L’amélioration de la compétitivité des industries françaises
Juliette Meadel, directrice générale du think tank Terra Nova, a introduit les débats en indiquant que plus de 750 000 emplois ont été supprimés dans le secteur industriel français depuis 10 ans. Le nombre d’entreprises exportatrices a presque diminué de moitié. Résultat : notre balance commerciale se détériore, le déficit public se creuse et la dette s’accumule. Est-ce irrémédiable ?
Pour Patrick Artus, le retour à une situation viable passe avant tout par la reconquête par les entreprises de l’innovation de la recherche et du développement : « les entreprises ont oublié d’investir ». Ce mal français explique en grande partie l’effondrement des marges bénéficiaires du secteur et la dégradation de la qualité de notre capital.
En 2011, la France n’a acheté que 3 300 robots industriels. Dans le même temps, l’Allemagne en a commandé 19 000.
Au manque de modernisation de notre capital, s’ajoute la forte sensibilité de la demande intérieure française au prix. Concrètement, lorsqu’une entreprise commercialise un produit et qu’elle décide d’en augmenter le prix pour compenser ses pertes, les consommateurs diminuent plus fortement leur demande pour ce produit que dans d’autres pays comme l’Allemagne ou les États-Unis.
Selon Patrick Artus, en France, la demande est très sensible aux prix : quand un prix augmente de 10 %, la demande en diminue de 11 % contre seulement 3 % en Allemagne et 1 % au Japon.
Dès lors, une hausse de la demande intérieure n’a pas d’influence sur la production française mais sur les importations. Pour y remédier, la solution repose sur une relance de la recherche et de l’innovation de façon à proposer des produits de meilleure qualité et plus diversifiés, soit selon Patrick Artus, une montée en gamme de l’ensemble des produits industriels. Ils pourront alors augmenter leurs prix de vente, donc leurs marges, sans risquer de perdre des clients.
L’amélioration de la qualité de notre capital industriel passe également par une relance des relations entre entreprises et laboratoires de recherche universitaires.
Sur un an, 750 entreprises françaises travaillent en partenariat avec des laboratoires de recherche contre 15 000 en Allemagne, selon les chiffres avancés par l’économiste de Natixis
Augmenter l’investissement dans l’enseignement supérieur
Patrick Artus et Thomas Piketty confirment d’une seule voix que des crédits supplémentaires doivent être alloués à l’enseignement supérieur. Les dépenses publiques par étudiant sont particulièrement faibles en France par rapport aux autres pays développés. En 2009, les dépenses d’éducation supérieure s’élèveraient à 14 642 dollars par étudiant (convertis parité pouvoir d’achat) contre 19 961 dollars en Suède et 29 201 dollars aux États-Unis. Patrick Artus ajoute qu’il faut renforcer les liens entre la recherche fondamentale et le secteur industriel. Quant à Thomas Piketty, il précise qu’il faut aussi modifier les structures des universités qui ne sont plus adaptées au monde actuel.
Les propositions du gouvernement remises en cause
Thomas Piketty réfute l’efficacité de la mise en place, par le gouvernement, d’un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) pour relancer la compétitivité des entreprises. Selon lui, les autres expériences de crédits d’impôts n’ont jamais obtenu les résultats escomptés. Il préconise de remettre à plat le financement de l’État et particulièrement la protection sociale. Le taux de cotisation patronale, qui atteint actuellement 45 %, devrait être ramené progressivement à 20 %. Pour cela, l’important est de séparer ce qui relève de l’assurance de ce qui relève de la solidarité. « Ce ne sont pas les salaires qui doivent supporter les coûts de la solidarité ». Il serait plus intéressant de financer la solidarité par la CSG mais en étendant son assiette.
La taxation des revenus du capital
Le principal point de divergence entre les deux économistes porte sur la taxation des revenus du capital. Pour Patrick Artus, cette taxation est bien trop élevée puisque selon lui, elle peut atteindre 100 %. Son raisonnement est le suivant : du fait d’une taxation élevée, les investisseurs risquent de fuir les actions ce qui à terme, contribuerait à réduire significativement le financement des entreprises. À ce titre, il rappelle que les investissements de court terme devraient subir une taxation plus élevée que les investissements de long terme, utiles au financement de l’économie et notamment de branches d’activités innovantes. Face à cela, Thomas Piketty rappelle qu’il existe un nombre beaucoup trop élevé de régimes dérogatoires. Finalement, la taxation moyenne des revenus du capital est plus faible. Selon lui, dans 80 % des cas, les revenus ne sont pas taxés au barème.