Le 9 juillet 2012, l’Etat français a lancé un emprunt de presque 6 milliards d’euros sous forme d’obligations à trois et six mois sur les marchés financiers. Jusque-là rien d’exceptionnel. Ce qui a surpris, ce sont les taux d’intérêt négatifs de ces obligations : un taux nominal de -0,005% pour les obligations à trois mois et de -0,006 % pour celles à six mois. Et si les médias en ont beaucoup parlé, c’est surtout parce qu’il s’agit d’une première en France.
Taux d’intérêt négatifs : qu’est-ce que cela veut dire ?
Des taux d’intérêt négatifs signifient que dans trois ou six mois, les investisseurs qui ont acheté ces obligations récupéreront un montant inférieur à celui qu’ils ont investi. Supposons que la Chine achète pour 100 millions d’euros d’obligations à trois mois avec un taux d’intérêt de -0,005%. A échéance, elle récupèrera 99 995 000 euros, soit 5000 euros de moins qui correspondent à 0,005 % des 100 millions d’euros investis.
Cet exemple permet de relativiser la négativité des taux. En effet, la faiblesse de ces pourcentages fait que la perte des investisseurs est en réalité assez limitée par rapport aux sommes investies : 5000 euros ne représentant pas une perte énorme pour un investisseur institutionnel prêt à acheter pour 100 millions d’obligations ! Mais tout de même !
Les investisseurs ont-ils perdu la tête ?
Dans un article du Monde datant du 10 juillet 2012, une journaliste rapporte les propos d’un haut fonctionnaire européen qui commente ainsi les taux d’intérêt négatifs des obligations françaises : « Quand vous placez vos bijoux dans un coffre-fort, vous êtes prêts à payer pour cela ».
Des obligations plutôt que du cash
De fait, les placements en obligations d’Etat françaises à très court terme (3 ou 6 mois) sont considérées comme très sûrs, plus sûrs que de simplement garder des euros sur des comptes bancaires.
Des euros plutôt que d’autres devises
De plus, certains fonds d’investissement, compagnies d’assurance ou banques d’affaires se doivent d’avoir une part de leurs investissements en euros dans l’optique de diversifier les risques de leur portefeuille. Certains autres, parfois les mêmes, ont besoin d’investir dans des emprunts d’Etat. Pour limiter les risques en cette période de trouble économique, notamment dans la zone euro, leur choix se porte sur des pays considérés comme des valeurs-refuges. L’Allemagne, érigée en exemple dans la zone euro, emprunte depuis quelques mois à des taux d’intérêt négatifs à court terme. D’autres pays, comme la Finlande, les Pays Bas ou l’Autriche, attirent les investisseurs en raison d’une situation relativement saine et stable, en comparaison des pays du Sud de la zone euro comme l’Espagne, la Grèce ou l’Italie. Mais à la différence des autres pays de la zone euro dont la situation financière est relativement bonne, la France présente l’avantage d’un marché de taille considérable. Qui dit grand marché, dit aussi plus de liquidités, et donc une plus grande facilité à vendre et à acheter les capitaux. D’où l’attrait des obligations françaises à court terme émises le 9 juillet et l’appétence des investisseurs.
Accepter de ne pas être rémunéré, et même de perdre modérément de l’argent, est le signe d’un besoin de placement fiable à 100 %. La France apparait aujourd’hui sur les marchés financiers comme une option sûre pour les investisseurs. Si la France inspire confiance sur les marchés financiers, cela ne signifie pas pour autant que la situation économique soit excellente, ou que les finances publiques n’aient pas besoin d’être assainies ; n’oublions pas que la dette risque d’atteindre près de 90,5 % du PIB français fin 2012 ! Mais la France tire avantage de sa relative bonne santé en comparaison des troubles considérables que traversent les pays du Sud de la zone euro (surtout l’Espagne et la Grèce) qui sont fuis par les investisseurs.
Un fait nouveau ?
Lors de la présentation du rapport annuel de la Banque de France le 10 juillet, Christian Noyer, gouverneur de la banque de France, faisait la remarque suivante : « C’est une bonne nouvelle car cela montre la crédibilité de notre pays dans sa stratégie de retour à l’équilibre des finances publiques. Mais, comme les émissions allemandes à taux négatifs, c’est aussi la marque d’un dysfonctionnement des marchés en zone euro et cela justifie pleinement les efforts entrepris [par les Européens] pour lutter contre ces dysfonctionnements ».
Disant cela, Christian Noyer souligne que l’engouement des marchés à l’égard de la dette souveraine allemande ou française reflète la méfiance des marchés à l’égard d’autres pays de la zone euro, elle-même anormale. C’est cette méfiance qui constitue le « dysfonctionnement » évoqué.
En réalité, cette situation inédite pour la France n’est pas nouvelle en soi. L’Allemagne, il y a quelques semaines, empruntait à des taux négatifs, mais aussi la Suisse, les Etats-Unis ou la Suède il y a quelques années dans des contextes différents. En effet, une intervention de la banque centrale suisse en 1979 sur le marché des changes a fait passer les taux d’intérêt à très court terme sous zéro et a permis de freiner les investisseurs étrangers et donc l’appréciation du franc suisse. Quant aux banques centrales en Suède et aux Etats Unis, elles ont prêté des capitaux à des taux négatifs aux banques pour les inciter à accorder des crédits aux entreprises dans les années 2000.