En introduction Marc Olivier Strauss-Kahn, conseiller spécial du gouverneur, rappelle les 3 rôles de la monnaie, unité de compte, réserve de valeur, instrument d’échange. Il affirme par ailleurs que la monnaie est fondée sur la confiance dans l’émetteur et que celle-ci doit perdurer quelles que soient les innovations, passant de l’or au fiduciaire, au scriptural et aujourd’hui au digital, qu’elle est centralisée même s’il existe des monnaies locales complémentaires, enfin qu’elle est dissociée des actifs spéculatifs. La digitalisation renouvelle les risques et les besoins de régulation, (protection du consommateur, lutte contre le blanchiment) et la coopération internationale sera nécessaire pour encadrer les « crypto actifs », ce sera le rôle du G20.
Le débat a ensuite été animé par Mark Alizart, philosophe.
Natacha Vella, professeur à la NYU, chef de division à la BEI, fait une distinction entre la monnaie, le cash, qui fascine, permet l’accumulation et octroie la capacité d’acquérir, liée au Souverain, et la monnaie, concept macro-économique. Rappelant que les banques centrales ont une fonction sociale, celle d’assurer la stabilité de la monnaie, elle s’interroge sur la nature des crypto-monnaies. Sont-elles réellement des monnaies et comment traiter l’enjeu de leur contrôle ?
Les monnaies locales et complémentaires
Pascal Riché, journaliste à L’OBS, (spécialiste des monnaies complémentaires, notamment le SARDEX, pour lequel il a reçu le prix du meilleur article financier en 2017) est intervenu sur les monnaies locales et complémentaires. Les monnaies locales sont pour lui plutôt anecdotiques, convertibles en euro, utilisables dans des zones déterminées et représentant de faibles encours. (La plus importante, l’Eusko au pays basque, n’atteint que 800 000 euros d’encours). Il a ensuite décrit le fonctionnement du Sardex, créé en 2010 en Sardaigne, qui a permis la sauvegarde des artisans et des hôteliers locaux et qui s’étend vers d’autres régions en Italie et bientôt en Corse, comparable au WIR en Suisse.
Emmanuelle Assouan, (directrice des systèmes de paiement et des infrastructures de marché, à la Banque de France) rappelle que cette dernière accepte l’existence des monnaies locales, en tant qu’instrument de paiement sur un ressort géographique limité, sans création monétaire, et qu’aucune ne dépasse l’encours d’1 million d’euro qui nécessiterait un agrément de l’ACPR.
Elle rappelle ensuite que la monnaie fiduciaire est elle-même très innovante, la fabrication des billets reposant sur de nombreux brevets, tout en conservant un coup modique de 5 à 10 centimes par billet. A contrario le coût de validation d’1 bitcoin nécessiterait 215kwh, soit l’équivalent de la consommation d’un ordinateur pendant 6 mois, nuit et jour. Elle annonce en outre la possibilité prochaine d’émettre des virements instantanés dans la zone SEPA.
Elle rappelle enfin les exigences de sécurité et de stabilité financière. En effet, même si la masse monétaire mondiale est très supérieure à celle des crypto-actifs, qui ne représentent de ce fait pas de risque pour la stabilité financière, ils demeurent une zone de non-droit.
La blockchain, l’avenir des échanges ?
Alexandre Statchenko, co-fondateur de Blockchain-Partner a rappelé avec humour, à partir des définitions trouvées sur Google, que la valeur de la monnaie fiduciaire repose sur la confiance que la population accorde aux banques centrales. Or la première crypto-monnaie, le bitcoin est apparu début 2009 dans un contexte de défiance généralisée, permettant des échanges de valeur sur internet, de pair à pair, sans tiers de confiance. Il définit la blockchain comme un registre numérique décentralisé garantissant de manière irrévocable la possession et le transfert d’actifs numériques de valeur. C’est la nouvelle infrastructure des échanges qu’il compare à des rails de chemin de fer. Les questions posées par ces technologies sont la délocalisation de l’économie, la financiarisation des personnes non bancarisées, majoritaires sur la planète, la création d’une valeur refuge en dehors du système, la souveraineté des Etats, et le rôle des intermédiaires historiques.
Christian Pfister, (directeur général adjoint des statistiques à laBanque de France) considère d’abord que la confiance envers les banques centrales est souvent excessive car on en attend trop par rapport à leur mission. Il considère par ailleurs que la blockchain est ce qu’il y a de meilleur en tant que nouvelle infrastructure des échanges monétaires. La Banque de France est d’ailleurs la première banque centrale à utiliser cette technologie dans le cadre du SEPA. Considérant que pour le moment ne circulent sur la blockchain que des jetons (token), il envisage la possibilité pour les banques centrales de créer leur propre monnaie digitale et les implications que cela pourrait avoir pour les banques.
Cedric Villani, invité surprise de cette conférence, a fait le lien entre blockchain et intelligence artificielle. Il a insisté sur la pollution liée aussi bien à l’intelligence artificielle qu’au bitcoin, surconsommation d’énergie, de terres rares…Malgré les atouts de ces technologies, le bitcoin lui parait plutôt effrayant et il met en garde sur la nécessité de toujours conserver une responsabilité humaine en bout de chaine.