Retour sur les enjeux de cette bataille boursière.
Pourquoi la première OPA ?
Une OPA a pour objet de racheter en bourse les actions d’une entreprise en vue d’obtenir la majorité du capital et des droits de vote. L’OPA porte sur la totalité des titres cotés et peut donc aboutir, si tous les actionnaires apportent leurs titres, à une situation dans laquelle le capital de l’entreprise est détenu par un seul et unique actionnaire entrainant de facto une radiation du titre de la cotation.
L’intérêt pour un investisseur de lancer une OPA est de prendre le contrôle de la société pour imposer ses vues à l’assemblée générale et ainsi lui permettre de décider de la stratégie à mettre en œuvre ainsi que de nommer les instances dirigeantes en charge de la gestion de l’entreprise.
La première OPA lancée en 2013 par les principaux actionnaires du Club Med à l’époque (Ardian et FOSUN détenaient ensemble environ 20 % du capital et 25 % des droits de vote) avait pour objectif, selon les propres termes du Président-Directeur Général Henri Giscard d’Estaing qui soutient leur offre, de retirer le groupe de la cotation pour lui permettre de « s’affranchir des contraintes de court terme » et d’accélérer sa mondialisation à travers la conquête de nouveaux clients en dehors de l’Europe, et notamment en Chine et dans les pays émergents (Russie, Inde, Brésil, Afrique du sud).
Le but était donc, une fois l’OPA réalisée, de racheter l’ensemble des titres Club Med qui n’auraient pas été apportés, via une OPR, et de retirer le titre de la cote pendant quatre ou cinq ans.
Cela aurait donné le temps à l’équipe dirigeante du Club Med de réaliser les investissements nécessaires à sa stratégie de conquête, d’obtenir les résultats escomptés en termes de développement de la clientèle, de rentabiliser l’opération (les premières années auraient sans doute été marquées par des pertes importantes compte tenu des investissements projetés), puis de revenir en bourse avec à la clé une belle plus-value espérée pour les initiateurs du projet.
Les faiblesses de l’offre initiale
La pertinence de l’analyse stratégique sous-jacente à l’opération – à savoir accélérer le développement de l’entreprise sur les marchés à fort potentiels en dehors de l’Europe- n’est pas contestée. En effet, le Club Med reste trop dépendant d’une implantation trop européenne de ses villages, alors que cette zone géographique souffre d’un déficit de croissance et d’un moindre potentiel de développement de la clientèle par rapport à l’Asie, le Brésil ou l’Afrique du sud.
Néanmoins, l’OPA « amicale » (dénommée ainsi car acceptée par l’entreprise cible de l’opération) d’Ardian et FOSUN n’est pas apparue très intéressante pour les petits porteurs. En effet, l’opération à été proposée au prix de 17 euros par action soit une prime de plus de 28% par rapport au cours de l’action au moment de son annonce. Bien que l’offre ait été relevée à 17,5 euros par action par la suite, elle restait inférieure à la valeur intrinsèque du Club Med selon certains actionnaires minoritaires représentés par l’ADAM (association de défense des actionnaires minoritaires) et la société de gestion CIAM. Ces derniers ont alors décidé de déposer un recours devant la Cour d’appel de Paris pour obtenir l’annulation du projet d’OPA qui avait été validé par l’AMF.
Ce recours a eu pour conséquence de suspendre l’OPA pendant neuf mois, entre juillet 2013 et avril 2014, date à laquelle la Cour d’appel de Paris a décidé de le rejeter.
Or, entre-temps, dans le sillage de la bonne tenue de la Bourse en général, le cours de l’action Club Med s’est sensiblement apprécié, au point de dépasser largement le prix proposé par Ardian et FOSUN. Ces derniers ont toutefois déclaré qu’ils n’entendaient pas relever leur offre, ce qui de facto la condamnerait à l’échec.
Pourquoi une contre OPA ?
Alors que l’OPA amicale était ouverte jusqu’au 23 mai 2014, Andrea Bonomi annonce qu’il a acquis sur le marché plus de 10 % du capital du Club Med, et déclare qu’il est prêt à monter jusqu’à 29,9 % du capital en cas d’échec de l’OPA Ardian/FOSUN.
Sommé par l’AMF de préciser ses intentions avant le 30 juin, il décide finalement de lancer une contre-OPA à un prix très supérieur à celui de la première offre (21 euros par action). Son offre, non sollicitée (c’est à dire qu’elle émane du seul investisseur italien, sans que celui-ci ait obtenu au préalable l’aval du conseil d’administration du Club Med) valorise ainsi le Club Med à 790 millions d’euros, contre seulement 558 millions d’euros pour l’offre concurrente.
Les raisons de cette contre OPA sont de deux ordres :
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D’une part, l’homme d’affaire italien considérait, comme l’ADAM et la société CIAM, que le prix initialement offert par l’OPA Ardian/FOSUN était trop faible par rapport à la valeur intrinsèque de l’entreprise.
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D’autre part, Andréa Bonomi, qui a eu accès aux comptes détaillés de l’entreprise, juge que le Club Med a été mal géré, qu’il n’est pas assez présent en Europe méditerranéenne, notamment en Espagne et que sa rentabilité pourrait être sensiblement plus élevée si la formule du « tout compris » des clubs était abandonnée au profit de la consommation à la carte. En accord avec l’idée de développer l’offre dans les pays émergents, il pense néanmoins être davantage en mesure d’accroître la valorisation du titre Club Med s’il parvenait à en prendre le contrôle.
Une surenchère en perspective ?
L’offre d’Andréa Bonomi, via sa société Investindustrial, doit être examinée par le conseil d’administration du Club Méditerranée et l’AMF devra fixer un nouveau calendrier pour les deux offres, puisque celle d’Ardian/FOSUN court toujours.
Toutefois, il ne peut être exclu que cette dernière (17,5 euros par action) soit relevée pour prendre en compte l’offre de l’homme d’affaire italien, qui est nettement supérieure (21 euros par action). En l’état actuel des choses, si Ardian/FOSUN ne relèvent pas leur offre, ils risquent fort en effet de perdre cette bataille boursière. Le marché, quant à lui, croit à une surenchère puisque le cours de l’action Club Med a dépassé les 21 euros.