Facebook est-il Libra tout faire ?

la finance pour tous

Le projet de Facebook de lancer sa propre cryptomonnaie Libra, avec des poids lourds des transactions de paiement comme Visa, Mastercard ou PayPal, n’en finit pas de susciter des réactions. Et d’abord celle très attendue des banques centrales qui sont les garantes de la valeur de la monnaie utilisée quotidiennement par les consommateurs et les épargnants.

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a donc rappelé les limites réglementaires auxquelles restera soumis Libra comme toute autre institution financière.

Les « stable coins »

Il est en effet parfois nécessaire de rappeler quelques fondamentaux et autres règles de base surtout quand il s’agit des géants du numérique dont les attitudes ont plutôt été transgressives par le passé (optimisation fiscale, protection des données…). C’est donc le gouverneur de la Banque de France, à l’occasion de la mise en place d’une taskforce dans le cadre du G7 sur les cryptomonnaies, qui s’est chargé de cette mise au point. Plus précisément, ce sont les « stable coins » qui étaient visées.

Ces monnaies privées, traduisible en français par « monnaie stable », ont émergé pour répondre aux inconvénients du célèbre Bitcoin : sa volatilité.

Si les « stable coins » sont bien des cryptomonnaies, leur valeur en revanche n’est pas liée à l’offre et la demande comme un titre financier spéculatif. Ils sont émis par une entité détenant en garantie un panier de devises ou d’actifs réels comme de l’or par exemple.

En cela, leur fonctionnement se rapproche du fonctionnement d’une banque centrale classique mais avec les avantages des cryptomonnaies (immédiateté des paiements, désintermédiation). Elles permettent, en particulier dans les échanges transfrontaliers, une plus grande rapidité et un coût inférieur au système financier actuel.

Création de cryptomonnaies : se plier aux règles des banques centrales

Cependant, les banques centrales rappellent que les cryptomonnaies, même adossées à des actifs, ne sont pas libres de tout faire. Cet assujettissement au système de régulation financière, François Villeroy de Galhau l’a rappelé en ces mots.

Si l’ambition du projet est vaste, il ne pourra exister qu’en respectant les règles qui valent pour tous.

Première réglementation sur laquelle les banques centrales seront sourcilleuses : le blanchiment. En effet, les cryptomonnaies ont souvent permis aux activités illégales (arme, drogue, terrorisme,…) de fleurir sur le lit de l’anonymat des transactions.

Facebook devra aussi  garantir la sécurité de la transaction et donc s’assurer contre tout risque de piratage. Le leader des réseaux sociaux devra aussi garantir la protection des données personnelles. Un comble pour l’entreprise qui a été impliqué dans  le scandale Cambridge Analytica où des millions d’utilisateurs ont vu leurs données personnelles utilisées à des fins politiques.

Enfin, si le projet Libra va au-delà des moyens de paiement et souhaite s’étendre aux services bancaires comme les comptes de  dépôts, les crédits, les placements financiers, il devra être régulé comme une banque et obtenir une licence bancaire.

Libra : le loup dans la bergerie ?

L’arrivée de Facebook dans le périmètre sacré des entités à même de battre monnaie pose des questions qui vont bien au-delà de quelques contrôles réglementaires. Qu’est ce qui imposera à Facebook de se plier dans l’avenir à une supervision des banques centrales si Libra est un succès ? Les autorités monétaires tirent une part importante de leur pouvoir d’un multilatéralisme réglementaire qui montre de plus en plus sa fragilité. La taxation des GAFA le démontre, l’intérêt de quelques-uns peut suffire à faire voler en éclat un consensus mondial.

C’est pour cette raison que de plus en plus de voix s’élèvent, aux Etats-Unis même, pour réclamer le démantèlement des géants du numérique. Ce ne serait pas la première fois que les entités anti-trust interviendraient pour rétablir davantage de concurrence. Le plus célèbre cas fut la société pétrolière Standard Oil de Rockfeller, elle aussi fleuron d’une autre révolution industrielle, que la Cour suprême des Etats-Unis a démantelée en 1911.

Mais l’enjeu ici n’est plus d’éviter un monopole qui empêcherait le consommateur de profiter de prix plus bas mais rien de moins que celui de la direction de la politique monétaire. En cas de succès, Facebook aura-t-il intérêt à ne pas avoir recours à la « planche à billets de Libra » ? N’était-ce pas l’objectif de l’indépendance des banques centrales ? Les conséquences d’une crise monétaire de Libra, ne se cantonnant plus alors à un pays mais à l’ensemble du commerce mondial, pourrait faire alors passer la crise des subprimes pour un épiphénomène.

Toujours est-il que les autorités monétaires sont maintenant elles-mêmes confrontées à l’uberisation de leur activité et à leur capacité à les règlementer