Une mesure forte pour relancer l’inflation
Depuis près de deux ans, le taux d’inflation annuel en zone euro s’inscrit régulièrement à la baisse et se situe depuis mi-2013 très en-dessous de l’objectif de moyen terme d’un niveau inférieur mais proche de 2 % fixé à la BCE par les traités. La dernière estimation publiée par Eurostat pour le mois de décembre 2014 faisait même apparaître un indice des prix en territoire négatif pour la zone euro (- 0,2 % en rythme annuel).
Face à cette situation, et constatant que ses précédentes mesures (baisse de ses taux directeurs à des niveaux proches de zéro, achats d’actifs auprès des banques de la zone euro) se sont révélées insuffisantes pour relancer la distribution du crédit et l’inflation en zone euro, le conseil des gouverneurs a décidé de recourir à la dernière arme à sa disposition, l’assouplissement quantitatif, qui consiste à injecter des montants importants de liquidités dans le système financier -généralement via des rachats de titres obligataires souverains – afin que celui-ci dirige ses financements vers le secteur privé (achat d’obligations « corporate » ou d’actions , distribution de crédit aux entreprises ou aux ménages).
Les montants annoncés par Mario Draghi, le président de la BCE, lors de sa conférence de presse montrent la forte détermination de la banque centrale à combattre le risque de déflation en zone euro et à faire remonter le taux d’inflation annuel à un niveau proche de 2 %. Les quelque 1 100 milliards d’euros représentent en effet 50 % du PIB d’un pays comme la France et environ 12 % du PIB de la zone euro. En outre, Mario Draghi a précisé que si au terme de ce programme, à la fin septembre 2016, le taux d’inflation annuel en zone euro n’était pas revenu au niveau souhaité, le programme d’assouplissement quantitatif serait prolongé jusqu’à ce que son objectif soit atteint.
Des modalités assez complexes
Le programme d’assouplissement quantitatif annoncé par Mario Draghi porte sur le rachat d’obligations souveraines (émises par les Etats de la zone euro) et privées (émises par les grandes entreprises de la zone euro) sur le marché secondaire de ces titres. Il ne s’agit pas, pour la BCE, de procéder à l’achat en direct, sur le marché primaire, des obligations d’Etat. Cela est en effet formellement interdit à la BCE par ses statuts. Ainsi, il n’y aura pas de financement monétaire des déficits budgétaires des Etats membres de la zone euro, contrairement à ce qui s’est passé aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni où la FED et la Banque d’Angleterre avaient acheté les obligations du Trésor nouvellement émises dans le cadre de leurs programmes d’assouplissement quantitatif. Mais contrairement aux mesures précédentes, la BCE ne se contente pas d’acheter les obligations détenues par les banques, elle intervient directement sur le marché.
80 % des achats effectués par les Banques Centrales Nationales
La BCE a par ailleurs édicté des règles spécifiques pour son programme de rachats d’obligations. Ainsi, 80 % de ceux-ci seront réalisés par l’intermédiaire des Banques Centrales Nationales des pays de la zone euro (la Banque de France pour la France) qui supporteront le risque de défaillance de l’émetteur national. Seuls 20 % des rachats d’obligations seront effectués par la BCE elle-même.
Ceci signifie qu’il n’y aura qu’une faible mutualisation des risques pris par la BCE sur les 1100 milliards d’euros qu’elle prévoit d’injecter dans l’économie européenne. Il est vraisemblable que cette mesure a été prise afin de rassurer certains membres du conseil des gouverneurs, comme le président de la Bundesbank, qui craignent que la défaillance d’un pays de la zone euro – notamment la Grèce- oblige les autres Etats à renflouer la BCE.
Division des risques
Par ailleurs, le conseil des gouverneurs a établi des limites aux rachats d’obligations qui seront opérés. Afin de limiter le montant de ses créances sur un même débiteur, et donc réduire son risque de contrepartie, la banque centrale n’acquerra pas plus du tiers du total de la dette de chaque émetteur. En outre, la BCE n’achètera pas plus du quart de chaque échéance. La fixation de ces deux seuils lui permet de limiter encore davantage son exposition au risque de défaillance d’un émetteur.
Enfin, les achats d’obligations seront réalisés au prorata de la détention du capital de la BCE par les BCN. La Bundesbank et la Banque de France en détenant les pourcentage les plus élevés (respectivement 25,6 % et 20,1 %), les obligations des états allemands et français seront donc celles qui seront le plus rachetées par l’Eurosysteme. De fait, les obligations de la Grèce sont également éligibles a priori au programme de la BCE.
Une efficacité conditionnée
Selon Mario Draghi, le programme d’assouplissement quantitatif annoncé permettra de relancer l’inflation et les anticipations d’inflation en zone euro. Le fait même qu’une quantité très importante de liquidités soit créée par la Banque Centrale Européenne et injectée sur les marchés financiers est de nature à faire baisser la valeur de l’euro. La baisse de la devise européenne sur les marchés des changes, entamée au second semestre 2014, provenait au moins en partie de l’anticipation par les opérateurs sur ces marchés de l’annonce d’un programme d’assouplissement quantitatif par la BCE.
La baisse de l’euro vis-à-vis de l’ensemble des autres grandes monnaies, et notamment du Dollar, devrait donc se poursuivre. Ceci sera favorable à la compétitivité des produits européens et aux exportations. La baisse de l’euro permet aussi de renchérir les prix des produits importés et joue à ce titre un rôle important dans la stratégie de la BCE pour relancer l’inflation dans la zone euro.
Un autre objectif recherché par la BCE est de fournir des liquidités aux banques européennes dans l’espoir qu’elles l’utiliseront pour accorder des crédits aux entreprises et aux ménages.
Conscient toutefois que ce second objectif sera difficile à atteindre dans le contexte économique actuel marqué par une croissance et une consommation en berne, qui n’incite pas les entreprises à déposer des demandes de crédits, Mario Draghi a exhorté les gouvernements des Etats de la zone euro à « utiliser les marges de manœuvre disponibles pour mettre en œuvre des politiques budgétaires plus favorables à la croissance », tout en réaffirmant la nécessité d’engager les réformes structurelles qu’il juge « cruciales ».
La BCE a donc pris une décision historique dans le sens où elle a abattu son ultime arme pour combattre le risque d’apparition de la déflation en zone euro, et que la taille de son programme d’assouplissement quantitatif semble être à la hauteur de l’enjeu. Pour autant, à lui tout seul, ce programme n’est pas suffisant pour relancer l’économie européenne. Les gouvernements et responsables européens doivent également jouer leur partition.