Des manipulations présumées révélées en mai 2013
A l’origine de ce nouveau scandale, les déclarations d’un opérateur auprès du régulateur anglais, la Financial Conduct Authority (FCA), en mai 2013. Ce dernier avait informé la FCA de pratiques répréhensibles opérées par plusieurs professionnels sur le marché des changes. Des déclarations reprises quelques jours plus tard par Bloomberg (lien en anglais).
Selon cet informateur, certains traders manipuleraient depuis plus de 10 ans l’indice WM/Reuters, taux de référence sur le marché des changes. Leur objectif : racheter moins cher des devises vendues l’heure précédente à un prix plus élevé, afin d’empocher la différence entre les deux taux. Exprimé en ces termes, jusqu’ici rien de délictueux. C’est dans la méthode de calcul de l’indice que résident les soupçons de manipulation. Ce dernier est calculé pour 160 monnaies, sur la base de la médiane de l’ensemble des transactions enregistrées pendant les 60 secondes précédant chaque nouvelle heure de transaction.
Le taux de change euro/dollar applicable aux transactions effectuées tel jour entre 9 et 10 h est celui qui résulte de la médiane des transactions effectuées entre 8h59 et 9h.
Si le volume des opérations réalisées n’est pas suffisant, ce sont les ordres d’achat et de vente réalisés par les traders eux-mêmes qui déterminent la valeur de l’indice. Plusieurs d’entre eux se seraient ainsi entendus sur les ordres à passer via des « chatrooms » (forums de discussion sur Internet) afin d’influencer les principaux taux de change : l’euro dollar, la livre sterling, le franc suisse, le dollar australien et quelques monnaies scandinaves. Une fois les 60 secondes écoulées, des profits substantiels sur des milliers d’opérations auraient ainsi été réalisés au détriment des autres intervenants du marché, tels que les fonds de pensions ou d’autres investisseurs institutionnels qui se servent de cet indice pour valoriser leurs actifs libellés en devises étrangères.
A cela s’ajoutent les caractéristiques du marché des changes, un marché opaque, peu régulé, fonctionnant 24 heures sur 24 sans place de marché (la plupart des opérations y sont effectuées de gré à gré et dont les volumes de transactions, de l’ordre de 5 300 milliards par jour, sont pour moitié le fait de quatre banques : Deutsche Bank, Citigroup, Barclays, et UBS selon Euromoney Institutional Investor.
Une enquête menée conjointement aux États-Unis, en Europe et à Hong-Kong
Suite à ces déclarations, la FCA a immédiatement décidé d’ouvrir une enquête le 12 juin 2013. Le 4 octobre, c’est au tour de la Finma, autorité des marchés suisse, et de la commission de la concurrence helvétique de lancer une procédure. Elles seront suivies moins de deux semaines plus tard par les autorités européennes de la concurrence et par le département de la justice américaine. Depuis, on dénombre une douzaine de procédures menées conjointement aux Etats-Unis, au sein de l’Union Européenne, à Hong-Kong et en Suisse sur une dizaine de banques dont Barclays, Citigroup, Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, HSBC, JPMorgan Chase, Lloyds, Royal Bank of Scotland (RBS), Société Générale et Standart Chartered.
Des cambistes licenciés
Certaines banques suspectées ont assuré collaborer avec les autorités en charge des investigations, à l’image de Barclays qui déclarait dans un récent communiqué examiner « ses opérations sur le marché des changes sur une période de plusieurs années jusqu’à août 2013″ et coopérer « avec les autorités compétentes dans leurs investigations« .
D’autres se sont refusées à tout commentaire. Néanmoins, certains licenciements ou démissions de cambistes, une vingtaine au total depuis la révélation de ce scandale, laissent peu de doutes sur l’issue des enquêtes. De son côté, la FCA a d’ores et déjà indiqué qu’elle poursuivrait sans doute sa procédure jusqu’en 2015.
Les risques encourus
S’agissant des risques encourus, ils dépendent des législations en vigueur dans chacun des pays où une enquête préliminaire a été lancée.
Aux États-Unis, les manipulations de cours sont passibles d’une peine de plusieurs années d’emprisonnement et de lourdes sanctions pécuniaires.
En Suisse, la loi a récemment été renforcée. Depuis le 1er mai 2013, les manipulations de cours et les délits d’initié sont désormais considérés comme des crimes.
Dans l’Union Européenne, la législation s’est également durcie au cours des derniers mois. Pour la première fois, des auteurs de délits d’initiés, de manipulations de marché et de divulgations d’informations confidentielles ou fausses seront passibles d’une peine d’emprisonnement dans toute l’Union Européenne, selon une directive adoptée par le Parlement Européen le 4 février 2014, qui devrait être publiée d’ici le mois de juin pour une transposition dans chaque Etat membre dans les deux ans. Jusqu’ici, ces abus n’étaient pas pénalement sanctionnés dans certains Etats membres. Par ailleurs, le champ d’application des règles européennes relatives aux abus de marché s’étend désormais aux instruments financiers négociés sur des systèmes multilatéraux de négociation et sur d’autres types de systèmes organisés de négociation, aux produits négociés de gré à gré, ou encore aux indices de référence sur les marchés tels que le Libor ou l’Euribor.
Des évolutions législatives impulsées par le scandale du Libor révélé à l’été 2012 dont les sanctions prononcées (voir notre actualité : Libor et Euribor, des manipulations sanctionnées) devraient sans doute inspirer les autorités en charge de cette nouvelle affaire.