Compte rendu conférence JECO 2011
L’Institut pour l’Education financière du Public a organisé une conférence dans le cadre des Journées de l’économie de Lyon 2011 sur le thème «Peut-on encore avoir confiance dans les marchés financiers? ».
Jean-Pierre Jouyet, Président de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), Pascal Canfin, Député européen, membre de la commission des affaires économiques et monétaires et vice-président de la commission spéciale sur la crise financière, Olivier Davanne, Associé-fondateur de DPA Invest, société de gestion de portefeuille et administrateur de l’IEFP, François Morin, professeur émérite en sciences économiques à l’université de Toulouse I et auteur du livre « Un monde sans Wall Street ? », ont échangé leurs points de vue, dans ce débat animé par Pascale Micoleau-Marcel, déléguée générale de l’Institut.
« Lorsque nous avons choisi le sujet de cette conférence, au début de l’été 2011, a-t-elle souligné en introduction, les marchés étaient déjà bien capricieux mais sans doute pas aussi tyranniques que ces dernières semaines ». Depuis l’été, les marchés dictent leur loi et la principale préoccupation des Européens est de les rassurer. Mais comment avoir confiance dans des marchés qui portent une large part de responsabilité dans la crise de 2007/2008 et qui aujourd’hui, exigent des choses aussi contradictoires que la mise en place de plans d’austérité pour réduire les déficits et la dette, et des perspectives de croissance ?
Dès lors, a-t-elle demandé aux intervenants : « Peut-on faire autrement que de leur faire confiance ? Peut-on se passer d’eux ? Totalement ou partiellement. Et si l’on ne peut pas se passer d’eux, si l’on admet que les marchés financiers sont utiles, dans quel sens faut-il modifier leur fonctionnement pour qu’ils aillent dans le bon sens ? ».
Les réponses ont davantage divergé sur les remèdes que sur le diagnostic.
Les marchés restent incontournables
Pour Jean-Pierre Jouyet, les excès des marchés financiers sont incontestables :
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Excès de financiarisation : les transactions sur les marchés financiers de matières premières sont 20 fois plus élevées que celles correspondant aux échanges de ces produits. Ceci n’étant, bien sûr, pas sans incidence sur la vie quotidienne des citoyens.
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Excès d’opacité : les zones non régulées (hedge funds, dérivés…) restent considérables.
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Excès de court-termisme de la part des investisseurs : un des rôles des marchés est certes d’apporter de la liquidité. Mais, explique Jean-Pierre Jouyet, les transactions passées à la nanoseconde qui représentent maintenant une part significative du volume total des transactions n’y contribuent nullement sans même parler de leur utilité économique.
Cependant affirme le Président de l’AMF, les marchés restent incontournables et utiles.
Incontournables, puisque nous nous sommes mis en situation de dépendance à leur égard. Plus de 50% de la dette publique française et 40% des actions des entreprises du CAC 40sont détenus par des investisseurs étrangers
Utiles car, explique Jean-Pierre Jouyet, leur rôle pour financer l’économie va sans doute s’accroitre, compte tenu de la contraction prévisible du rôle du crédit du fait du renforcement légitime des règles concernant les banques.
La question posée est donc, dit-il, de maitriser ce mouvement par la régulation et la transparence indispensables et de restaurer la confiance dans leur capacité à financer l’économie.
Selon Jean- Pierre Jouyet, des progrès importants ont été réalisés : les choses avancent dans le domaine prudentiel ; on s’efforce d’obtenir une meilleure régulation sur les marchés de gré à gré, les agences de notation ou les hedge funds. Des produits considérés comme dangereux comme les CDS à nu sont même interdits. La taxation des opérations financières est également un moyen utile pour mieux maitriser les marchés. Au-delà de la régulation, Il s’agit également précise-t-il de retrouver une éthique individuelle et collective notamment en ce qui concerne les politiques de rémunération.
Retrouver la maitrise de prix fondamentaux
« J’ai tendance à répondre « non » à la question posée » explique pour sa part François Morin. Selon lui, la crise de confiance à l’égard des marchés financiers est réelle, profonde et justifiée et les choses vont vraisemblablement encore empirer du fait de leur fonctionnement.
En effet, explique-t-il, les marchés ne remplissent plus leur rôle dans le financement de l’économie réelle. Certes des entreprises se financent sur ces marchés, mais, d’un point de vue macroéconomique, les marchés prélèvent davantage de ressources sur les entreprises qu’ils n’apportent de financements nouveaux. Leur efficacité en termes de détermination des prix est défaillante du fait du rôle insensé pris par la spéculation. Les zones d’ombre de la finance non contrôlée continuent de se développer. La concentration accroit les périls. Fin 2010, le total du bilan des 11 premières banques mondiales était équivalent au total de l’endettement public mondial. Celui de BNP Paribas est supérieur à la dette publique française.
François Morin insiste particulièrement sur ce qu’il appelle une gestion calamiteuse des risques qui, selon lui, est liée à l’explosion des produits dérivés depuis une vingtaine d’années et à la place centrale de la spéculation. Les CDO sont à l’origine de la crise de 2007 et de sa gravité systémique. Actuellement les CDS liés aux dettes souveraines menacent de produire à nouveau une implosion du système bancaire.
Selon François Morin, tout cela est la conséquence directe du fait que le Etats ont abandonné progressivement leurs pouvoirs dans la détermination de prix aussi fondamentaux que les taux de change ou les taux d’intérêt. La vraie réforme consiste donc, selon lui, à ce que les Etats reprennent la main dans ces domaines et à stabiliser les taux de change et les taux d’intérêt.
S’inscrire dans une logique de refondation
Olivier Davanne observe que la méfiance concerne toute la finance (y compris les banques) et pas seulement les marchés financiers. S’agissant spécifiquement des marchés financiers, explique-t-il, ceux-ci ont une triple mission : la première consiste, non pas à contrôler directement les investissements des entreprises cotées, mais les dirigeants de celles-ci. En second lieu ils permettent d’allouer et de porter des risques économiques. Leur troisième mission est une fonction de valorisation des actifs en établissant leurs prix.
Olivier Davanne juge lui aussi que la façon dont les marchés financiers remplissent ces missions est « désastreuse ». Mais, interroge-t-il, pourquoi en est-il ainsi ? Il met en avant les défaillances du marché notamment en ce qui concerne l’information qui doit être considérée comme un bien public, mais il souligne aussi les erreurs de gestion publique. Exemple : en France le système fiscal incite à l’endettement des entreprises puisqu’il taxe les bénéfices tout en permettant de déduire les intérêts du revenu imposable. Autre exemple, en Italie la gestion publique de la dette a été tournée vers financements de court terme ce qui conduit à accroitre aujourd’hui en pleine tourmente le besoin de financement de l’Etat italien.
Il faut, dit Olivier Davanne, trouver les bonnes régulations des marchés plutôt que de chercher à les fermer. Cela ne l’empêche pas d’avoir un point de vue critique sur les réformes entreprises. Selon lui,on reste encore, dans une logique de rustine, alors qu’il faudrait être dans une logique de refondation. On vise à réguler davantage ce qui est déjà régulé mais on ne s’attaque pas suffisamment à la régulation de ce qui ne l’est pas. La banque de l’ombre garde un boulevard largement ouvert.
Instaurer une démocratie financière
Pascal Canfin souligne le décalage existant entre le temps des marchés et le temps des politiques. Il décrit pour ce faire le processus d’élaboration législatif concernant la réglementation financière européenne auquel il participe lui-même en tant que député européen et notamment en tant que rapporteur du texte interdisant les ventes à découvert à nu sur les dettes souveraines qui devrait entrer en vigeur au mieux dans un an. Il y a là, dit-il, un problème démocratique majeur : « Est-ce que les marchés doivent avoir le dernier mot, même s’ils sont irrationnels, même si les critiques dont ils font l’objet sont justifiées ? » Il faut, selon lui, trouver les moyens d’instaurer une démocratie financière. Les Etats, dit il, se sont mis dans les mains des marchés financiers en supprimant tout lien direct entre eux-mêmes et les épargnants. L’objectif doit être de les reconstituer. Il préconise d’une part que l’on sorte du dogme selon lequel la Banque centrale européenne ne peut en aucun cas financer la dette publique des Etats de la zone et d’autre part que l’on crée un Trésor européen qui pourrait émettre une dette européenne directement auprès des citoyens européens et qui serait portée par ceux-ci sans devenir elle-même un moyen de spéculation sur les marchés.