Des deux tables rondes organisées, nous retiendrons la plus pédagogique, celle qui consistait, partant d’un cas concret imaginaire d’abus de marché, à comparer le sort qui lui serait fait, en France, aux Etats-Unis et au Royaume Uni.
Un cas pratique de droit comparé
Bruno Gizard, membre de la commission des sanctions de l’AMF, après avoir brièvement exposé les hypothèses retenues (Mr Lawyer avocat dans un cabinet chargé de préparer une OPA, pourrait avoir communiqué une information privilégiée à Mr Friend qui aurait investi 1 million d’euros et réalisé 750 000€ de profit) posa à ses panelistes, juristes et praticiens éminents, quatre questions :
1) qui ferait l’enquête ?2) qui déciderait de l’ouverture d’une procédure de sanction ?3) comment seraient constituées les preuves ?4) quelles sanctions pourraient être imposées ?
La mise en lumière des zones de convergence et des différences sensibles d’une juridiction à l’autre fut l’occasion de tirer quelques conclusions.
Des pouvoirs d’enquête étendus
Dans ces trois pays, les enquêteurs ont des pouvoirs étendus.Une réforme récente (loi de régulation bancaire de juillet 2013) a accru le pouvoir des enquêteurs français en créant le manquement d’entrave, a légalisé l’usage, pour les enquêteurs et les contrôleurs, d’une identité d’emprunt en cas de services financiers fournis par Internet, et a étendu le champ des visites domiciliaires aux infractions liées à la commercialisation des produits financiers.
Les transactions en débat
Le sujet de l’ouverture de la procédure de sanction contenait, en creux, celui de la transaction. Occasion de rappeler qu’en France la composition administrative ne s’applique pas aux manquements d’initié ; au pénal on peut faire une transaction en plaidant coupable après l’enquête préliminaire. Aux Etats-Unis, les autorités administratives pratiquent la transaction depuis longtemps ; mais alors que traditionnellement la transaction n’emportait pas reconnaissance de culpabilité, JP Morgan, dans l’affaire de la Baleine, a dû reconnaître qu’elle avait commis une faute.
En France, la preuve par … le faisceau d’indices
S’agissant de la constitution de la preuve, il a été redit que la commission des sanctions a légitimement recours, en matière d’initiés, à la méthode du faisceau d’indices et doit faire la preuve que l’intéressé n’avait aucune autre raison valable de faire l’opération autre que la détention de l’information privilégiée.
Des sanctions … déplafonnées
Enfin, côté sanction, il a été rappelé que le code monétaire et financier (article L621-15) impose qu’elle soit en relation avec la gravité des faits et en relation avec les gains et que les plafonds ont été considérablement augmenté (100 millions d’euros ou le décuple des profits réalisés).
Ce plafond s’applique à la fois aux personnes morales du secteur financier et à toute autre personne, physique ou morale, à l’exception des personnes physiques placées sous l’autorité des organismes financiers, auxquels s’applique un plafond inférieur mais qui encourent également des sanctions non pécuniaires pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exercer.
Le niveau du plafond a provoqué un débat nourri, la plupart des participants estimant que la fixation du niveau maximum à un niveau très élevé fait naître des déceptions lorsque la sanction n’atteint pas ces sommets. Le montant de 8 millions d’euros infligé récemment à LVMH, dans une affaire de franchissement de seuil et dont les intéressés n’ont pas fait appel, est un bon exemple du niveau élevé atteint par les sanctions. On observera que le maximum applicable au moment des faits était de 10 millions d’euros. De combien le groupe de Bernard Arnault aurait-il écopé si le manquement s’était produit quelques mois plus tard, après l’entrée en vigueur du plafond de 100 M€ ?
Notons également qu’à côté de ce plafond de 100 millions d’euros, celui de 1,5 M€ qui s’applique au pénal fait pâle figure.
Aux États-Unis, la sanction ne peut dépasser 3 fois les profits réalisés (au lieu de 10 fois chez nous). Mais, différence majeure, les contrevenants risquent réellement la prison.
Améliorer la chaîne répressive
En conclusion à cette après-midi de réflexion, Gérard Rameix, président de l’AMF, a indiqué que l’amélioration de la chaîne répressive est une préoccupation du régulateur, partagée par l’ensemble des pouvoirs publics. Il a rappelé que la loi de séparation des activités bancaires de juillet 2013 avait étendu les champs d’intervention de l’AMF.
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L’AMF régule désormais le marché des matières premières agricoles.
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Les acteurs du trading algorithmique et du trading de haute fréquence vont être soumis à des obligations de transparence nouvelles.
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Le champ des abus de marché pouvant être sanctionnés est étendu aux dérivés de matières premières, à la tentative de manipulation de cours ou de diffusion de fausse information, à la manipulation du calcul d’un indice financier, en réaction au scandale du Libor, aux transactions effectuées sur des systèmes multilatéraux de négociation et pas seulement sur des marchés réglementés.
Au chapitre des réformes à venir, Gérard Rameix s’est réjoui que le projet de loi consommation, actuellement en discussion au Parlement, intègre la possibilité pour l’AMF de transmettre les pièces d’une affaire au juge civil afin de faciliter la réparation d’un préjudice financier (la réparation du préjudice n’entrant pas dans les compétences de l’AMF).
De même, l’introduction de l’action de groupe en France, qui pourra s’appliquer à la commercialisation des produits financiers, constitue une mesure phare pour la réparation des préjudices subis par les épargnants et la restauration de leur confiance.
De son côté, l’AMF encourage la prise en compte de l’indemnisation des épargnants lésés comme une circonstance atténuante dans le prononcé de la sanction comme le recommande le rapport du groupe de travail présidé par Madame Nocquet sur le prononcé, l’exécution de la sanction et le post-séquentiel.