Pour en débattre, deux tables rondes étaient organisées : « Mettre l’épargne au service de la croissance et de l’économie » ; « Les évolutions et innovations pour l’épargne des Français » en présence de nombreux intervenants et présidées par M. Charles de Courson, député de la Marne et M. Laurent Grandguillaume, député de la Côte d’Or, tous deux membres de la Commission des finances de l’Assemblée nationale.
Orienter l’épargne vers le financement de nos entreprises
Des besoins d’investissement réels
La première table ronde s’ouvre avec un chiffre frappant : les entreprises françaises se financent à 80 % par de la dette. L’épargne des Français est pourtant abondante, avec un taux d’épargne à 15,5 % loin devant la moyenne de l’UE de 10,6 % (chiffres 2014), mais elle ne finance pas ou pas assez l’économie. Ainsi, il existe en France un déficit structurel de l’épargne par rapport à l’investissement de -2 % au sein des entreprises (soit 5 milliards d’euros en 2015 de déficit de balance des paiements courants). Et c’est le recours au crédit, en augmentation constante, qui comble le gap. Le risque est que nos PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) soient financées par des investisseurs étrangers ; « on s’est battu pour ne pas être nationalisé par le PCF, comment accepter d’être nationalisé par le PC chinois ?! » déclare M. David Charlet, président de l’ANACOFI et de CC&A Finance Patrimoine Formation.
Les besoins d’investissement des entreprises vont s’accroître, juge M. Vincent Aussilloux, chef du département économie et finances de France Stratégie. Il estime que financer la transition énergétique coûterait 1 % de PIB supplémentaire chaque année ; accompagner la révolution numérique et du digital coûterait 0,25 % de PIB, soit 50 milliards d’euros chaque année. Enfin il y aurait au moins 1,4 % de PIB à investir dans notre capital humain sur lequel repose notre croissance future.
Une épargne dormante
Sur 10 000 milliards d’euros de patrimoine, les Français en épargnent 400 milliards. 77% de cette épargne est consacrée au financement de l’Etat et des grandes entreprises, seulement 4 % va vers les PME et ETI alors qu’elles sont le véritable moteur de la croissance en France !
L’épargne n’est pas suffisamment orientée vers le risque malgré une politique monétaire très accommodante. Cette politique monétaire de taux très bas a pour objectif de faire redémarrer la croissance et les investissements. De plus, avec des taux nuls voire négatifs, l’épargne n’est plus rémunérée. Cela devrait rendre les placements en fonds propres plus attractifs.
Un écosystème prudentiel trop contraignant ?
Suite à la crise financière, les contraintes pesant sur les banques se sont renforcées ; elles doivent notamment respecter des critères stricts de solvabilité (Bâle III). Ces règles prudentielles limitent l’orientation de l’épargne vers des actifs plus risqués comme les actions et les obligations. La logique de portefeuille permet cependant de mutualiser le risque rappelle M. Jean Berthon, président de la FAIDER et administrateur de l’IEFP. De plus, il manque les outils et les intermédiaires connectés aux territoires sur lesquels évoluent les PME et ETI. La création du PEA-PME par exemple relève d’une bonne initiative mais produit un résultat insuffisant : il existe 80 000 PEA-PME pour un encours de 300 millions à l’heure actuelle ; le montant moyen investi étant de 4 000 € alors que le plafond est à 75 000€.
Un goût pour les placements sûrs et rémunérateurs
L’assurance vie, le placement préféré des Français
L’assurance vie reste le placement préféré des Français avec plus de 10 milliards de collecte en 2015 et 1 500 milliards d’euros d’encours. Elle offre une garantie en capital permanente tout en étant un placement d’épargne liquide puisque l’épargne qui y est placée peut être mobilisée à tout moment. Enfin, l’assurance vie en euros offre une rentabilité, certes en baisse, mais qui reste de 2,3 % nets en 2015, hors impact de la fiscalité. Seulement, l’assurance vie stérilise une partie de l’effort d’épargne des Français puisque les flux générés vont plus vers les grandes entreprises et vers l’Etat que vers les PME et ETI d’après M. Serge Maître, secrétaire général de l’AFUB (Association française des usagers des banques).
L’épargne règlementée, une usine à gaz ?
Il existe aujourd’hui 54 niches fiscales en France qui coûtent à l’Etat 11 milliards d’euros par an. 70 % d’entre elles ont pour objectif de servir les besoins de financement de l’économie mais la réalité est que 50 % d’entre elles financent les institutions publiques et les entreprises cotées. Seulement 6 % financent les PME, 8 % la transition énergétique. Il faudrait réorienter ces niches vers des placements de plus long terme.
Actuellement, la fiscalité reste le principal levier incitatif. Par exemple, l’Etat favorise des placements sans risques et liquides comme le Livret A dont les revenus sont exonérés d’impôt, il n’incite pas les investisseurs à orienter leur épargne vers des placements risqués de plus long terme. De plus, pour M. Emmanuel Jessua, directeur des études chez Coe-Rexecode, la fiscalité du capital est trop instable et complexe. Il faut drastiquement simplifier le système, le rendre stable, lisible et moderne : suppression des niches et imposition d’un taux unique (30 %) sur le revenu du capital. En effet, il importe de donner de la visibilité aux acteurs afin de leur permettre de faire des choix et donc d’investir sur le long terme.
Donner du sens à son épargne
Épargner pour transmettre
Il est essentiel pour M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, de comprendre la vocation de l’épargne. En France, il y a une forte tradition d’épargne de transmission. Résultat, plus des deux tiers de l’épargne financière est aux mains des retraités plus averses au risque. De plus, il y a en France une mobilisation très forte de l’argent dans l’immobilier. Aujourd’hui, les personnes âgées ont un niveau de vie plus élevé que les actifs. Il faut éviter la cristallisation de ce patrimoine : pour cela, les politiques de donation sont intéressantes et doivent inciter à donner le plus tôt possible, à l’âge où l’on a besoin de financements pour mener à bien des projets et non à l’âge de la retraite !
Épargner pour financer des projets
L’épargne salariale, tout d’abord, avec 120 milliards d’encours composé à 40 % d’actionnariat salarié et à 60 % d’épargne diversifiée, est un produit très vertueux selon Mme Laure Delahousse, adjointe au délégué général de l’AFG. Elle permet d’investir pour sa retraite mais elle véhicule aussi une idée de diminution des conflits au sein de l’entreprise. L’épargne salariale sensibilise au projet de l’entreprise, elle est un outil de fidélisation des salariés et renforce leur motivation puisque l’idée à la base est de partager les richesses produites entre travail et capital. Elle est aussi un outil de communication et une source de dialogue social. Cependant, les activités salariées déclinent ; l’enjeu va être de trouver des solutions équivalentes.
L’investissement socialement responsable (ISR) répond aux besoins des consommateurs de donner du sens à leur épargne et aussi à un besoin sociétal grâce à des investissements vers des entreprises qui respectent une éthique stricte tout en conservant une rentabilité normale sur les marchés. Seulement, pour orienter correctement son épargne, l’épargnant doit disposer d’une certaine connaissance des entreprises dans lesquelles il investit mais aussi des différents produits d’épargne. L’éducation économique et financière, pourtant essentielle, est encore insuffisante en France nous rappelle M. Jacques Fournier, directeur général des statistiques de la Banque de France.