La Banque Nationale Suisse (BNS) a subitement décidé jeudi d’abandonner le cours plancher de 1 euro pour 1,20 franc suisse qu’elle avait mis en place en septembre 2011 pour lutter contre l’appréciation de sa monnaie, à une période où l’incertitude qui prévalait sur les marchés financiers faisait passer le franc suisse pour une valeur refuge aux yeux des investisseurs internationaux. La forte appréciation de la monnaie helvétique faisait en effet courir un risque de perte de compétitivité du pays en raison de la forte exposition de nombreuses firmes à la concurrence internationale et de l’impact potentiellement déflationniste des importations de produits énergétiques libellés en devises. La défense du cours plancher impliquait pour la BNS d’acheter régulièrement des euros contre des francs suisses sur le marché des changes.
Krach boursier à Zurich
Les investisseurs ont été pris de court par cette décision à laquelle ils ne s’attendaient pas et qui n’a pas été précédée de signal d’action de la part des autorités monétaires suisses. Aussi, la hausse du franc suisse contre l’euro qui s’en est suivie a immédiatement mis en difficulté de nombreux opérateurs (hedge funds essentiellement) qui prenaient systématiquement des positions vendeuses sur la monnaie helvétique. Afin de pouvoir faire face à leurs obligations, ces opérateurs ont été contraints de vendre leurs actifs libellés en franc suisse, et notamment des actions. Le mouvement vendeur sur les actions suisses a été par ailleurs amplifié par le fait que la hausse du franc suisse est de nature à pénaliser les exportations et donc les résultats des principales sociétés helvètes. Les plus grosses sociétés suisses cotées à la bourse de Zurich ont alors vu leurs cours s’effondrer littéralement en quelques heures et l’indice SMI 25 a chuté de plus de 9 %.
Un phénomène de « fuite vers la qualité » s’est alors instauré, les investisseurs achetant massivement des obligations de l’Etat suisse dont les rendements ont immédiatement chuté et abordé un terrain négatif pour celles dont la durée est inférieur à 10 ans.
Interrogations sur les motivations de la BNS
Le fait que les autorités monétaires suisses aient décidé brutalement d’abandonner le cours plancher du franc suisse face à l’euro, sans communication préalable, soulève des interrogations quant aux motifs de cette décision.
L’explication la plus probable est que la BNS ait voulu agir avant que la BCE annonce le lancement d’un vaste programme d’achat de titres de dettes souveraines émises par les Etats membres de la zone euro. Attendue pour la réunion du Conseil des gouverneurs du 22 janvier prochain, cette annonce de la BCE est en effet fortement susceptible d’entraîner une baisse sensible de la valeur de la monnaie unique. En rompant le lien entre la valeur du franc suisse et celle de l’euro, la BNS s’affranchit de l’obligation d’acheter massivement une devise qui se déprécie et dont les perspectives d’évolution à moyen terme n’apparaissent pas favorables.
Il est probable également que les autorités monétaires suisses, conscientes que leur décision d’abandonner le cours plancher entraînerait un renchérissement du franc suisse sur le marché des changes, aient cherché à contrebalancer cet effet par l’annonce d’une baisse sensible des taux d’intérêt directeurs qui se situaient pourtant déjà en territoire négatif. Le taux de dépôt a ainsi été abaissé de 50 points de base à - 0,75 %. Pourtant, ce geste n’a eu aucun impact sur le cours de la monnaie helvétique qui s’est très fortement appréciée par rapport à l’euro, provoquant des réactions très vives de la part des industriels suisses inquiets pour la compétitivité de leurs produits sur les marchés mondiaux.
En raison d’attaques spéculatives du cours plancher depuis plusieurs mois, le marché s’attendait à ce que la BNS abaisse encore davantage son taux de dépôt, qui se situait déjà en territoire négatif, pour renforcer le dispositif existant. Concrètement, cela aurait eu pour effet de réduire l’attrait du franc suisse et donc de favoriser, par ricochet, l’appréciation de l’euro.
Cependant, personne ne s’attendait à l’abandon du cours du plancher sans mise en garde préalable. Le franc suisse s’est apprécié très rapidement par rapport à l’euro, de plus de 13 % dans la journée.