Un montage financier audacieux
Se fondant sur l’idée que ni la Commission européenne, dont le budget est limité, ni les Etats membres, aux prises avec de fortes contraintes budgétaires, n’ont les moyens de financer en direct le montant des investissements projetés, le plan recourt à la technique de l’effet de levier. Cette technique consiste à créer un fonds dédié, le Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (FEIS), doté d’un capital limité à 5 milliards d’euros apportés par la Banque Européenne d’Investissement (BEI), et auquel la Commission européenne accordera sa garantie à hauteur de 16 milliards d’euros. Au total, ce seront donc 21 milliards d’euros qui pourront être utilisés pour financer des projets d’investissement. Mais comme la BEI, qui gèrera le FEIS, financera les projets par recours à l’emprunt, les 21 milliards d’euros portés au FEIS pourront se transformer en 63 milliards d’euros de prêts : la qualité de la notation de la BEI -« triple A », soit la meilleure note attribuable possible- devrait lui permettre en effet de lever des capitaux d’un montant trois fois supérieurs aux ressources du FEIS.
Le plan Juncker table en outre sur un effet d’entraînement de l’argent européen pour inciter les investisseurs privés à cofinancer les projets qui seront retenus, et ce à raison d’un rapport de 5 euros de fonds privés pour 1 euro d’apport du FEIS. C’est ainsi que l’on passe de 63 milliards d’euros de prêts accordés par ce dernier à 315 milliards d’euros de financements total, soit un multiple de 15 par rapport aux 21 milliards d’argent public qui seront effectivement mis en place au niveau européen.
Ce multiple de 15 n’a pas été choisi au hasard : en 2012, le capital de la BEI avait été augmenté de 10 milliards d’euros et avait pour ambition de prêter 60 milliards d’euros et de déclencher 120 milliards d’euros de cofinancements privés/publics supplémentaires, soit un effet de levier (ou multiple) de l’ordre de 18.
Financer des projets risqués mais porteurs
Le plan de relance de l’investissement européen est destiné à financer des projets utiles, créateurs de nombreux emplois, rapides à mettre en œuvre, et qui jusqu’à présent n’arrivaient pas à trouver de financement en raison du fait qu’ils sont considérés comme trop risqués, c’est à dire avec une rentabilité finale jugée aléatoire. Les infrastructures numériques (très haut débit) ou énergétiques (gazoducs), les transports, l’éducation ou la recherche et développement entrent typiquement dans cette catégorie d’investissements ciblés par le plan Juncker.
Une partie du dispositif serait réservée aux PME et ETI pour un montant de 75 milliards d’euros.
Les projets seront choisis par un comité d’experts indépendants de façon à éviter l’interférence du monde politique dans la prise de décision, car cela risquerait d’aboutir à un « saupoudrage » des financements peu attrayant pour les investisseurs privés. C’est ainsi qu’il ne sera octroyé aucun quota par pays et que la règle de décision du comité devra être celle de la qualité intrinsèque des projets à financer.
Les premiers financements pourraient être réalisés dès le milieu de l’année 2015.
Un plan controversé
Plusieurs critiques ont suivi l’annonce du plan d’investissement projeté par le Président de la Commission européenne.
Une première critique porte sur le fait que la majeure partie du financement de ce plan repose sur des apports d’argent privé dont on ne sait pas s’ils répondront présents le moment voulu et que les effets de levier des sommes qui seront initialement engagées par le FEIS semblent surestimés. En 2012 déjà, la Commission européenne avait présenté un « pacte de croissance ». D’un montant de 120 milliards d’euros effet de levier compris, il avait lui aussi l’ambition de relancer l’économie européenne. Or, à ce jour seuls 60 milliards d’euros ont finalement été réalisés.
La deuxième critique insiste sur le fait que le plan manque d’ambition. En effet, 315 milliards d’euros ne représentent que 2 % du PIB européen. Or, à titre de comparaison, le plan de relance de 800 milliards de dollars initié en 2009 par Barack Obama atteignait 5 % du PIB des Etats-Unis. Et il s’agissait en outre d’une relance budgétaire.
Aussi, beaucoup doutent que le plan Juncker sera suffisant pour relancer la croissance et diminuer le chômage en Europe dans les proportions annoncées.