Des particuliers spéculateurs malgré eux
Une filiale de la BNP, BNP Paribas Personal Finance, avait distribué entre mars 2008 et décembre 2009 des prêts immobiliers -dénommés Helvet Immo- dont la particularité résidait dans le fait que, via un montage financier à base d’options, les accédants à la propriété remboursaient leurs prêts en euros alors que leur dette était exprimée, et était donc valorisée, en Franc suisse. A l’époque de leur commercialisation, ces prêts à taux fixes semblaient intéressants car les taux d’intérêt payés en Franc suisse étaient inférieurs aux taux de durée équivalente proposés en euros.
Toutefois, les emprunteurs n’avaient pas été suffisamment informés du fait que le capital emprunté en Franc suisse pouvait évoluer en liaison avec la variation du cours de change de l’euro par rapport à la devise helvète.
En effet, le montant de leur emprunt est libellé en franc suisse, de même que leur tableau d’amortissement, mais ils remboursent en euros, le montant en euros étant calculé à chaque échéance.
Ils couraient donc, et courent toujours pour ceux qui sont toujours endettés, un risque de change et avaient, ce faisant, pris une position spéculative de long terme sans même en avoir conscience.
Avec la crise de l’euro à partir de l’année 2010, le Franc suisse s’était apprécié sur le marché des changes par rapport à la monnaie unique et les particuliers concernés avaient enregistré des premières pertes liées à la revalorisation de leur capital restant dû. La Banque Nationale Suisse (BNS) avait décidé en septembre 2011 de maintenir un cours plancher de l’euro face au Franc Suisse qui avait permis de stabiliser la parité de l’euro vis-à-vis de la monnaie helvète (1 euro pour 1,2 Franc suisse). La décision de la BNS de renoncer à ce cours plancher le 15 janvier 2015 a entrainé une forte chute de l’euro par rapport au Franc suisse . et provoqué par ricochet une nouvelle et forte hausse de la dette des clients ayant souscrit des prêts Helvet Immo de sorte que ce qui à l’origine pouvait apparaître comme une bonne affaire se révèle être un véritable cauchemar. Avant même la récente remontée du franc suisse, l’affaire avait été portée devant le tribunal de grande instance de Paris.
Des collectivités locales prises au piège
La forte hausse du Franc suisse par rapport à l’euro affecte également bon nombre de collectivités locales qui avaient souscrit auprès de Dexia (anciennement Crédit Local de France) des emprunts indexés sur l’évolution de la parité euro / Franc suisse et qui se retrouvent aujourd’hui confrontées à une explosion de leur charge d’intérêts .
Ces emprunts, qualifiés de toxiques, étaient composés d’une partie fixe pendant les premières années, puis d’un taux variable indexé, en tout ou partie, sur l’évolution de la parité euro -franc suisse.
En souscrivant le prêt, la collectivité locale s’engageait d’une part, à rembourser les intérêts du prêt et le capital, et, d’autre part, à payer la différence du cours de change Euro – Franc suisse dans le cas où ce dernier s’apprécierait par rapport à la parité inscrite au contrat.
De nombreuses procédures avaient déjà été engagées par des collectivités locales contre Dexia dès 2010 lorsque l’euro avait été attaqué suite au déclenchement de la crise grecque. A la suite du plan de résolution de l’établissement franco-belge validé en 2012, l’État français a créé en 2013 une nouvelle banque publique, la Société de financement local (SFIL), qui a repris les encours des prêts consentis aux collectivités par Dexia. Le risque bancaire a ainsi été transféré à l’État. Afin d’éviter d’avoir à procéder à une recapitalisation massive de cet établissement, l’Etat a aussi créé en 2014 un fonds de soutien doté de 1,5 milliard d’euros pour permettre aux collectivités qui en feraient la demande de financer les indemnités de rupture prévues au contrat de ces prêts « toxiques » en échange d’un abandon des poursuites engagées ou d’un renoncement à engager une procédure contentieuse.
Le taux maximum de l’aide que peut obtenir une collectivité est de 45 % du montant de l’indemnité de remboursement anticipé (IRA) prévue au contrat. Ce taux est cependant assez théorique car le montant total des IRA éligibles au titre des prêts toxiques de Dexia se montait, fin novembre 2014, à quelque 6 milliards d’euros. Le taux moyen de l’aide que le fonds pouvait accorder ne dépassait donc pas 25 % de l’IRA (1,5 milliard de dotation/6 milliards), aux conditions de marché prévalant fin 2014.
Il semble que la forte hausse du Franc suisse ait fait de facto augmenter le montant des IRA. Dès lors, ce taux moyen risque de se dégrader encore. Si le fonds de soutien n’est pas ré-abondé de façon substantielle, il est à craindre que parmi le millier de collectivités concernées, beaucoup préfèreront poursuivre leur action en justice. Les indemnités à verser pourraient alors être potentiellement élevées pour la SFIL, et au final pour l’Etat.