Signe de cette évolution du rôle du Parlement, l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 a été modifié en 2008 pour établir que le Parlement « évalue les politiques publiques », en plus de ses rôles traditionnels de voter les lois et de contrôler l’action du gouvernement. L’évaluation représente donc désormais une composante essentielle des missions du Parlement, et constitue un volet de la recherche que la France cherche à développer.
Plusieurs intervenants ont apporté leurs contributions à la tribune sur divers thèmes : chômage et fiscalité, place de l’évaluation en France par rapport au monde, etc.
Introduction d’Esther Duflo
Dans son propos introductif, Esther Duflo, économiste, professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et fondatrice de J-PAL, groupe de recherche sur la lutte contre la pauvreté, distingue plusieurs formes d’évaluation :
- l’évaluation ex post visant à vérifier que la politique décidée a bien été mise en place (les commandes ont-elles été passées, les fournitures livrées puis utilisées, etc. ?),
- l’évaluation comparant ex ante les coûts et les bénéfices attendus de la politique mise en œuvre,
- l’évaluation d’impact, menée ex post, pour juger de l’efficacité de la mesure.
Contrairement à ce qu’on pourrait espérer, l’évaluation n’a pas nécessairement un effet politique immédiat et les décideurs politiques ne tiennent pas nécessairement immédiatement compte des conclusions auxquelles a abouti l’évaluation, et ses résultats tardent à faire leur chemin dans les circuits de décision des politiques publiques.
La mise en place d’une politique publique doit s’occuper non seulement des grandes orientations de la mesure, mais également des conditions de sa mise en œuvre, de la communication, etc. L’évaluation ne peut faire « l’économie du détail » selon l’expression d’Esther Duflo.
L’évaluation des politiques d’assurance chômage
Thomas le Barbanchon, professeur de l’université Bocconi de Milan, a traité de l’effet de l’assurance chômage sur la reprise d’activité, et notamment de la question « La durée d’indemnisation de l’assurance chômage retarde-t-elle la reprise d’un emploi ? »
En France, la durée d’indemnisation est calculée sur 2 ans, chaque jour travaillé sur cette période ouvre le droit à un jour d’indemnisation. Néanmoins pour les seniors – c’est-à-dire les plus de 50 ans – la période de calcul est allongée à 3 ans.
Ce seuil légal de 50 ans sépare ainsi des catégories de chômeurs avec des caractéristiques quasi-identiques (ceux qui ont 49 ans et 11 mois et ceux qui ont 50 ans et 1 mois), ce qui permet d’étudier les effets de la durée d’indemnisation sur la durée de chômage toutes choses égales par ailleurs.
On observe bien un saut dans la durée au chômage après 50 ans, ce qui confirme l’hypothèse qu’une durée d’indemnisation plus généreuse retarde la reprise d’activité. L’étude ne met pas en évidence d’effet significatif sur la qualité de l’emploi retrouvé ensuite (salaire, durée de l’emploi, etc.).
De son côté, David Sraer, professeur à l’Université de Berkeley, a étudié l’effet du plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) sur les créations d’entreprises par des chômeurs. Suite à la réforme du PARE en 2001, les chômeurs créateurs d’entreprise dont le revenu tiré de leur activité est insuffisant, reçoivent des indemnités de la part de l’Assurance chômage qui le complètent jusqu’au niveau d’allocations qu’ils avaient étant chômeurs. Après l’adoption de la réforme, on constate une augmentation du nombre d’entreprises créées, d’environ 14 000 entreprises par mois à 17 000 entreprises. L’augmentation sur la même période du nombre de chômeurs touchant l’ACCRE, l’aide à la création d’entreprises, permet d’attribuer ces créations d’entreprises à des chômeurs.
Enfin, les études sur le sujet ont montré que les entreprises créées par des chômeurs avaient le même taux de faillite que les autres et qu’elles créaient autant d’emplois indirects (en plus de celui du chômeur créateur d’entreprise). En outre, le profil des chômeurs créateurs d’entreprises n’a pas changé avec la mise en place du PARE. L’augmentation du nombre de créations d’entreprises ne s’est donc pas faite par une dégradation de la qualité des entreprises créées.
Le PARE a donc eu un réel effet positif, qu’on évalue entre 10 000 et 25 000 emplois additionnels par an entre 2003 et 2006.
Hausses et baisses de TVA : des effets asymétriques
La présentation de Dorian Carloni, analyste adjoint dans le département d’analyse fiscale du bureau du budget du Congrès national américain, permettait de comprendre l’incidence d’une modification du niveau de TVA. Dans son intervention, il traite notamment des prix dans la restauration.
La TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) est l’impôt le plus utilisé autour du monde : 160 pays sur 196 l’utilisent. Son taux varie selon les produits concernés (de 2,1 % aux médicaments remboursables, à 20 % pour le maximum, en passant par 5,5 % pour les produits de première nécessité…), et parfois d’une région à l’autre. En 2009, le taux de TVA a baissé de 19,6 % à 5,5 % dans le domaine de la restauration. La baisse fut donc de 14,1 points, en revanche, la baisse des prix dans ce même domaine n’a pas été proportionnelle. En effet, le « taux de transmission » de la baisse de la TVA sur les prix ne fut que de 10 %. Ainsi, pour une baisse du niveau de TVA de 14,1 points de pourcentage, la baisse des prix ne fut que de 1,4 % dans le domaine de la restauration. Mais dans le même temps, les profits ont progressé de 20 % en moyenne pour les restaurants au cours de la première année !
A l’inverse, lorsque le taux de TVA augmente comme en 2012 (de 5,5 % à 7 %) et 2014 (de 7% à 10 %), le taux de transmission vers les prix avoisine les 50 % ! Dorian Carloni en a alors conclu que, sur la période allant de 1996 à 2015 et dans l’ensemble des pays européens, les prix répondent plus aux hausses de la TVA qu’aux baisses.
Les pratiques d’évaluation en France par rapport au reste du monde
Rozenn Desplatz, experte référente à France Stratégie, a présenté les résultats préliminaires d’une étude en cours visant à comparer les méthodes d’évaluation dans le monde en se basant sur une sélection de près de 9 000 articles d’économie traitant du sujet.
La France se classe 7e en nombre d’articles publiés, derrière les Etats-Unis (qui concentrent presque un tiers des articles de la base de données), la Chine, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Inde. Si l’on rapporte ce nombre à la population de chaque pays, la France chute à la 14e place, largement devancée par le Royaume-Uni et l’Allemagne, tandis que les pays scandinaves (Norvège, Danemark, Suède) dominent le classement.
La France a connu un retard dans le nombre d’articles publiés jusqu’en 2009 avant qu’il ne connaisse une augmentation rapide.
L’évaluation en France est une pratique encore peu répandue, que des initiatives comme celle du Printemps de l’Evaluation visent à développer.