1000 Milliards d’euros pour les banques européennes

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Les faits

BCE La Banque Centrale Européenne (BCE) a injecté, en 2 mois plus de 1 000 milliards d’euros dans le système bancaire européen, à travers deux opérations de refinancement à long terme, appelées LTRO : « Long Term Refinancing Operation ». Il s’agit en l’occurrence d’une procédure dite non conventionnelle car elle ne correspond pas à celle utilisée en temps normal. Sous l’impulsion de son nouveau gouverneur Mario Draghi, la BCE a, en effet, mis en place le 21 décembre 2011, ce mécanisme de « guichet ouvert », permettant de prêter aux établissements financiers, des montants illimités, pour une durée de trois ans, à un taux annuel de 1 %. 523 banques européennes avaient alors bénéficié de ce mécanisme pour une somme de 489 milliards d’euros. Une seconde opération a été effectuée par la BCE, le 29 février 2012, pour un montant de 529,5 milliards d’euros alloué à 800 banques.

Décryptage

En situation normale, la Banque centrale Européenne finance les banques de plusieurs façons. La principale consiste à prêter aux banques des liquidités pour une durée n’excédant pas quelques semaines, en contrepartie de titres déposés auprès de la BCE (on parle de mise en pension).

Mais la situation dans la zone euro, depuis plusieurs mois, n’est pas normale. Les banques européennes rechignent à se faire crédit entre elles, à financer les Etats de la zone euro en difficulté et au 4ème trimestre 2011, elles ont eu tendance à restreindre leurs crédits à l’économie. Cela entrainait la zone euro dans la spirale d’une nouvelle crise monétaire et financière. Pour parer à cette situation, la BCE a donc lancé une opération de grande envergure, dite non conventionnelle, c’est-à-dire ne correspondant pas aux procédures normales évoquées ci-dessus. Elle l’avait déjà fait en 2007 et surtout en 2008/2009 après la faillite de Lehman Brothers. Elle prête ainsi aux banques pour trois ans (et non pas pour quelques semaines) en contrepartie de mise en pension de titres détenus par les banques, à un taux d’intérêt de 1 %. Le guichet a été ouvert à deux reprises, les banques pouvant « emprunter sans limite ». Elles ont emprunté de cette façon 1000 milliards d’euros. L’apport net de liquidité serait cependant d’environ 500 milliards d’euros, si l’on tient compte du fait que les banques ont diminué en même temps d’autres emprunts moins avantageux auprès de la BCE

Qui a emprunté ?

Lors de l’opération du 29 février, les établissements italiens et espagnols ont largement sollicité le guichet de la BCE. Les premiers ont emprunté 139 milliards d’euros et les seconds 130 milliards. Les banques allemandes auraient emprunté autour de 50 Milliards d’euros. Les établissements français, de leur côté, restent plus discrets sur ce point. Aucune banque n’a communiqué le montant emprunté lors de la première opération du mois de décembre 2011, hormis Dexia qui a dit avoir alors emprunté 20 milliards. Toutefois, selon les chiffres fournis par la Banque de France, au total, les banques de l’Hexagone ont emprunté 47 milliards auprès de la BCE via le mécanisme de LTRO de la fin de l’année dernière.

Quelle efficacité ?

– Sur la situation des banques et du crédit Incontestablement, cet afflux massif de liquidités donne un bol d’oxygène aux établissements bancaires européens, permettant ainsi de voir s’éloigner le risque d’une faillite bancaire en Europe ou de « credit crunch ». En clair, ces deux opérations de LTRO vont permettre aux banques européennes de réorganiser leurs bilans, sans avoir à brader leurs actifs, et ceci, à moindre coût car leur taux d’emprunt auprès de la BCE se limite à 1 % par an. Mais la relance des crédits bancaires à l’économie devrait rester limitée par les perspectives économiques moroses de la zone euro. Et l’action de la BCE ne permettra pas de résoudre les problèmes structurels du secteur bancaire de certains pays européens.

– Sur la dette publique L’action de la BCE agit sur la crise de la dette publique même si elle n’achète pas directement de la dette d’Etat. En effet, les liquidités accordées aux banques permettent, entre autre, à ces dernières d’acheter de la dette souveraine. D’ailleurs, le risque de voir s’effondrer la zone euro semble aujourd’hui s’éloigner. On observe, depuis quelques mois, une détente des taux d’emprunts d’Etat italiens ou espagnols. L’Italie, par exemple, qui empruntait à deux ans à plus de 8 % en novembre dernier, paie désormais un taux inférieur à 3 %.

– Inquiétudes

Risque de nouvelle bulle financière Si elle n’entraine pas une forte relance des crédits pour l’économie « réelle », cette injection massive de liquidités ne risque-t-elle pas de favoriser la formation de bulles financières ? « En situation de sous-emploi, la croissance rapide de l’offre de monnaie ne peut conduire qu’à la hausse des prix des actifs » analyse l’économiste Patrick Artus (Natixis Flash Economie n°  24 février 2012). De telles injections de liquidités ont effectivement favorisé la formation des bulles sur les prix des actions (de 1998 à 2000), sur les prix de l’immobilier (de 2003 à 2007), sur les prix des matières premières et sur les actifs des pays émergents (en 2007 et au début de 2008 ainsi qu’à la fin de 2010 et au début de 2011). Selon l’économiste, on peut craindre aujourd’hui que l’abondance de liquidités entraîne une bulle sur les obligations « d’où la baisse des taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques des pays considérés comme « sûrs » », mais selon lui elle serait peu dangereuse car restant contrôlable par les Banques centrales.

Risque de dégradation de la notation de la BCE Une autre inquiétude porte sur la BCE elle-même. Ne court-elle pas le risque de devenir une « bad bank », en amassant des actifs « pourris » déposés par les banques emprunteuses pour trois ans en contrepartie de leurs emprunts ?