Animée par Daniel Lebègue, Président de l’ORSE, la table ronde a réuni Thierry Philipponnat, Secrétaire Général de Finance Watch, ONG créée à l’initiative de députés européens pour contrebalancer le lobbying des institutions financières dans les institutions européennes ; Olivier Pastré, Laurence Scialom, tous deux Professeur d’ Université l’un à Paris VIII, l’autre à Paris Ouest Nanterre La Défense, et Vivien Levy-Garboua, Conseiller du Président de BNP Paribas et Président du Comité de pilotage de Paris EUROPLACE, association dont l’objectif est de promouvoir l’attractivité et le rayonnement de la place financière de Paris.
La question est à l’ordre du jour même si elle est encore peu débattue, souligne d’entrée de jeu Daniel Lebègue : au niveau européen, c’est l’un des points principaux qui sera abordé dans le rapport que le Groupe d’experts de haut niveau sur les réformes structurelles du secteur bancaire européen présidé par le gouverneur de la Banque centrale de Finlande (Erkki Likkanen) va remettre au Commissaire Michel Barnier à la fin de l’été 2012. Au niveau national, François Hollande s’est engagé à séparer les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives
« Je veux mettre les banques au service de l’économie.Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives… J’interdirai aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. Il sera mis fin aux produits financiers toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie. Je supprimerai les stock-options, sauf pour les entreprises naissantes, et j’encadrerai les bonus. Je taxerai les bénéfices des banques en augmentant leur imposition de 15 %. Je proposeraila création d’une taxe sur toutes les transactions financières ainsi que d’une agence publique européenne de notation. »
Extrait de ses 60 engagements de campagne de F. Hollande
Quatre options possibles
Daniel Lebègue demande aux débatteurs de dire leur préférence entre les quatre options principales actuellement sur la table :
– L’option « Glass Steagall Act » du nom de la loi bancaire américaine de 1933, correspondant à une séparation stricte entre banque de dépôts et banque d’investissement.
– L’option « Dodd Franck » du nom de la loi financière américaine votée en juillet 2010. Cette loi interdit aux banques qui gèrent des dépôts d’intervenir sur les marchés en compte propre. (On parle aussi de règle Volker du nom de son principal initiateur).
– L’option « Vickers », du nom du Président de la commission dont le rapport sert de base à la réforme des structures bancaires au Royaume Uni. Le rapport prévoit une séparation obligatoire (par exemple sous la forme de filialisation au sein du même groupe) entre activités de banques de détail et d’investissement.
– L’option de la non séparation et du maintien du modèle français de banque universelle éventuellement conforté par différentes améliorations notamment en matière de supervision
Aléa moral
Thierry Philiponnat et Laurence Scialom ont développé des analyses convergentes justifiant selon eux une séparation.
Pour Thierry Philipponat, la question est posée car le sauvetage public des banques trop grosses pour faire faillite génère un aléa moral extrêmement dommageable. C’est le règne du « pile je gagne et face tu perds ». Les profits sont privés et les pertes éventuelles sont socialisées. Cette sorte de garantie publique constitue une subvention publique permanente des banques. Celles-ci peuvent se financer à un coût plus avantageux que celui auquel elles pourraient accéder si elles n’en bénéficiaient pas. Des études économiques concordantes ont chiffré cet avantage à environ 4 % d’intérêt sur leurs conditions de financement à moyen et long terme. Cela constitue selon lui une véritable distorsion de concurrence et a deux conséquences négatives : En premier lieu les sauvetages coûtent très cher aux contribuables et menacent de dégénérer en crise de la dette publique. Pire encore, cela a pour effet de déformer l’activité bancaire vers ses dimensions spéculatives au détriment de l’activité de prêts productifs. Voilà pourquoi selon lui il est nécessaire d’agir si l’on souhaite avoir des structures bancaires solides et qui financent davantage l’activité réelle.
Institutions systémiques
Pour Laurence Scialom, la question posée est effectivement celle des institutions financières systémiques, c’est-à-dire celles dont la faillite entrainerait un risque de crise financière généralisée. L’économiste ne partage pas les arguments des tenants de la banque universelle : ceux-ci avancent que la diversification des activités de ces banques permet d’atténuer les risques. En fait on constate surtout des comportements similaires entre ces institutions, qui accroissent les risques systémiques. De plus, selon elle, l’idée que les banques universelles obtiendraient des coûts de production plus faibles n’est pas non plus vérifiée. Elle considère au contraire que les banques systémiques sont devenues trop complexes et trop interconnectées.
Plans de résolution bancaires
Les deux intervenants ne tranchent pas sur les modalités concrètes de la séparation. Les options Glass Steagall- Act, Volker ou Vickers ne leur conviennent pas entièrement. Surtout ils insistent l’un et l’autre sur le fait que pour aussi nécessaire qu’elle soit la séparation n’est pas la seule réforme des structures bancaires permettant de s’attaquer au problème posé.
Laurence Scialom insiste notamment sur l’adoption de « plans de résolution bancaire » dont le principe a été adopté lors du G 20 de Cannes en 2011. Il s’agit d’obliger les grandes institutions systémiques à élaborer à l’avance des plans de redressement décrivant les mesures qu’elles prendront en cas de dégradation de leur situation financière et d’ obliger les États à se doter de moyens préventifs et curatifs accrus .
Débat débile
Olivier Pastré a, pour sa part, une opinion tout à fait tranchée en défaveur de la séparation. C’est dit-il « un débat débile ». Cette séparation n’a selon lui aucun sens. Le Glass Steagall Act est selon lui un contre modèle. Il a fragmenté le système bancaire en a fait un des systèmes les plus archaïques du monde et a conduit l’économie des Etats-Unis à se financer en recourant pour une part essentielle aux marchés financiers. Au contraire, c’est le fait même d’avoir des banques universelles qui fait que le système bancaire d’Europe continentale a mieux résisté à la crise que le système anglo-saxon fondé sur la spécialisation. C’est pourquoi Olivier Pastré est en faveur de l’option 4, celle de la continuité avec des améliorations nécessaires, prioritairement dans le domaine de la supervision et de la lutte contre l’exclusion bancaire et financière des particuliers et des PME.
Pas nécessaire
Pour Vivien Lévy-Gorboua aucun modèle bancaire, aussi bien celui de la grande banque d’investissement que celui de la banque commerciale spécialisée ou celui de la banque universelle n’est sorti indemne de la crise. Mais selon lui toutes les réformes en cours -concernant les règles prudentielles, la supervision, ou les plans de de résolution- sont en train de traiter tous les sujets. Tous vont y passer et au bout du compte selon lui on aboutira « à un encadrement du bilan des banques, du même type que l’encadrement du crédit qui a pu exister dans les années 1970 ». Dans ces conditions, la séparation ne lui parait pas réellement nécessaire. Et ce, d’autant moins que selon lui ce qui constitue la qualité première de la banque universelle est le centrage sur le client et la réponse durable d’ensemble à ses besoins davantage que la diversification. Dans une banque comme BNP Paribas, 60% des activités se font dans la banque de détail. Il n’y a que 25 % d’activités de marché et de financement.
Place libre pour les banques américaines ?
La discussion porte sur trois points
Pour Arnaud de Bresson, Délégué Général de Paris Europlace, les banques d’investissement françaises et d’Europe continentale qui résulteraient de l’isolement de cette activité seraient trop petites pour résister aux mastodontes américains. Des financements comme celui de l’industrie aéronautique européenne seraient menacés. L’argument ne convainc pas Laurence Scialom. Selon elle, si des problèmes de taille se posent, des fusions permettront de les résoudre.
Que faut-il exactement séparer ?
Faut-il séparer les activités selon qu’elles sont ou non très risquées comme l’établit la règle Volker, entre activités de banque de détail et activités de gros comme le préconise la commission Vickers, ou selon leur niveau d’utilité pour le financement de l’économie réelle comme l’évoque Thierry Phillipponnat ? Le critère précis et opérationnel de la séparation devra être précisé.
Comment rentabiliser les banques de détail ?
La garantie publique accordée aux grandes banques correspond à une subvention de fait évaluée par Thierry Philipponnat par exemple à quelque 6 milliards d’euros pour une banque comme BNP Paribas. Mais constate Daniel Lebègue, si la rente existe cela signifie que la banque de détail n’est pas rentable (car les 6 milliards d’euros mentionnés plus haut correspondent également au résultat de BNPP), ce qui d’une certaine manière profite à l’économie (les emprunteurs s’endettent à moindre coût). Si la séparation devait conduire à la suppression de cette subvention, c’est toute la rentabilité de l’activité de banque de détail qui disparaitrait. Comment faudrait-il alors l’établir ?