L’Etat n’assure pas ses biens, parce qu’il ne le peut pas : trop cher !
Depuis 1889, l’Etat s’applique le principe d’auto-assurance des biens dont il est le propriétaire : l’administration considère que l’Etat, à raison du grand nombre et de l’importance de ses propriétés, doit être son propre assureur. Le chiffre annuel des primes que le Trésor aurait à payer, en cas d’assurance de tous ses immeubles, serait disproportionné par rapport à la somme des indemnités qu’il pourrait être appelé à toucher. Cela vaut pour la responsabilité civile mais également pour le vol ou l’incendie.
La portée de ce principe a été accrue par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (9 décembre 1905) et clarifiée pour le régime des biens par la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes : les églises et cathédrales construites avant 1905 sont la propriété des communes (églises) et de l’Etat (actuellement, 87 cathédrales). La cathédrale Notre-Dame de Paris est donc un bien immobilier appartenant à l’Etat français. En d’autres termes, la cathédrale n’est pas assurée, mais auto-assurée par l’Etat. La Tour Eiffel ou le Mont Saint Michel, pour ne prendre que ces exemples, ne sont pas non plus assurés.
Les assurances des entreprises pourront être engagées : trop faible !
Cinq entreprises travaillaient à la rénovation de la cathédrale. Une enquête a été ouverte dès lundi soir 19 avril par le parquet de Paris pour « destruction involontaire par incendie ». Si l’enquête établit la responsabilité d’une ou de plusieurs entreprises – et la « chaîne de responsabilité, ce qui peut être source de litiges entre assureurs -, les assurances privées de ces entreprises seront bien évidemment appelées, car l’Etat propriétaire peut se retourner contre les responsables de l’incendie et du préjudice. Leur assurance garantirait les dommages à hauteur du montant de couverture souscrit dans le contrat. Mais la plupart de ces entreprises sont des PME, et la plupart du temps, les limites de garantie ne dépassent pas une dizaine de millions d’euros. On serait très loin du montant de la reconstruction !
Il est probable que l’Etat n’ira pas plus loin que l’indemnité versée par les assureurs de l’entreprise en ne mettant pas en cause, par exemple, la responsabilité personnelle du dirigeant. Le montant perçu ne peut être que dérisoire.
Les risques de contentieux sont très importants pour le sinistre de Notre-Dame, les montants en jeu étant significatifs. Dans ces conditions il faudra attendre plusieurs mois, voire années pour savoir ce que les assurances privées paieront au final. Les versements seront de toute façon, « secondaires ».
Et si finalement la responsabilité d’une entreprise n’est pas engagée dans la survenance du sinistre, c’est l’Etat qui aura seul la charge des coûts de reconstruction.
Les biens mobiliers sont en principe assurés par le diocèse, quoique…
Sapeurs-pompiers, personnel de la cathédrale, conservateurs du Louvre, policiers ont sauvé des flammes de nombreuses œuvres d’art et pièces de trésor. Selon Anne Hidalgo, maire de Paris, la priorité fut dès le départ de « sauver les œuvres d’art ».
Ces « biens mobiliers » sont en principe assurés par l’ « association diocésaine » de Paris. Depuis la loi de 1905, les bâtiments sont assurés par l’Etat et les biens sont assurés par l’Eglise.
Les biens mobiliers qui n’ont pas été sauvés dans la cathédrale seront indemnisés selon la nature du bien (courant ou « objet d’art ») ; pour les objets d’art, il y aura indemnisation selon le contrat soit pour une reconstitution à l’identique, soit pour une restauration en cas de destruction partielle.
Dans la pratique, il semble que de nombreuses associations diocésaines n’assurent pas ces biens, n’ayant pas suffisamment de ressources pour le faire….
En revanche, les œuvres d’art conservées « au clou » dans les musées nationaux sont elles aussi régies par le principe : « pour toute œuvre lui appartenant, l’Etat en est l’assureur ». Autrement dit, étant de « valeur inestimable », ces œuvres ne peuvent pas être assurées (elles le sont par contre pour leur transport ou des opérations de prêt d’exposition).
Le Ministère de la Culture dispose d’un budget courant très limité
Une partie des travaux de reconstruction pourrait être légitimement financée sur le budget du Ministère de la Culture (c’est la DRAC Ile de France qui avait conclu en 2017 les contrats pour le chantier de la rénovation de Notre-Dame). Mais de quel montant dispose-t-il en 2019 ?
Une enveloppe de « crédits de paiement » de 347,5 millions d’euros (+4 % sur un an) a été affectée en faveur des monuments historiques et du patrimoine monumental, dont 331,3 millions d’euros aux monuments historiques.
Il faut ajouter les recettes du « loto du patrimoine » (estimées à 20 millions d’euros) et les 15 millions d’euros du fonds d’aide aux collectivités à faibles ressources pour rénover leur patrimoine. Soit au total, environ 380 millions d’euros, dont seules les dépenses d’investissement (171 millions d’euros) sont réellement affectées aux opérations de reconstruction, …mais pour toute la France et non pas seulement pour le chantier de Notre-Dame.
L’Etat n’a pas d’autre choix que de lancer une souscription nationale.
Les dons des personnes morales et des personnes privées pourraient coûter cher à l’Etat
Depuis le 19 avril, plusieurs initiatives sont lancées, et près d’1 milliard d’euros auraient déjà été collectés.
L’Etat, par le Centre des Monuments Nationaux, a lancé le mardi 16 avril une plate-forme en ligne dénommée « Rebâtir Notre-Dame de Paris ».
La Fondation du Patrimoine (organisme privé) a la première lancé une plate-forme : « Collecte internationale pour Notre-Dame de Paris. Mercredi 17 avril, plus de 136 millions d’euros avaient déjà été récoltés par la Fondation de la part de particuliers et d’entreprises.
Par ailleurs d’importantes promesses de dons ont été faites par les grandes fortunes françaises pour des montants totaux actuellement supérieurs à 600 millions.
Le diocèse de Paris a de son côté lancé sa collecte sur le site de la Fondation Notre-Dame.
Rappelons les avantages fiscaux pour les donateurs :
- pour les personnes physiques :
– le don est déductible de l’impôt sur le revenu à hauteur de 66 % de son montant et dans la limite de 20 % du revenu imposable : ainsi pour un don de 100 euros, 66 euros seront soustraits à l’impôt sur le revenu ;
– il est déductible à hauteur de 75 % si la personne est assujettie à l’impôt sur la fortune immobilière et plafonné à 50 000 euros.
- pour les personnes morales : le don est déductible de l’impôt sur les sociétés, à hauteur de 60% du montant du don et dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires HT ou 10 000 euros.
Le gouvernement a annoncé le 17 avril qu’il allait mettre en place un dispositif spécifique en relevant le taux à 75 % pour les dons des particuliers, jusqu’à 1000 € de dons.
Décision « raisonnable » quand on songe au coût qu’aurait représenté l’application d’un tel dispositif – non plafonné et à destination des entreprises comme des particuliers.