Animée par Jean Marc Vittori, éditorialiste aux Echos, elle réunissait :
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Patrick Artus, Directeur de la Recherche et des Etudes de Natixis,
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Henri Guaino, député des Yvelines,
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Selma Mahfouz, Commissaire générale adjointe à la stratégie et à la prospective,
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Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de Force ouvrière,
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Valérie Rabault, Rapporteure générale du budget de l’Assemblée Nationale.
Claude Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale, ouvre le débat en rappelant que l’objectif est aujourd’hui de « conserver le modèle social de la France« . Dès lors, les interrogations doivent porter sur les méthodes pour y parvenir : « trouver un compromis entre croissance et dépenses, entre sauvetage du modèle social et désendettement, c’est le défi du gouvernement actuel« .
En guise d’introduction, Jean-Marc Vittori rappelle que pour rééquilibrer les finances publiques, deux principaux leviers d’action se présentent : la fiscalité (augmenter les impôts pour accroitre les recettes fiscales), et les dépenses publiques : « les réduire est souhaitable même si dans certains pays, cette conduite a eu des effets négatifs, en Grèce notamment« .
L’effet de la réduction des dépenses publiques sur la croissance reste à démontrer
En 2013, les dépenses publiques représentent en France 57 % du PIB contre 49 % du PIB en moyenne dans l’Union européenne, rappelle Selma Mafhouz.
Or, il s’agit avant tout de comprendre d’où viennent ces écarts. Pour Salma Mafhouz, ils sont d’abord liés aux différents modèles sociaux mis en place en Europe. Certains pays, comme la France, se donnent pour objectif de « socialiser davantage la dépense » pour répondre à des préférences collectives. Par exemple, la volonté de disposer d’un système éducatif public et gratuit. D’autre part, ces écarts peuvent s’expliquer par les différences objectives de situation entre les pays européens (population, mode de vie, etc.).
Enfin, l’efficacité des dépenses publiques permet également de justifier ces écarts. Pour un même niveau de dépenses, certains pays sont plus efficaces que d’autres. Sur ce point, Salma Mafhouz considère qu’il faut d’abord définir la dépense et identifier clairement ses objectifs : « En France, les dépenses de santé sont élevées. Or, si on les compare à d’autres pays européens, on s’aperçoit que le système n’est pas si performant, on peut donc penser que des gains d’efficacité sont encore possibles et qu’il existe d’autres moyens d’action que la dépense publique« .
Une fois ces facteurs présentés, Salma Mafhouz s’interroge sur l’effet de la réduction des dépenses publiques sur la croissance : »au sein de l’OCDE, entre 1990 et 2007, 17 pays ont réduit leurs dépenses publiques d’au moins 3 points de PIB sur trois ans« . Dans certains Etats, ces mesures ont eu un impact positif sur la croissance mais dans d’autres, elles ont eu des effets nuls voire négatifs. Plusieurs facteurs peuvent atténuer l’effet de la réduction des dépenses publiques sur la croissance tels que l’évolution des taux d’intérêt, l’anticipation des agents, la nature des dépenses ou encore la crédibilité des mesures politiques et des réformes structurelles.
La réduction des dépenses publiques ne doit pas être un objectif en soi…
Pour Patrick Artus, le niveau de la dépense publique ne doit pas être un objectif en soi : »les deux objectifs que nous devons avoir en tête c’est la baisse de la dette et l’efficacité de la dépense publique ».
En ce qui concerne la dette, certains considèrent qu’au-delà d’un certain niveau d’endettement public (90 % du PIB), la croissance d’un pays est menacée (étude de Rogoff et Reinhart conduite en 2009 : Growth in a time of debt). Même si certains de leurs calculs ont été remis en cause, cette relation est, selon Patrick Artus, aujourd’hui avérée. Face à un objectif de croissance, la première contrainte est donc celle de l’endettement.
S’agissant de l’efficacité des dépenses publiques, il faut s’interroger sur l’écart entre un niveau d’efficacité des dépenses publiques optimal, c’est à dire le niveau de dépenses publiques pour lequel la qualité des services est optimale, et le niveau d’efficacité réel : « en France, il semble que le niveau des dépenses publiques soit 10 % plus élevé que celui qui devrait permettre d’obtenir la même qualité de services« .
Par ailleurs, un autre exercice intéressant pour estimer l’impact de la réduction des dépenses publiques sur la croissance consiste à observer la situation des pays ayant effectué ce type de réformes dans le passé. Depuis 1980, huit pays ont réussi à conjuguer croissance économique et réduction des dépenses publiques: il s’agit du Canada, du Danemark, de l’Espagne, des Etats-Unis, de la Finlande, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Suède. Tout en bénéficiant d’un environnement économique favorable, ces pays se sont concentrés sur la baisse des dépenses publiques sans augmenter leurs prélèvements obligatoires. Les ménages anticipant qu’ils paieront moins d’impôts ont augmenté leur consommation. Conjugués à une politique monétaire expansive (baisse des taux d’intérêt) et à une dévaluation des taux de change dans un environnement économique porteur, ces éléments ont permis d’augmenter les exportations et de stimuler l’investissement.
Dans ce contexte, on peut considérer que la France dispose aujourd’hui de taux d’intérêt relativement bas et d’une volonté de réduire les dépenses publiques tout en maintenant stable le niveau des prélèvements obligatoires. Néanmoins, la politique monétaire étant laissée à la discrétion des autorités européennes, il est difficile d’agir sur les taux de change : »l’euro est surévalué de trois points en moyenne, il va donc nous manquer l’aspect change« .
Enfin, dans toute politique de baisse des dépenses publiques, »on doit réfléchir à l’effet des modalités techniques sur l’économie à court terme« .
Par exemple, si on décide de réduire les dépenses de retraite, les ménages vont baisser leur niveau de consommation pour augmenter leur épargne. Cependant, si on décide d’augmenter l’âge de la retraite, on va dans ce cas assister à une baisse du niveau d’épargne. Ces éléments ne sont pas sans conséquences sur l’économie.
… contrairement à la croissance
Pour Jean-Claude Mailly, la baisse des dépenses publiques peut avoir des effets négatifs sur les rentrées fiscales. Selon lui, il faut avant tout redéfinir les objectifs de la dépense publique avant de s’interroger sur son niveau : »la baisse de la dépense publique n’est pas un objectif en soi, tout comme celui du déficit public« .
Un avis partagé par Valérie Rabault : »la baisse des dépenses publiques doit être un moyen car l’objectif final, c’est celui de la croissance« . Elle rappelle notamment qu’il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur l’idée que la réduction de la dépense publique engendrerait automatiquement une relance de l’économie : »Il faut inventer cette méthode car il n’existe pas de recette magique […] la méthode du rabot n’est pas la bonne car c’est anxiogène […] c’est un point de rupture qu’il faut éviter dans la gestion des finances publiques« .
Pour Henri Guaino, « commencer un débat portant sur l’économie par la question des dépenses publiques est une erreur » car il existe deux types de dépenses publiques, les dépenses courantes que la puissance publique doit nécessairement prendre en charge, et les dépenses d’investissement qui à long terme doivent pouvoir rapporter de l’argent à l’Etat. Etant donné que la plupart des dépenses sont aujourd’hui contraintes, »on ne peut pas réduire le problème économique français aux dépenses publiques« . S’agissant des dépenses d’investissement, Henri Guaino rappelle qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France était endettée à hauteur de 200 % de son PIB. Pourtant, paradoxalement, le choix politique s’est porté sur une hausse des dépenses d’investissement pour relancer la croissance. Selon lui, il faut donc éviter l’approche strictement comptable des dépenses publiques et reconsidérer leurs effets et leurs objectifs dans le contexte économique actuel citant à cet égard Maurice Allais, économiste français, « dans le calcul économique, seul l’avenir compte« .