Economie réelle versus économie virtuelle: quelles réalités, quels défis ?
Etaient présents au tour de table : Sylvie Matelly (Directrice de recherche à l’IRIS), Karine Berger (Députée des Hautes Alpes, membre de la Commission des finances), Nicolas Dungan (Senior advisor à l’IRIS notamment) et Michel Edouard Leclerc (PDG de E. Leclerc).
Les intervenants ont souligné l’absence de séparation claire entre « économie réelle » et « économie virtuelle ». Les deux sont intimement liées. Ce qui est désigné comme économie virtuelle n’est en fait souvent que la traduction de certaines activités jugées immorales, comme la spéculation financière par exemple. Elle est virtuelle car elle ne repose pas sur des échanges commerciaux effectifs. Il est frappant de constater que dans l’esprit de beaucoup, l’économie réelle se pare d’une certaine noblesse face à une économie virtuelle qui serait douteuse, empreinte d’une suspicion amorale. « Faire de l’argent avec de l’argent » ou « faire de l’argent en dormant », heurte les croyances occidentales profondément ancrées qui relient l’argent au travail, à l’effort.
Nicolas Dungan a émis l’idée qu’il ne convenait pas tant de changer de modèle économique que de changer de mentalité. Opposer l’économie réelle à l’économie virtuelle serait un faux débat. Selon lui, le secteur financier est un secteur économique comme un autre. Ce qui est important à ses yeux, c’est de ne pas traiter différemment les deux économies. Car l’économie virtuelle recouvre également les innovations actuelles en matière d’économie, comme l’économie de partage, le crowdfunding (ou financement participatif), la prise en compte du développement durable ou de la responsabilité sociale d’entreprise (RSE).
Michel Edouard Leclerc a souligné que la spéculation ne date pas de l’économie virtuelle. Nous assistons aujourd’hui à une fusion des marchés du fait de la mondialisation. Il convient de sortir de la position moralisatrice et de relocaliser les lieux de décision. Il convient également de reposer la question de la responsabilisation. Pourquoi remettre en cause des instruments financiers tels les Soficas alors qu’elles participent au financement du cinéma ? Il convient également d’accompagner la mutation économique vers plus de collaboration, de mutualisation.
Karine Berger a souligné que la France est le seul pays à avoir fait se séparer les activités bancaires (banque de détail/banque d’investissement).
Vers quels nouveaux modèles de développement économique ?
Participaient au tour de table : Manuel Cerezal (Professeur à l’Université de Caracas), Jacques Généreux (Maître de conférence à Sciences Po Paris), Hugues de Jouvenel (Président de Futuribles International), Laurence Parisot (Vice-présidente de l’IFOP) et Benoît Hamon (ex-Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche).
Selon Jacques Généreux, il n’est pas besoin d’un nouveau modèle de développement économique. La société est déjà en « sur-développement ». L’idée longtemps partagée d’un progrès social lié à l’abondance de biens a trouvé ses limites dans les conflits mondiaux, l’épuisement des ressources naturelles, la destruction des liens sociaux. L’avenir est une société de progrès humains : une société conviviale et solidaire. Il conviendrait de créer des indicateurs de progrès humain basés sur l’égalité, la liberté, la solidarité ou convivialité, les exigences écologiques. Mais comment traduire ce progrès en termes économiques ?
Hugues de Jouvenel pose la question de la représentation de la crise. Nous assistons à la transition entre deux mondes : le modèle économique de l’OCDE, occidental, réservé à une minorité, celui du toujours plus, qui n’en finit pas de mourir, et un autre modèle de développement basé sur la transition énergétique (le développement durable), la société post-carbone, l’économie circulaire… Trois dimensions doivent être prises en compte: l’écologie, le progrès social (égalité ou équité ?), la performance économique. Il serait nécessaire de repenser nos instruments de mesure. Il serait important d’examiner le contenu de la croissance plutôt que son taux.
Laurence Parisot témoigne de son expérience, notamment à travers ses fonctions à l’IFOP. A la question des nouveaux modèles, elle répond en distinguant les aspects macro et micro économiques. Y-t-il un nouveau modèle macro-économique ? Oui, la Chine. C’est un modèle étatique, non démocratique, défavorisant les libertés individuelles, mais ayant permis de mettre fin à la pauvreté. C’est un modèle où la planification a un rôle important et qui fonctionne. Par ailleurs, de nouveaux modèles de développement micro-économiques s’étendent: les logiques coopératives, l’économie solidaire, le low-cost… La transformation majeure est la prise en compte mondiale de la dimension écologique, notamment par les nouvelles générations.
Benoît Hamon a principalement partagé sa conviction d’une croissance modeste, humble, génératrice d’emplois et plus écologique. Deux enseignements peuvent être tirés de la crise : les puissances publiques ont des capacités d’action en recul et les visions court terme en entreprise doivent évoluer vers un modèle plus tempérant, plus long. Le développement de l’économie sociale et solidaire est nécessaire.