Financer l’économie et développer les investissements à long terme
Premier constat : l’Europe, et en particulier la France, va devoir trouver des ressources longues. Plusieurs phénomènes vont en effet se conjuguer et aboutir à tarir l’offre d’épargne longue :
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la population européenne vieillissante est averse au risque et recherchera donc pour son épargne des supports liquides et non risqués ;
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les budgets publics, en cure d’assainissement, ne pourront pas prendre le relais ;
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les banques qui, en Europe, assurent 75 % le financement de l’économie, vont être conduites par diverses réglementations à réduire leur exposition au risque, à faire ce qu’on appelle dans le jargon financier du « deleveraging »
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les pays émergents (et en particulier la Chine) jusque-là très gros épargnants vont consommer davantage et fourniront moins d’épargne au reste du monde. De ce point de vue, la France est relativement bien positionnée avec son taux d’épargne de 16 % du revenu disponible.
La question essentielle qu’ont essayé de résoudre les participants à la table ronde était : comment faire en sorte que l’épargne des Français finance l’économie ?Jean-Hervé Lorenzi, président du cercle des économistes, a souhaité donner un éclairage original sur le sujet. Pour lui, il ne s’agit pas de savoir comment favoriser l’épargne de long terme, des études montrent selon lui qu’il manque au fond assez peu d’épargne longue pour assurer la poursuite « normale », c’est-à-dire au rythme actuel, de l’investissement en France. Mais la réalité, c’est que l’investissement est à un niveau extrêmement faible depuis quinze ans. Il faut donc réfléchir aux moyens de le favoriser.
Antoine Lissowski, directeur financier de la CNP, a rappelé que les assureurs investissent déjà à plus de 50 % dans les entreprises privées et qu’ils aimeraient le faire davantage mais il y a selon lui insuffisance « d’offre de papier » (lorsqu’une entreprise émet des obligations par exemple, toutes les demandes ne peuvent pas être servies car elles offrent un très bon couple rendement-risque). Se plaçant du côté de l’épargnant, il a fait valoir que logiquement, les Français devraient, à l’avenir, épargner davantage car la rentabilité va baisser et la durée de vie va s’allonger. Pour concilier les besoins des épargnants et l’objectif de financement à long terme de l’économie, il ne recommande pas que les particuliers achètent massivement des actions en direct car il estime que c’est très compliqué, mais il prône le développement des contrats en euros diversifiés qui ne donneraient une garantie en capital qu’au bout de huit ans. Ce produit lui paraît adapté à une partie de l’épargne, celle par exemple que l’on fait en vue de sa retraite ou d’un projet de long terme.
Rétablir la confiance des épargnants
Gérard Rameix, président de l’AMF, a rappelé qu’il est très important pour accompagner la croissance que les épargnants aient confiance dans l’épargne financière, surtout à l’heure où les banques vont être moins en mesure de jouer leur rôle traditionnel de transformation. Or depuis 2000, cette confiance a été ébranlée par les crises financières (éclatement de la bulle en 2001, crise des subprimes en 2007-2008, crise de l’euro) et divers scandales (Enron, Madoff …) ; de telle sorte que le nombre d’actionnaires individuels a baissé d’un tiers au cours des dix dernières années.
Le régulateur est confronté à un travail de longue haleine. Beaucoup a été fait : la quantité et la qualité des informations fournies par les entreprises ont considérablement progressé, les intermédiaires financiers ont une bien meilleure connaissance du client qu’avant, les règles de gouvernance ont été améliorées. Mais les facteurs macro-économiques font que même les investisseurs avertis ont du mal à comprendre ce qui se passe.
Gérard Rameix a dessiné pour les années à venir quatre voies prioritaires pour rétablir la confiance des épargnants :
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être ferme sur les règles ;
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défendre les intérêts des épargnants dans les instances européennes et internationales : à cet égard, il a fait observer que les Français, soucieux de transparence des informations et des transactions étaient assez isolés par rapport à leurs homologues européens qui privilégient la concurrence ;
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se mobiliser pour une communication équilibrée à l’égard des clients qui doit distinguer deux stades dans la prise de décision : vers où allouer ses actifs (actions, obligations …), puis choix de l’investissement ;
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éducation et écoute du public. Il a salué l’action de la Direction des relations avec les épargnants (DREP) et de la médiation de l’AMF et celle de l’Institut pour l’Education financière du public (la Finance pour tous !) que l’AMF a largement contribué à créer et qu’elle soutient toujours très fortement.
Plusieurs intervenants ont approuvé le sentiment exprimé par Colette Neuville, présidente de l’ADAM (Association de défense des actionnaires minoritaires), qu’une des raisons de la faible appétence des Français à l’égard des produits risqués tient au « discours culpabilisant sur les revenus du capital ». Elle a proposé quelques mesures originales pour rétablir la confiance des épargnants : instaurer un recours collectif (encore appelé « action de groupe » ou « class action »), ou rétablir l’autorisation d’endettement par l’AG des actionnaires. Il a été suggéré que l’investissement concret dans des PME ou la finance sociale et solidaire étaient de nature à redonner du sens à l’épargne.
Epargne retraite et gestion à long terme
L’acte de confiance est particulièrement important s’agissant d’épargne à très long terme. Le rapport élaboré par la commission préparatoire aux Etats généraux recommande notamment d’adapter l’eurodiversifié, de renforcer les atouts des contrats retraite Madelin, rendre plus attractive la sortie en rente, promouvoir une culture de la gestion financière à long terme. A cet égard, Olivier Davanne, économiste et associé chez DPA Invest, a fait valoir que la communication autour du risque est essentielle. Donnant l’exemple d’une obligation d’Etat à 30 ans indexée sur l’inflation, il a expliqué qu’il s’agissait d’un produit parfait et sans risque pour qui veut investir à très long terme, mais très volatil et donc risqué à court terme, qui ne sera donc accepté et conservé par les clients que s’ils comprennent bien que ce produit doit être conservé longtemps en évitant de garder l’œil rivé sur la valeur de marché. Il faut également investir raisonnablement, dans des actions qui valent plutôt 7 fois que 40 fois les bénéfices.
Adapter la fiscalité au développement de l’épargne longue et au financement de la croissance
Invitée à présenter son point de vue en prélude à la table ronde, Karine Berger, députée des Hautes Alpes, n’a pas souhaité dévoiler les conclusions du rapport qu’elle présentera prochainement – conjointement avec Dominique Lefebvre – au ministre de l’économie sur la réforme de l’épargne financière. Elle a toutefois rappelé que l’épargne est très concentrée (80 à 90 % est détenue par 10 % de la population) ; les épargnants ont une préférence pour la préservation du capital et la liquidité et la question de la rentabilité est pour eux secondaire. Du côté des entreprises, les besoins en fonds propres représenteraient aujourd’hui seulement quelques dizaines de milliards d’euros mais augmenteront quand nous sortirons de la crise.
De manière quasi unanime, les participants à ce débat ont appelé de leurs vœux une fiscalité plus stable, plus lisible, plus simple et plus favorable au long terme. Un débat, intéressant mais technique, a opposé les auteurs du rapport qui ont additionné les prélèvements sociaux et l’impôt sur le revenu pour comparer le poids respectif de la charge fiscale pour un salaire, pour des intérêts ou pour des dividendes et Karine Berger qui estime qu’alors il faudrait, côté travail, ajouter les charges sociales.