La portée de l’impact économique du « Brexit » est difficile à évaluer avec certitude. A court terme, le choix exprimé par le Royaume Uni de la sortie de l’Union Européenne est extrêmement perturbateur: dès son ouverture, la place boursière de Londres a déjà perdu plus de 7 %. A plus long terme, ce choix pèsera aussi sur la croissance et l’emploi.
Le Brexit affecte les marchés financiers à court-terme
L’effet sur les marchés financiers est palpable en cette matinée du 24 juin. Les bourses se sont effondrées. Paris – 7 %, Tokyo – 6,67 % et bien sûr Londres – 7,5 %.Voir notre actu : Le Brexit fait plonger les bourses mondiales.
En cette matinée du vendredi 24 juin, la livre sterling enregistre sa plus forte baisse depuis 1985 : elle perd près de 11 % de sa valeur par rapport au dollar US. Selon l’OCDE , la chute s’atténuera et le taux de change effectif de la monnaie britannique sera inférieur à son niveau de référence de 6 % en 2017 et de 4 % en 2018.
L’inquiétude plane sur l’Europe et rejaillit aussi sur le cours de l’euro, fragilisé compte tenu des doutes sur la cohésion de l’Union européenne, qui perd aussi 3 % de sa valeur face au dollar. Un dollar plus fort semble donc être une des conséquences directes du Brexit.
Par effet de balancier, les investisseurs se réfugient vers des actifs jugés plus sûrs : l’or, qui voit son cours augmenter de + 8 % et atteint ce vendredi 24 juin son plus haut niveau depuis juillet 2014 à 1 360$.
L’incertitude règne et les prévisions de croissance ont été revues à la baisse : au lieu d’une croissance de 1,8 % pour 2016 et 2 % pour 2017, les économistes tablent maintenant sur une croissance du PIB britannique de 1,3 % pour 2016 et 0,9 % pour 2017.
Des effets à long terme négatifs pour l’économie britannique
C’est la première fois qu’un pays choisit de quitter l’Union européenne. Toutefois, le Brexit ne se matérialisera pas immédiatement puisque l’article 50 du Traité de l’Union prévoit un délai de deux années (renouvelable) entre la demande de retrait et son effectivité. Ainsi, pendant au moins 2 années, le Royaume-Uni continuera d’être membre de l’UE (et de contribuer à hauteur de 4 930 millions d’euro à son budget annuel !). Dans ce laps de temps, les modalités de la sortie du Royaume britannique devront être négociées entre leaders européens. Seront ensuite renégociés les accords commerciaux, ce qui pourrait prendre jusqu’à 10 années a prévenu le gouvernement britannique. Ainsi, les conséquences économiques d’un Brexit sur l’économie britannique dépendront de l’issue de ces négociations. Certaines études ont cependant cherché à en mesurer les conséquences à long terme pour l’économie britannique. Dans leur ensemble, elles concluent à des impacts plutôt négatifs tant au niveau des échanges commerciaux que de la croissance du PIB ou du revenu par habitant.
La fin du passeport financier
Pour les acteurs financiers, le Brexit constitue un véritable défi. En effet, la City, première place boursière mondiale interagit principalement avec l’Union Européenne, laquelle concentre 41 % des exportations de services financiers contre 26 % pour les Etats Unis, 2 % pour la Chine et Hong Kong. Cela représentait en 2013 19,4 milliards de livres ; un montant, qui, d’après Capital Economics, pourrait être divisé par deux suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne. De plus, le Brexit pourrait obliger les banques britanniques proposant leurs services dans toute l’Union européenne à délocaliser de nombreux emplois sur le continent afin de continuer à y exercer leurs activités puisqu’elles ne pourront plus bénéficier des avantages du passeport européen qui leur assurait jusqu’à présent l’accès direct aux marchés des pays membres . En effet, à l’heure actuelle, une grande partie des institutions financières utilise la City comme base arrière pour accéder au marché européen de la finance, un marché très interconnecté au sein duquel ne subsiste plus de barrières. Le Brexit ôte donc à Londres son rôle de porte d’entrée vers l’Union Européenne.
Impacts sur le commerce
Sortir de l’Union Européenne, c’est quitter le marché unique et un accès privilégié à ses 450 millions d’habitants. A l’heure actuelle, le Royaume-Uni réalise 45 % de ses exportations au sein de l’Union Européenne ; cette dernière étant son plus important partenaire commercial. Du fait de la mise en place de tarifs douaniers, les exportations pourraient baisser de -8,8 % et les importations de -9,4 % par rapport à une situation dans laquelle le Royaume-Uni resterait membre de l’UE. Renégocier des accords commerciaux prendra du temps et rien ne dit que Bruxelles sera aussi complaisante avec le Royaume-Uni qu’elle a pu l’être par le passé. Or maintenir des relations commerciales préférentielles avec l’Union Européenne, malgré des normes jugées souvent trop contraignantes, est vital selon l’étude d’Oxford Economics. En effet, l’impact sur l’attractivité des entreprises britanniques d’une possible restriction de la circulation de biens, de services (et de personnes), par la remise en place de tarifs douaniers par exemple, peut être important et peut se traduire par une baisse importante des investissements (- £21,1 milliards d’ici à 2030).
Des perspectives de croissance négatives à horizon 2030
La majorité des études qui ont été menées sur les conséquences économiques du Brexit concluent à un impact négatif sur le PIB britannique.
Ainsi, Open Europe (un think thank historiquement eurosceptique) estime que le manque à gagner total sur la période 2015 – 2030 du PIB se situerait entre 0,5 % et 1,5 %.L’étude du Trésor britannique est la plus pessimiste et prévoit un manque à gagner d’ici 15 ans de – 9,5 % de PIB.L’étude du cabinet Pwc est plus modérée : elle estime que la croissance cumulée du PIB britannique dans le cas d’un Brexit sera, en 2030, inférieure d’entre 2 % et 5 % à ce qu’elle aurait été si le Royaume-Uni était resté membre de l’UE.Les économistes de l’OCDE estiment à 5 % l’impact négatif sur le PIB du Royaume-Uni à horizon 2030.
Morgan Stanley voit deux principales causes à une croissance ralentie : des investissements différés (- 10 % de l’investissement productif en 2017 et 2018 selon l’OCDE) et la réduction de la consommation des ménages qui augmenteront leur épargne de précaution. Le thème de l’immigration ayant été un argument central à cette campagne de référendum, il se pourrait que le choix de la sortie de l’UE soit aussi le choix d’une économie plus fermée, limitant les flux de travail par des contrôles migratoires renforcés et de capital par la réduction de l’attractivité du Royaume-Uni n’ayant plus un accès direct au marché unique. De plus, la défiance des investisseurs étrangers vis-à-vis de la zone euro après le Bexit pourrait entrainer un ralentissement des entrées de capitaux et baisse des investissements venus de l’étranger. Cela aurait pour effet de limiter la croissance à long terme. Enfin, une étude conduite par la London School of Economics estime par exemple que la baisse du revenu par tête sur la période 2015-2030 pourrait atteindre £ 1 700 par personne (il se situe à £ 14 000/an actuellement).
Ainsi, les études les plus pessimistes, comme celle de l’UBP, parlent d’un risque de récession pour le Royaume-Uni, risque renforcé du fait que la Grande Bretagne accuse d’un important déficit budgétaire (7% du PIB).
Seule issue pour le Royaume-Uni selon Patrick Minford, professeur à l’université de Cardiff : se tourner vers l’international et entrer en concurrence directe avec les pays émergents comme la Chine en éliminant toutes les barrières douanières au sein du Royaume. C’est ce que prône également le think thank Economists for Brexit qui prédit un gain de + 4 % de PIB en 2030 grâce au renforcement du secteur des services, notamment de la finance. (voir « Brexit and Trade : What are the options » par Patrick Minford dans The Economy after Brexit)
L’impact économique et politique du Brexit sur l’Union européenne
Les coûts économiques du Brexit seront sans doute plus importants pour le Royaume-Uni que pour les pays de l’Union Européenne. La croissance pour la zone euro a été revue à la baisse : + 1,5 % en 2016 contre +1,8 % précédemment prévus, et +1,3 % en 2017 au lieu des +1,7 % prévus. Ainsi, selon le groupe Amundi l’impact du Brexit serait de 1,4 % sur la croissance au Royaume-Uni contre 0,3 % sur celle de la zone euro. Le FMI estime que le Brexit pourrait coûter entre 0,2 % et 0,4 % de croissance à l’économie française d’ici 2019, le Royaume-Uni étant le 5e client de la France.
Si l’impact économique du Brexit sur la zone euro devrait rester limité, l’impact politique est quant à lui beaucoup plus important. Les anti-euro ou eurosceptiques gagnent des voix alors que la crédibilité et la confiance dans les institutions européenne s’affaiblissent. La montée des souverainismes se voit encouragée par la décision de la sortie de l’UE du Royaume-Uni et les partis populistes multiplient leurs appels à l’organisation de référendum. Le plus grand risque est donc la fragmentation voire l’implosion de l’Union européenne, et la fin d’une construction qui a commencé en 1951 avec la création de la CECA.