Une étude complète
Cette enquête a été réalisée par Nicolas Rebière (2G Recherche à Lyon) et Georges Gloukoviezoff (l’Université Bordeaux IV) et rendue publique au mois d’octobre dernier.
Cette enquête a un double objectif :
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apprécier les modalités de distribution du microcrédit personnel et le déroulement du remboursement (suivi des modalités de prescription et d’évaluation des demandes et de décision de prêter ou non),
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évaluer les impacts observés, positifs ou négatifs, du microcrédit pour les emprunteurs ( réalisation du projet poursuivi) et pour les acteurs c’est-à-dire les accompagnateurs et les prêteurs.
Pour ce faire, un travail important de collecte de données a été réalisé de la manière suivante :
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en faisant une revue exhaustive de la littérature pour utiliser les connaissances déjà acquises sur le sujet et définir des grilles d’analyse pertinentes.
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en réalisant une étude quantitative réalisée en 2012 par des questionnaires téléphoniques auprès de 2000 personnes environ (dont 1000 emprunteurs sans impayé, 500 ayant connu au moins un impayé et 500 personnes refusées ou ayant abandonné).
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complétée par une étude qualitative en 2013 comprenant 6 groupes d’emprunteurs ayant connu ou non des impayés.
Ces questionnaires ont enfin été complétés par deux questionnaires en ligne, cette fois en direction des accompagnateurs et des prêteurs en 2013.
Une montée en puissance du micro-crédit
On constate un succès certain du microcrédit qui se traduit par un développement quantitatif de ce dernier dans la majorité des départements : depuis 2005, près de 40 000 microcrédits ont été accordés pour un montant total de 85 millions d’euros. A noter que le nombre annuel de micro-crédits personnels ne cesse de croître (11 800 en 2012).
Ces chiffres doivent toutefois être mis en regard des 1000 milliards d’euros d’encours de crédit aux ménages. On peut également les comparer aux crédits à la consommation (144 milliards d’euros d’encours de crédits à la consommation ou 3,8 milliards d’euros de nouveaux crédits chaque mois).Chiffres Banque de France fin octobre 2013.
En théorie, un microcrédit est un prêt dont le montant varie de 300 à 3000 euros (limite supérieure portée récemment à 5000 €) avec une durée maximale de remboursement de 36 mois. Il ressort qu’en pratique, le montant moyen accordé est de 2000 euros (chiffre en régulière augmentation) avec une durée de remboursement de 30 mois. Le taux d’intérêt moyen est relativement faible même s’il a augmenté sensiblement depuis 2007 (passant de 2 % à 5 % actuellement). Mais, de l’avis des personnes interrogées, le taux d’intérêt n’est pas un élément important pour les emprunteurs, compte tenu des faibles montants empruntés.
On constate qu’il n’existe pas de profil précis du public cible du microcrédit, à l’inverse des prestations sociales. Leur faible niveau de revenus et leur exclusion du crédit bancaire classique sont les caractéristiques des emprunteurs. On peut cependant, à partir du rapport Babeau (2006) et du rapport Caire (2008), repérer d’autres caractéristiques communes aux emprunteurs : ce sont souvent de jeunes célibataires entre 18 et 22 ans, en situation professionnelle précaire (intérim-CDD ou sans -emploi), ouvrier du privé et le plus souvent des femmes.
Le microcrédit finance principalement le besoin de mobilité
On constate qu’en matière d’objets financés (mobilité, logement, professionnel, dettes, formation et santé), près des trois quarts des emprunteurs ont eu recours au microcrédit pour financer un besoin de mobilité. Ceci correspond, dans la majorité des cas, au financement de l’achat d’un véhicule suivi du financement du permis de conduire et de la réparation de la voiture.
Plus précisément, ce besoin de mobilité est dans 33 % des cas un besoin professionnel (achat d’un véhicule professionnel), dans 22 % des cas un besoin lié au logement (équipement) et dans 21 % des cas à un autre besoin de mobilité (association véhicule et permis).
L’observation des finalités du microcrédit personnel montre que la moitié des emprunteurs ont un projet professionnel, 25 % ont un projet personnel (logement, équipement…) et 25 % ont un projet lié à une insertion sociale (achat d’un véhicule pour aller voir ses enfants par exemple).
La finalité professionnelle du microcrédit est bien confirmée, cependant l’insertion sociale apparait de plus en plus comme une finalité explicite.
L’impact positif du microcrédit
L’appréciation des impacts du microcrédit sur les populations concernées nécessite une typologie des impacts en huit domaines. Ces impacts concernent notamment l’insertion professionnelle des emprunteurs (l’objectif étant d’améliorer leur employabilité) , l’insertion sociale, les conditions de logement… Certains impacts sont qualifiés d’indirects car ils ne sont pas recherchés a priori par les emprunteurs mais résultent de la mise en oeuvre du microcrédit : c’est par exemple améliorer sa situation budgétaire, regagner de la confiance en soi…
Les résultats montrent que 40 % des emprunteurs estiment que leur situation professionnelle s’est améliorée grâce au microcrédit et 11 % qu’elle a été préservée. Il y a donc pour plus de la moitié d’entre eux un impact positif quant à leur insertion professionnelle ce qui n’est pas anormal car c’est aussi le type de projet financé le plus populaire. En revanche, si cet impact positif est indéniable, il l’est moins pour l’accès à l’emploi et la qualité de celui-ci, souvent à durée déterminée et à temps partiel.
Après l’insertion professionnelle, le domaine où les impacts positifs sont importants est l’estime de soi (51 % des emprunteurs).
Une des finalités affichées du microcrédit personnel garanti est l’amélioration de l’inclusion bancaire des populations concernées. C’est un domaine où les impacts sont négatifs au regard des attentes. Ainsi, 16 % seulement des emprunteurs estiment que le microcrédit a un impact positif sur leur situation bancaire. De manière plus fine, seuls les emprunteurs ayant fait un microcrédit pour rembourser leurs dettes estiment que celui-ci a eu des impacts positifs sur leur inclusion bancaire.
Les impacts de la mise en oeuvre du microcrédit personnel concernent également deux autres acteurs essentiels pour ce dispositif : les réseaux- accompagnateurs comme le Secours catholique, les Restos du cœur et les réseaux-prêteurs comme la Fédération des Caisses d’épargne, les Crédits municipaux. Les accompagnateurs et les prêteurs assurent, dans des proportions variables, l’établissement des diagnostics des demandes de prêts et le suivi des emprunteurs.
Un des résultats les plus intéressants est qu’au-delà des difficultés de la mise en place de ce type de crédit, près des trois quarts des prêteurs et plus de la moitié des accompagnateurs déclarent avoir modifié leurs perceptions et leur compréhension de la pauvreté. Ils sont plus nombreux à considérer que la faiblesse des ressources en comparaison du niveau des dépenses incompressibles et le manque de compétences budgétaires sont les deux principales causes des difficultés financières de ces populations.
Dans tous les cas, les accompagnateurs et les prêteurs sont unanimes à reconnaître l’importance du suivi des emprunteurs que ce soit le suivi » bancaire » lié à la tenue des budgets et le suivi « social » lié au risque d’impayés. Le suivi prend en compte les aléas que peuvent rencontrer les emprunteurs pendant la période de remboursement. En cas d’impayé, il est important que les accompagnateurs et les prêteurs soient disponibles pour venir en aide aux emprunteurs en difficulté.