Une monnaie vulnérable
Une baisse du cours de la livre turque face aux principales devises n’est pas particulièrement surprenante. En effet, depuis plusieurs années, la Turquie présente un déficit courant important, atteignant 5,6 % du PIB en 2017.
Cela signifie (de façon simplifiée), que la Turquie importe bien plus qu’elle n’exporte. Les importateurs turcs changent donc des livres contre des euros ou des dollars pour payer les importations, ce qui tend à faire baisser le cours de la livre turque par rapport aux autres devises par le mécanisme habituel de l’offre et de la demande.
De façon à éviter une dépréciation de la livre, la Turquie doit trouver des financements étrangers pour payer ses importations. Elle importe donc à crédit, ce qui fait gonfler sa dette externe qui atteint aujourd’hui plus de 50 % de son PIB.
Cette situation crée cependant une vulnérabilité car, si les investisseurs et banquiers internationaux perdent confiance dans l’économie turque, ils cessent de lui prêter, voire rapatrient leurs capitaux, auquel cas plus rien ne peut arrêter la chute du taux de change. C’est exactement ce qui s’est produit ces derniers jours, avec un plongeon de 18 % de la livre face au dollar vendredi 10 août.
Pourquoi la crise se déclenche-t-elle maintenant ?
Si les signes avant-coureurs d’une crise de change sont aisément identifiables (déficit courant important, faibles réserves de change, tensions politiques ou géopolitiques notamment), il est difficile de prévoir précisément le moment où une telle crise se déclenche.
Dans le cas présent, il semble que l’attitude autoritaire du président Erdogan, qui gère l’économie du pays de façon à maintenir la croissance forte à court terme (et donc une forte popularité) au détriment de la stabilité à long terme ait inquiété les investisseurs. La nomination du gendre du président Erdogan, Berat Albayrak, au poste de ministre des finances alors que ses compétences semblent maigres pour occuper un tel poste, ont créé un climat de défiance à l’égard de la devise turque.
De plus, des tensions politiques avec les Etats-Unis et l’instauration par Donald Trump de droits de douane sur l’acier et l’aluminium turc ont attisé la panique.
Enfin, les déclarations du président Erdogan en pleine panique ont jeté de l’huile sur le feu, celui-ci déclarant vouloir résorber la crise avec l’aide de Dieu et du patriotisme de ses concitoyens, sans s’attaquer aux racines du problème, à savoir la surchauffe et les déséquilibres de l’économie turque.
Quelles conséquences et solutions ?
La chute de la livre pose deux problèmes. Le premier est une hausse du prix des produits importés, et donc une accélération de l’inflation, qui atteint déjà 15 %.
Le second est que les dettes contractées en monnaies étrangères deviennent de fait plus coûteuses à rembourser, puisqu’il faut plus de livres pour rembourser un dollar ou un euro de dette. Dans ce type de situation, les agents endettés en devises étrangères (ménages, entreprises, banques, Etat) peuvent se retrouver en difficulté, voire poussés à la faillite si la chute de la monnaie est profonde et durable.
Pour contrer cette situation, il est nécessaire d’enrayer la chute de la livre. Il est notamment possible d’utiliser les réserves de change, de faire appel à un prêt d’urgence du Fonds Monétaire International, d’instaurer un contrôle des capitaux pour empêcher les investisseurs étrangers de quitter le pays ou encore d’augmenter les taux d’intérêt pour rendre les placements en livre plus attractifs.
Les réserves de change sont des devises (ou de l’or) détenues par la banque centrale. Dans le cas de la Turquie elles se montent à environ 70 milliards de dollars, soit l’équivalent de trois mois d’importations, niveau qui correspond au « seuil d’alerte » du FMI. La banque centrale turque peut donc utiliser ses réserves en dollar pour les échanger contre des livres et ainsi en soutenir le cours.
Pour l’instant, les autorités turques n’ont pas dévoilé de plan précis pour soutenir la livre. Aucune stratégie ne sera indolore, et il est probable que la crise actuelle mette un coup d’arrêt à la forte croissance turque de ces dernières années.