Tensions politiques dans un contexte économique (en apparence) favorable
La décision planait et n’a pas surpris : Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé la tenue d’élections anticipées, près d’un an et demi avant la date initialement fixée.
Cette manœuvre est vue comme principalement politique, le président Erdogan souhaitant vraisemblablement renforcer son pouvoir en profitant de la faiblesse de l’opposition, qui craint une campagne biaisée en faveur du pouvoir en place.
Le président Erdogan compte peut-être aussi surfer sur la robuste croissance de l’économie turque pour faciliter sa victoire électorale.
En effet, les bonnes performances de l’économie depuis une quinzaine d’années sont un facteur important qui a permis à Recep Tayyip Erdogan d’asseoir son pouvoir. Quand son parti, l’AKP, est arrivé au pouvoir en 2002, soit juste après une violente crise, la relance de l’économie a été une de ses promesses phares.
En 2017, la croissance turque a été de 7 %, soit une des plus dynamique parmi les pays du G20 (les dix-neuf pays présentant les plus importantes économies, plus l’Union Européenne). Cette croissance est stimulée par la forte consommation des ménages et de l’investissement privé, tirés par des baisses d’impôts et une hausse du crédit.
De plus, le gouvernement a lancé de vastes projets d’infrastructures (ponts, aéroport, autoroutes…) qui dopent le secteur du bâtiment. A moyen terme, ces nouvelles infrastructures pourraient doper la productivité de l’économie dans son ensemble, même si certains projets pharaoniques semblent être guidés tout autant par une volonté du gouvernement d’afficher son dynamisme que par les besoins réels du pays.
Enfin, la croissance soutenue au niveau mondial et le dynamisme en Europe ont permis de stimuler les exportations.
Les vulnérabilités s’accumulent
La croissance turque, si elle est dynamique, est fortement déséquilibrée. Cela se traduit par exemple par un fort déficit courant (plus de 5 % du PIB en 2017) qui indique que le pays ne parvient pas à importer autant qu’il exporte.
Le déficit commercial signifie qu’un pays importe plus de bien qu’il n’en exporte. Le déficit courant est assez similaire, mais il est plus fréquemment regardé car il inclut aussi (entre autres) les échanges de services et les transferts de revenus.
Ce déficit courant conduit à une dépréciation de la livre turque, qui a perdu près de 20 % de sa valeur face à l’euro en un an. En effet, si un pays achète plus qu’il ne vend à l’étranger, sa monnaie est relativement peu demandée, donc sa valeur diminue sur le marché des changes.
La dépréciation de la livre, si elle stimule les exportations (qui deviennent moins chères), attise aussi l’inflation (car les importations sont plus chères). En Turquie, l’inflation a bondit de 7,8 % à 11,2 % entre 2016 et 2017, notamment du fait de la chute de la livre.
Enfin, la dépréciation de la monnaie renchérit le coût de la dette externe, une question épineuse pour la Turquie où celle-ci représente environ 50 % du PIB.
Le risque pour la Turquie est clairement celui d’une crise de change. En effet, si les investisseurs étrangers arrêtent de financer le déficit courant, c’est-à-dire arrêtent de prêter à la Turquie de quoi payer ses importations, alors la livre turque chutera brutalement, attisant l’inflation.
Dans un tel scénario, la capacité de la banque centrale à intervenir serait limitée du fait de réserves de changes en diminution constante.
Les réserves de change sont des avoirs, généralement en dollars, livres sterling ou euros, détenus par les banques centrales. Elles peuvent notamment s’en servir pour acheter leur propre monnaie sur le marché des changes et ainsi en soutenir le cours.
Les comptes publics soulèvent moins de questions que les comptes externes, mais pourraient néanmoins poser problème à moyen terme. Le déficit public a été de 2,2 % du PIB en 2017 et la dette publique est de 28 % du PIB. Ces niveaux ne sont pas inquiétants mais, en cas de ralentissement de la croissance, ils pourraient se dégrader rapidement.
La priorité, pour le gouvernement turc, pour éviter la surchauffe, devrait être de réduire le déséquilibre des comptes externes (importations supérieures aux exportations) plutôt que de chercher à doper la croissance. Mais, pour l’instant, le président Erdogan semble privilégier le court terme sur la stabilité à moyen-terme …
La surchauffe désigne une économie qui croit à un rythme largement supérieur à son potentiel. Cela se traduit par une forte inflation et (ou) un déficit commercial, un déficit public, un emballement du crédit, des bulles spéculatives… Dans cette situation, le risque est celui d’un arrêt brutal de la croissance qui dégénère en crise.