La lettre au président est une tradition républicaine. Chaque année depuis 1945, elle est adressée par le gouverneur de la Banque de France au Président de la République. A l’occasion des 20 ans de la monnaie européenne, François Villeroy de Galhau a décidé cette année de tirer un bilan de l’euro et d’en dégager quelques traits saillants.
Davantage de stabilité
Avec une inflation de + 1,7 % par an en Europe depuis l’introduction de l’euro, l’objectif de la Banque Centrale Européenne (BCE) d’une inflation contenue à 2 % a été rempli. La France a même bénéficié d’une progression plus faible encore, avec un taux de hausse des prix de 1,4 %. Le prix de la célèbre baguette française, étalonnage du coût de la vie quotidienne, a, lui, progressé de 1,6 % par an.
Fin 2001, au moment de l’introduction des pièces et des billets en euros, le prix de la baguette s’élevait à 4,40 francs soit 67 centimes d’euros. Fin 2018, il est en moyenne sur le territoire français de 90 centimes (tous les points de vente confondus).
La maîtrise du taux de change de l’euro, contre les principales devises des pays avec lesquels l’Europe commerce, a permis de réduire les fluctuations brutales de notre monnaie, alors que le franc était souvent l’objet d’attaques spéculatives et de dévaluations. Elle offre ainsi une meilleure prévisibilité aux entreprises dans leurs échanges internationaux. Cette stabilité a été rendue possible par la confiance accordée à la politique monétaire de la BCE.
Enfin, cette crédibilité de la Banque Centrale s’est traduite par une baisse des coûts de financement. Là où une PME française s’endettait à un taux de 4,2 % en 1999, elle pouvait le faire à un taux de seulement 1,6 % fin 2018. Les ménages quant à eux pouvaient acquérir leur logement à un taux de seulement 1,5 % contre 5,6 % à l’époque. Enfin, sans cette baisse des taux d’intérêt, l’Etat français rencontrerait des difficultés bien plus grandes pour boucler son budget. Rappelons qu’aujourd’hui, il emprunte à des taux négatifs jusqu’à un horizon de 5 ans !
Economie de la zone euro : quelques points noirs
Cependant, il serait faux de dépeindre un tableau idyllique de l’économie de la zone euro.
Tout d’abord, si les prix sont restés sages, des situations particulières viennent expliquer que les consommateurs n’ont pas toujours cette impression. En particulier, le prix du litre de gazole a augmenté de 24 % par rapport au salaire moyen par tête depuis l’introduction de l’euro. Or, il s’agit pour beaucoup de Français d’un poste de dépense quotidienne bien plus important que celui, par exemple, de l’achat d’un bien électronique dont les prix ont baissé (à qualité constante).
De plus, les dépenses dites contraintes, celles qui ne peuvent pas être réduites rapidement par les ménages (logement, alimentation hors alcool et tabac, santé et protection sociale, assurance, véhicule et télécommunications), ont pour leur part grimpé dans leur budget, passant de 50 % en 2001 à 53 % en 2018. En particulier, ce sont les dépenses de logement qui contribuent le plus à cette pression sur les ménages. Ainsi, le « reste à vivre » par habitant a augmenté moins vite en France que le revenu.
Dernier élément pouvant expliquer les frustrations des consommateurs, le pouvoir d’achat a reculé entre la crise de 2008 et 2013. Il n’a retrouvé son niveau de 2008 qu’en 2016, soit presqu’une décennie sans progression.
Des axes de progression
Face à ces difficultés, la Banque de France exhorte à mieux répartir la prospérité entre pays européens. En particulier, elle demande que des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui disposent de marges budgétaires, les utilisent pour relancer la croissance des pays n’en n’ayant plus, comme l’Italie ou la France. Ceci ne doit pas pour autant dispenser ces pays de mener des réformes nationales structurelles pour améliorer la formation des chômeurs ou le coût du travail.
Enfin, l’Europe doit continuer de renforcer sa capacité à résister à des chocs négatifs externes en achevant son Union Bancaire. Celle-ci doit permettre d’assurer la continuité du financement de l’économie même dans les périodes difficiles. C’est aussi ce renforcement qui permettra de faire de l’euro une devise rivalisant avec le dollar, tant dans les échanges internationaux que comme monnaie de réserve. L’euro pourra ainsi devenir un outil d’affirmation de la souveraineté européenne.
Reste à espérer que ce message, déjà relayé par de nombreux économistes appelant aussi depuis plusieurs années à une plus forte coordination budgétaire et fiscale en Europe, ne reste pas lettre morte.