivent jouer les règles comptables dans l’amélioration du système ?La « fair value » et la valeur de marché ne coïncident pas forcément. Cela pose la question de la pertinence des modèles.
Quelques idées se dégagent des débats.
1) Selon Adrian Blundel Wignall, économiste à l’OCDE, ce qui frappe c’est la courbe du recours à la titrisation qui s’envole à partir de 2004. Il met cette date en corrélation avec les travaux dits de Bâle II qui prévoyaient à terme (2008) pour les banques des exigences en fonds propres moindres en ce qui concerne les prêts immobiliers. C’est à ce moment là que la titrisation de subprimes (crédit immobiliers accordés sans garantie) s’est accélérée.
2)Selon Rama Cont, professeur à l’Université de Columbia, le dérapage sur les produits structurés est lié au fait que les agences de notation ont utilisé les mêmes méthodes pour noter les produits structurés que celles qu’elles utilisaient traditionnellement pour noter les obligations. Or, il s’agissait de produits dérivés ; de surcroît, si dans le cas des obligations, l’entreprise émet les obligations puis est notée, dans le cas des produits stucturés, ceux-ci n’étaient mis sur le marché qu’à la condition d’obtenir la notation maximale, en étant toujours aux limites d’une telle notation. Les investisseurs quant à eux ont pensé que ces produits avaient le même niveau de risque que les obligations qui avaient la même notation.
3) M. Rochet, professeur à l’université de Toulouse, a insisté sur le fait que le modèle de rémunération des agences de notation était en lui-même, source de conflit d’intérêts et porteur de dérives. Les agences de notation cherchent bien sûr à préserver leur réputation qui est la base de leur activité. Mais au fur et à mesure que l’activité de titrisation prenait plus d’importance (159 millions $ en 2000, 754 M$ en 2006, 701 M$ en 2007), l’arbitrage entre risque de perte de réputation et augmentation de leur activité et de leurs profits se fit au profit de ces derniers. Sa proposition : créer une plateforme centrale des agences de notation et faire en sorte qu’elles ne soient plus rémunérées en commissions sur les opérations réalisées.
4) Charles Goodhart, professeur à la London School of Economics a pointé le fait que les régulateurs avaient surveillé la solvabilité des banques mais non leur liquidité, alors que les 2 sont étroitement liées. On pensait que si les banques étaient suffisamment capitalisées, elles n’auraient pas de problème de liquidité, ce qui fait que les banques ont réduit la part des obligations d’Etat dans leurs portefeuilles. Lorsqu’elles ont eu leurs 1ères difficultés en juillet/août 2007, elles ont hésité à se tourner vers la banque centrale à cause de l’effet de réputation.
5) Michel Aglietta, professeur à Paris X, a avancé quelques pistes pour corriger le système ;Les banques centrales ont, a-t-il dit, oublié qu’elles doivent avoir en permanence une double préoccupation : assurer la stabilité des prix, ce sur quoi elles ont concentré leurs efforts et assurer la stabilité financière, c’est-à-dire prévenir la constitution de bulles. Elles n’ont pas su voir que l’offre et la demande de crédits sont corrélés positivement.
Deux leçons à en tirer, selon lui :
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remettre les banques centrales au cœur de régulation financière et créer des outils macro-financiers.
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revoir la gouvernance à l’intérieur des banques pour augmenter le poids des investisseurs long terme.
6) Sylvie Matherat, directeur de la stabilité financière à la Banque de France, a convenu que les bonnes politiques micro-prudentielles ne font pas nécessairement de bonnes politiques macro-économiques : ainsi en est-il des règles concernant les provisions issues de Bâle I et II. Il conviendrait de réfléchir à un mécanisme obligeant les banques à avoir plus de capital au fur et à mesure qu’elles accordent du crédit.
Enfin, Jean-Paul Redouin, 1er sous-gouverneur de la Banque de France a clôturé les travaux du colloque autour d’une idée centrale : le mot risque est pendant plusieurs années sorti du vocabulaire. Les acteurs ont délégué aux agences de notation le soin d’apprécier le risque mais les notations ne tenaient pas compte de la liquidité des produits, et les sous-jacents (crédits immobiliers notamment) auraient nécessité une évaluation régulière des risques. Les cycles immobiliers ont été oubliés. La complexité des produits a un prix : ils sont plus difficiles à apprécier, à contrôler et de surcroît beaucoup moins négociables et liquides. Les mécanismes de protection
Il a esquissé les contours d’une réforme.
Les régulateurs doivent, a-t-il dit, rétablir un certain nombre de règles :
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en ce qui concerne les produits, ils doivent :
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adapter et développer en commun un cadre d’appréciation du risque et de la valorisation des produits
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exiger une meilleure analyse en continu des risques
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étudier la capacité des produits à être négociés (à être liquides).
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en ce qui concerne les intermédiaires, ils doivent :
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mieux évaluer les risques de transformation (c’est toute la question des fonds propres)
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renforcer le contrôle interne des risques de marché et des risques de contrepartie,en ce qui concerne le marché, les régulateurs doivent :
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faire en sorte que les investisseurs disposent d’une meilleure information sur les risques (qu’elle soit plus standardisée et plus régulière)
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organiser une meilleure connaissance des transactions (projet de création d’une chambre de compensation).
Il a terminé en estimant qu’on n’avait pas assez tenu compte du risque de gestion du passif, c’est-à-dire de la liquidité, et qu’il faudrait désormais s’en préoccuper davantage, car a-t-il conclu, « La liquidité, ça se mérite ».