Une amende record pour Android
L’amende requise contre Android – 4,34 milliards d’euros – est le montant le plus élevé jamais infligé par la Commission européenne dans le secteur de la concurrence.
La Commission reproche à Android trois entorses aux règles antitrust européennes. Premièrement, Android exige des fabricants qu’ils préinstallent son application Google Search et son navigateur Chrome pour obtenir la licence pour sa boutique d’applications Play Store. Ensuite, Android paye certains grands fabricants et opérateurs de réseaux mobiles pour qu’ils préinstallent l’application Google Search. Finalement, Android interdit aux fabricants voulant préinstaller des applications Google de vendre des appareils mobiles fonctionnant sur d’autres versions d’Android, non approuvées par Google. Google profite ainsi de la position dominante d’Android, système d’exploitation incontournable qui équipe 80 % des smartphones, pour imposer ses autres services et applications aux utilisateurs.
Google doit cesser ces pratiques dans les 90 jours sous peine de recevoir de nouvelles pénalités (correspondant à 5 % de son chiffre d’affaires journalier pour chaque jour de retard).
Le montant spectaculaire de cette amende est proportionné au chiffre d’affaires pharamineux de Google, dont elle ne représente que l’équivalent de deux ou trois semaines de chiffre d’affaires. Cette pénalité n’est pas pour autant négligeable pour Google dont le profit annuel en 2017 était de 10 milliards de dollars US.
Google conteste la décision européenne
Pour sa défense, Google argue qu’Android a au contraire augmenté la concurrence sur le marché des smartphones. Android a en effet été lancé en 2007 pour concurrencer l’iPhone d’Apple, ce qu’il a réussi à faire brillamment.
Google a critiqué la décision de la Commission en rappelant qu’Android a représenté une ouverture à la concurrence historique sur ce marché, qui a fait chuter spectaculairement le prix des smartphones, entrainé la multiplication des modèles, etc.
En ce sens, certains critiquent la décision de la Commission en soulignant que dans cette affaire le dommage aux consommateurs n’est pas prouvé. La philosophie de la Commission européenne diffère sur ce point de celle de l’organisation antitrust américaine, qui sanctionne les entreprises coupables d’un abus de position dominante mais à condition seulement qu’il ait été dommageable aux consommateurs. La Commission européenne pour sa part sanctionne toutes les entorses à la concurrence, dommageable ou non.
Google a menacé de rendre Android payant s’il était obligé de découpler son système d’exploitation de ses autres services, dont les revenus, tirés des données qu’ils collectent sur les utilisateurs, permettent d’offrir Android gratuitement. Non seulement le dommage causé aux consommateurs par l’abus de position dominante n’est pas prouvé, mais Google argue même que la décision de la Commission pourrait causer du tort aux utilisateurs.
Dans l’affaire Android, il est difficile de distinguer l’abus de position dominante des avantages qui sont automatiquement induis par la situation de monopole. Ainsi, même si Google cesse de contraindre les fabricants à installer ses applications avec son système d’exploitation, ses services sont déjà ultra-dominants et il est probable que les consommateurs continuent à les plébisciter : la part de marché de Google Search pour les moteurs de recherche est de 90 %, celle de Chrome pour les navigateurs de 60 %. Google a également protesté que ses services n’étaient pas réellement imposés aux clients car les consommateurs pouvaient très bien désinstaller les services Google préinstallés et choisir un autre navigateur ou moteur de recherche. Néanmoins, la Commission européenne a rétorqué sur ce point que le fait d’avoir des applications préinstallées influençait largement le choix des utilisateurs et que peu feraient l’effort d’en changer ensuite.
On reproche également à la Commission à la concurrence d’être arbitraire dans le choix de ses combats et de frapper les géants technologiques étasuniens et en particulier Google par inimité plutôt que pour des raisons objectives. En effet, le domaine de l’abus de position dominante est le seul pour lequel la Commission peut sélectionner ses affaires : elle dispose pour ces cas d’un pouvoir d’appréciation. Elle peut décider d’instruire une affaire ou non, alors que dans le domaine des aides d’Etat ou des concentrations d’entreprises, elle est forcée d’instruire les affaires qui sont portées devant elle par un Etat membre ou une entreprise.
Les entreprises punies et les Etats-Unis reprochent ainsi à la Commission européenne de viser exclusivement des géants américains des nouvelles technologies et à l’Union européenne de pratiquer une forme de protectionnisme sous couvert de poursuivre les atteintes à la concurrence. Pendant le G7 en juin 2018, Donald Trump a ainsi glissé à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, en parlant de Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence : « votre Tax Lady … elle déteste vraiment les Etats-Unis ».
Des amendes record pour la Commission à la concurrence
La Commission à la concurrence s’est particulièrement concentrée sur les pratiques de Google ces dernières années. La précédente amende de la commission, qui avait déjà établi un record en juin 2017 à 2,4 milliards d’euros, avait été infligée à Google Shopping, un comparateur de prix et service de Google. Enfin, l’entreprise californienne est la cible d’une troisième enquête, qui se concentre sur AdSense, sa régie publicitaire.
Les pénalités appliquées par la Commission ces dernières années visaient quasiment toutes des entreprises américaines de technologie : Intel, développeur de microprocesseurs, avait été condamné à payer 1 milliard d’euros en 2009 pour avoir entravé l’activité de son concurrent AMD. Microsoft avait été puni trois fois entre 2004 et 2013, pour des amendes cumulées atteignant 1,9 milliard d’euros.
Les pénalités infligées par la Commission vont croissantes d’année en année, elles sont calculées selon une formule tenant compte de la durée de l’infraction, de sa gravité et du chiffre d’affaires de l’entreprise visée.
Google a fait appel de la décision, ce qui devrait retarder son application de plusieurs années. Intel, condamné en 2009, avait fait appel, et après avoir perdu sa procédure d’appel, avait porté l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne, qui a invalidé le jugement de 2009 et demandé une nouvelle enquête. Presqu’une décennie après sa condamnation, Intel n’a donc toujours pas payé ses pénalités.