« Depuis une dizaine d’années le secteur industriel français a perdu plus de 800 000 emplois », rappelle le député du Morbihan, Gwendal Rouillard en guise d’introduction. En 2000, il pesait pour près de 16 % dans le PIB contre 13 % aujourd’hui. Dans ce contexte, trois questions doivent être posées « Comment activer les leviers de la compétitivité ? Comment façonner un contexte favorable à l’investissement et à la compétitivité ? Enfin, quelle politique industrielle doit être envisagée à l’échelle européenne ? »
Pour en débattre, deux tables rondes étaient organisées.
Premier thème abordé « Peut-on faire plus vite, plus fort ? »
Pour introduire cette première table ronde, Louis Gallois, Commissaire général à l’Investissement, rappelle l’adoption le 6 novembre 2012 du pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi dont il doit assurer le suivi.
« Il n’y aura pas de miracles »
« L’éternel problème en France est de penser qu’il existe des mesures miracles. Or la compétitivité revêt différents aspects ». Différents aspects ou thématiques que le commissaire général à l’Investissement énumère successivement :
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la réduction du coût du travail : « C’est le rôle du CICE (Crédit Impôt Compétitivité Emploi, ndlr) qui apporte 4 % d’économie de masse salariale la première année et 6 % la seconde » ;
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le financement des entreprises avec différentes initiatives (la création de la BPI), le rapport Berger Lefebvre sur l’épargne longue, la garantie aux emprunts de trésorerie des PME, etc.) ;
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l’innovation :« l’un des problèmes de l’industrie française est qu’elle ne monte pas en gamme ; or l’innovation est un élément clé » ;
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l’exportation (alignement du crédit-export, soutien aux entreprises exportatrices) ;
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la formation (l’apprentissage, l’accord national interprofessionnel, le crédit personnel de formation) ;
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la stabilisation et la simplification des dispositifs fiscaux ;
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les réformes structurelles sur le commerce international par exemple.
Un exposé non exhaustif des différents angles par lesquelles le problème de la perte de compétitivité doit être abordé. Sur ce point, Louis Gallois précise que la mise en place de toutes les mesures du pacte de compétitivité risque d’être « compliquée car chaque ministère est concerné » en rappelant « la nécessité d’un effort dans la durée », précisant néanmoins : « il n’y aura pas de miracles ».
Sur la question européenne, des efforts non négligeables ont jusqu’ici été réalisés notamment dans le domaine de la recherche et du marché intérieur (création du brevet européen). Néanmoins, le commissaire général à l’investissement déplore l’absence de politique européenne relative à transition énergétique, aux matières premières, à la concurrence ou encore au commerce international :« la politique européenne se focalise pour l’instant uniquement sur les pays déficitaires et sur le rééquilibrage des comptes publics mais cela doit se faire à un rythme raisonnable […] l’Allemagne doit soutenir la croissance européenne ».
Enfin, la reconquête de notre compétitivité industrielle passe, d’une part, par le rétablissement d’un climat de confiance au sein des entreprises, reconnaissant néanmoins que « la confiance ne peut naître spontanément dans un contexte économique défavorable », et, d’autre part, par une simplification des démarches administratives. Selon Louis Gallois, « c’est un chantier indispensable ».
« Il faut profondément changer d’état d’esprit, soutenir les investisseurs »…
Un argument mis en avant par l’ambassadeur de l’industrie, Yvon Jacob : « Il n’y a pas de débat à avoir sur ce dont souffre l’industrie française, que ce soit la compétitivité coût ou hors coût […] la France a besoin d’un soutien moral et effectif aux investisseurs ». Pour renouer avec la croissance et donc créer des emplois, il faut avant tout soutenir les investisseurs.
Par ailleurs, le problème de compétitivité doit également être repensé à l’échelle européenne puisque la croissance de l’Union est soutenue par la croissance industrielle. Cette dynamique passe par la mise en place d’une véritable politique de concurrence en Europe.
Et « développer la culture de l’innovation »
Selon Pascal Morand, professeur à l’ESCP Europe et directeur de l’Institut pour l’innovation et la compétitivité, développer une culture de l’innovation est fondamental pour renouer avec la compétitivité et la croissance. Sur ce point, force est de constater que la France fait à la fois office de « bon et de mauvais élève » en matière de compétitivité à l’échelle mondiale : « Globalement, la France est classé entre la 20e et la 30e place. S’agissant des infrastructures, de la santé, de l’éducation, des nouvelles technologies, elle est très bien classée. En revanche elle est classée 111e en matière de flexibilité du travail, 128e en matière de régime fiscal ou d’accès au financement ».
Par ailleurs, selon Pascal Morand, « il ne faut pas se focaliser sur le commerce extérieur et sur les données comptables », car les données doivent être analysées sous tous les angles. De la même façon, il ne faut pas constamment associer compétitivité, innovation et recherche et développement même si les trois sont intimement liés : « l’innovation doit être pensée globalement ».
« Il faut passer de l’inventaire à l’invention »
Pour Laurent Grandguillaume, député de la Côte d’Or, retrouver de la compétitivité en France nécessite la mise en place de plusieurs mesures telles que la simplification des démarches administratives pour les entreprises, la fusion de certains départements et de certaines régions pour mutualiser les besoins ou encore l’établissement d’un dialogue social à l’échelle territoriale. Par ailleurs, il regrette la faiblesse des liens entre les laboratoires de recherche universitaire et les entreprises tout comme l’absence de politique européenne en soutien aux exportations.
« L’industrie a besoin de stabilité et d’innovation »
Un constat de Franck Garnier, président du groupe Bayer France tout en insistant sur les atouts dont dispose l’appareil industriel français à savoir le crédit d’impôt recherche :« c’est un atout fantastique pour la France », précise t-il au même titre que la formation, le coût de l’énergie et l’organisation des pôles de compétitivité.
Cependant, la relance d’une activité industrielle significative passe par quatre principaux points faisant aujourd’hui défaut en France :
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la simplification des dispositifs fiscaux : « au-delà du coût du travail, il faut jongler avec 150 dispositifs fiscaux contre 50 en Allemagne », déplore Franck Garnier ;
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la revalorisation de l’apprentissage ;
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le développement du principe d’innovation plutôt que celui de précaution :« nous sommes à l’heure actuel les seuls à l’avoir inscrit dans notre constitution or c’est un frein considérable à l’innovation » ;
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le développement de « synergies industrielles fortes » à l’image des clusters allemands par exemple.
Le développement de synergies industrielles fortes, un point de vue partagé par Marie Récale, députée de la Gironde. La France a besoin de « filières structurées et territorialisées » passant par une collaboration entre grands groupes industriels et PME – ETI : « les PME et les ETI ont besoin de grands groupes et inversement ».
Focus : la politique de l’euro et la compétitivité
Pour Fréderic Bonnevay, économiste, il faut distinguer la compétitivité prix et la compétitivité hors prix.
Concernant la compétitivité prix : « le marché des changes joue un rôle essentiel ». Sur ce point, Frédéric Bonnevay regrette « l’absence » de politique monétaire au sein l’Union Européenne contrairement aux autres politiques monétaires mondiales, pour relancer les exportations. Un argument repris par Razzy Hammadi, député de la Seine-Saint-Denis, qui déplore « l’absence de gouvernance de change en Europe ».
C’est sur la compétitivité hors prix et donc des facteurs (grâce à l’innovation notamment) que l’Union Européenne doit essentiellement concentrer ses efforts. Selon Frédéric Bonnevay, la France doit relancer l’investissement qui est« porteur d’innovation », rétablir un climat de confiance pour libérer l’octroi des crédits et construire un échéancier des finances publiques stable.Quant à la politique monétaire, elle constitue une ressource et un levier de croissance jusque là négligés : « il faut intéresser la Banque Centrale Européenne (BCE) (lien avec dico) à la croissance et non pas au seul contrôle des prix, et briser le dogme de l’inflation contrôlée et mesurée pour fixer des objectifs de PIB, d’inflation et d’emploi à l’instar de la banque centrale japonaise et de la Réserve Fédérale américaine ».
Deuxième table ronde : « Le développement des politiques de filières : le renouveau compétitif français »
Pour l’ensemble des parlementaires et autres professionnels présents à l’occasion de cette deuxième table ronde, le renouveau industriel passe avant tout par la mise en place de véritables « politiques de filières », visant à encourager les liens, notamment commerciaux, entre grands groupes industriels et petites structures pour stimuler l’innovation et favoriser le transfert de technologie.
Pour Christophe Midler, directeur de recherche au CNRS,« il faut travailler dans des réseaux d’entreprises et avoir une vision bénéfique de le l’innovation car elle crée des externalités ». Selon François Gayet, délégué général du Cercle de l’industrie, la politique de filières est un levier pertinent pour renouer avec la compétitivité et la croissance. Principal argument avancé :« les filières disposent de nombreux atouts, notamment une vision commune des acteurs industriels et une stratégie collective ». L’occasion de rappeler«l’importance de la puissance publique »et la nécessité de revaloriser ses aides dans les pôles de compétitivité.
Un avis partagé par Philippe Bottrie, directeur des affaires publiques France d’EADS. Pour ce dernier, l’État doit soutenir l’économie réelle en assurant une visibilité des mesures (fiscales par exemple) pour rassurer les investisseurs et les industriels français.
Enfin, pour Philippe Desriac, expert Innovation chez Total et Patrick Terroir, directeur général de CDC Propriété Intellectuelle, l’innovation constitue un moteur pour l’emploi. Pour le premier,« l’innovation doit être progressive, continue et collaborative » et doit être favorisée, surtout en période de crise. Pour le second, il s’agit de favoriser les transferts de technologie, redonner son rôle à l’investisseur et innover en matière de financement de l’innovation.
Le financement de l’innovation
Pour Patrick Terroir, le financement de l’innovation dépend essentiellement des subventions publiques. Dans ce contexte, l’Europe peut également constituer une ressource potentielle. Plusieurs projets peuvent être cités :
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la création d’une plateforme électronique de l’innovation par la Banque européenne d’investissement (BEI) (lien avec dico créé);
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la mise en place d’un véhicule d’investissement dans les processus innovants pour favoriser le transfert des technologies ou de traitement des brevets avec le Fonds européen d’investissement (FEI) (lien avec dico créé);
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la conception d’un marché européen des licences de brevet. Sur ce point, Patrick Terroir considère que les PME et les start-up sont défavorisées d’où une réflexion en cours sur la création d’un fonds d’investissement spécialement dédié à ce type de structure. Il aurait pour vocation de financer les dépôts de brevet des start-up et PME.
Pour conclure, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, rappelle la nécessité de « retrouver le chemin de la compétitivité, de l’innovation et de l’emploi […] ». L’occasion de rappeler à ce titre plusieurs mesures entreprises par le gouvernement dans le cadre du pacte de compétitivité destinées à protéger les nouvelles technologies, les brevets, les savoir-faire et « maintenir les outils industriels en marche même en cas de récession à l’image des actions allemandes entreprises pendant la crise économique ».
Le maintien de l’appareil productif passe avant tout par :
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« une alliance des forces productives, les travailleurs, les entrepreneurs, les ingénieurs, les créateurs » ;
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le rétablissement d’un dialogue social basé sur la confiance ;
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le maintien durant la durée du quinquennat d’une stabilité financière ;
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la promotion du nucléaire :« oui le nucléaire est une filière d’avenir », précise t-il ;
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la défense d’une production française, le « made in France » ;
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le financement de l’innovation notamment grâce à la Banque Publique d’Investissement BPI ;
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enfin, la mise en place de politiques de filières : « le programme du renouveau industriel de la France ».
Principal objectif : la relocalisation et le renouveau du tissu productif français.