Présentée cette semaine en Conseil des Ministres, la réforme bancaire et financière du gouvernement Ayrault s’inscrit dans la continuité des projets déjà initiés chez nos voisins britanniques et outre-Atlantique. Dès 2010, Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale américaine, avait fait voter un texte interdisant aux banques de mener des activités de négoce pour compte propre. En juin 2012, le gouvernement de David Cameron indiquait qu’il comptait reprendre la plupart des recommandations énoncées dans le rapport Vickers présenté huit mois auparavant notamment le projet de « sanctuarisation des activités de détails et d’investissements ». Reste que ces deux textes n’ont pas encore été mis en œuvre, faisant de la France, pour certains observateurs, « le premier Etat à passer à l’acte ».
Etant donné qu’il s’agit d’un projet de loi, sa version définitive reste conditionnée au vote des députés et des sénateurs qui devrait avoir lieu à partir de février 2013. Tous les éléments développés ci-après pourraient ainsi être précisés, corrigés voire annulés.
Séparer les activités « utiles » des activités spéculatives
C’est l’une des mesures phares du projet de loi. Les activités de marché pour compte propre des établissements bancaires, correspondant à des opérations spéculatives, sans utilité pour le financement de l’économie ou sans lien avec les clients, devront être placées dans une filiale séparée à compter du 1er juillet 2015.
Toutes les autres activités de marché des établissements de crédit « nécessaires au financement de l’économie » resteront dans les banques de dépôts.
Le premier article du projet énumère les différentes opérations « dites utiles » que sont :
-
la prestation de services d’investissement à la clientèle (souscription de produits financiers répondant à un besoin de couverture, souscription d’obligations…) ;
-
la couverture des risques propres d’un établissement de crédit (souscription de produits financiers permettant la couverture de différents types de risques inhérents aux établissements de crédit : risque de crédit, risque de taux d’intérêt, risque de taux de change etc.) ;
-
l’activité de tenue de marché oumarket making ;
-
la gestion prudente de la trésorerie et les opérations d’investissement d’un groupe.
De façon à limiter les activités spéculatives, la réforme interdit aux groupes bancaires de détenir des participations dans des hedges funds et de transférer leurs opérations spéculatives à des fonds dont ils seraient propriétaires. Dans le même esprit, la réforme interdit les activités « jugées préjudiciables au fonctionnement des marchés » à savoir les opérations de trading à haute fréquence taxables et les opérations financières portant sur des produits dérivés dont le sous-jacent est une matières première agricole.
Controverse sur le trading haute fréquence (THF)
L’association Finance Watch a récemment dénoncé une « réforme a minima » loin des ambitions énoncées au début de l’année notamment sur l’interdiction du trading haute fréquence. Par exemple, l’article 2 du projet interdit les opérations de trading haute fréquence taxables. Or cette taxe s’applique aux opérations de THF« annulant ou modifiant les ordres passées dans un délai de moins d’une demie seconde et outrepassant 80% ordres passées dans une même journée ». Si le texte n’est pas modifié « 80 % à 90 % du trading haute fréquence ne sera pas concerné par l’interdiction » (Christophe Nijdam, analyste bancaire chez AlphaValue, entretien avec l’Express, décembre 2012).
Renforcer les pouvoirs de l’AMF et de l’ACP
L’objectif de cette réforme consiste également à renforcer les pouvoirs de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et de l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP). Sont notamment confiées à cette dernière, rebaptisée l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), la gestion et la résolution des crises en créant au sein de cette structure un collège de la résolution bancaire.En cas de difficultés avérés d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement, il sera chargé d’imposer des mesures dites de « résolution » (réorganisation de la structure, cessation d’activité, filialisations, etc.).
De même, l’ACP disposera de la possibilité d’interdire les opérations financières dangereuses ou à caractère systémique. Sur ce point, les pouvoirs du Conseil de régulation financière et du risque systémique (Corefris) seront également renforcés. L’ACP pourra également suspendre ou s’opposer à la nomination de dirigeants d’établissements de crédit, d’entreprises d’investissements ou d’organismes d’assurances si elle le juge nécessaire (manque d’expérience ou de compétence requises).
Enfin, le texte prévoit de renforcer les pouvoirs de l’AMF en matière de veille, de surveillance et de contrôle notamment dans le cadre des infractions boursières pénales (délit de fausse information, délit d’initié, manipulation de cours).
Améliorer la protection du consommateur et lutter contre l’exclusion bancaire
Afin de renforcer la loi Lagarde du 1er juillet 2010, qui permet à chacun de choisir librement l’assurance de son crédit (immobilier ou à la consommation), la réforme prévoit la suppression de certains frais dits de délégation et le renforcement de la transparence des offres d’assurances, rendant obligatoire la présentation du coût de l’assurance en montant total dû sur la durée du prêt et en taux annuel effectif de l’assurance.
Le texte prévoit également le plafonnement, pour les personnes en situation de fragilité, des commissions d’intervention prélevées par les banques en cas de dépassement de découvert bancaire ou autres incidents de paiement. .
Enfin, la réforme prévoit une simplification de la procédure de mise en œuvre du droit au compte pour les personnes en situation d’exclusion bancaire qui se voient refuser l’ouverture d’un compte bancaire. Et elle envisage l’accélération des procédures de traitement des dossiers par les commissions de surendettement.