Il y a peu, de nombreuses voix – syndicats, personnalités politiques, acteurs du monde économique –, se sont élevées pour demander un gel du versement des dividendes aux actionnaires le temps de la crise due à la pandémie de Covid-19. Si certaines entreprises ont d’ores et déjà annoncé avoir renoncé à verser un revenu à leurs actionnaires en 2020, suivant ainsi les recommandations du ministre de l’Economie et des Finances, d’autres, au contraire, maintiennent les distributions de dividende prévues. Revue des différentes logiques à l’œuvre.
L’appel à la « modération » au versement des dividendes de la part du gouvernement
Dans le contexte de crise sans précédent provoquée par le Covid-19, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a appelé à la solidarité entre l’ensemble des acteurs économiques et à « la plus grande modération » dans le versement de dividendes de la part des entreprises, notamment pour celles ayant recours aux mesures de chômage partiel.
Dans ces circonstances, l’Etat a annoncé qu’il voterait un gel du versement des dividendes dans toutes les entreprises dans lesquelles il est actionnaire. Pour les entreprises bénéficiant d’un report de charges fiscales et/ou sociales, la question du versement de dividendes se pose de manière encore plus forte.
Si l’Etat ne peut formellement interdire la distribution de dividendes, le ministre de l’Economie et des Finances a annoncé que l’aide publique à ces entreprises souffrant de problèmes de trésorerie sera conditionnée au non versement de dividendes. Comment comprendre en effet que des entreprises en délicatesse avec leur trésorerie et sollicitant l’aide de l’Etat parviennent à dégager des liquidités pour rémunérer leurs actionnaires ?
Verser des dividendes en temps de crise…
Certaines entreprises ont toutefois décidé de verser des dividendes à leurs actionnaires en 2020, quitte à devoir renoncer à l’aide de l’Etat. Elles affichent ainsi leur volonté de distribuer une partie des bénéfices de l’exercice 2019 et de récompenser leurs actionnaires.
Des entreprises pourraient également avoir un intérêt à maintenir le versement de leurs dividendes, dans un contexte de crise boursière. En effet, le versement de dividendes peut permettre d’attirer des investisseurs, découragés par la chute des cours en bourse. Il constitue en outre un signal positif envoyé aux marchés car il témoigne de la bonne santé de l’entreprise, capable de verser des dividendes malgré la crise économique.
Transfert de richesse entre créanciers et actionnaires d’une même entreprise ?
Selon la théorie classique de la finance d’entreprise – le théorème Modigliani-Miller –, les moyens de financement d’une entreprise sont neutres et n’ont aucun impact sur sa valeur. Autrement dit, il serait équivalent pour une entreprise de se financer via une émission d’obligations ou grâce à une augmentation de capital.
Dans les faits, toutefois, un rapport de force peut s’établir entre les créanciers d’une entreprise et ses actionnaires. En distribuant des dividendes, une entreprise endettée peut générer un transfert implicite de valeur des créanciers vers les actionnaires. La valeur de la dette diminue alors sous l’effet de l’augmentation de la probabilité de défaut sur celle-ci.
… ou soigner sa trésorerie ?
Renoncer au versement de dividendes peut toutefois revêtir des vertus économiques, même pour les entreprises non concernées par le chômage partiel ou par l’aide publique.
Le gel des dividendes permet tout d’abord de soulager les trésoreries des entreprises à court terme et de faire face aux conséquences à plus long terme de la crise économique, dont il est bien difficile aujourd’hui de prédire l’issue. Les liquidités ainsi conservées pourraient s’avérer cruciales si les conditions économiques se dégradaient davantage.
Versement de dividendes en actions
Il existe, outre le versement d’un dividende en numéraire, une autre possibilité pour une entreprise de « rémunérer » ses actionnaires : le dividende en actions.
Dans ce cas, les actionnaires reçoivent de nouvelles actions sans avoir à mettre la main à la poche. Pour l’entreprise, l’un des avantages de cette manière de rémunérer ses actionnaires est qu’elle n’a pas d’impact sur sa trésorerie. En période de crise, les entreprises pourraient donc être tentées par cette solution leur permettant de rémunérer leurs actionnaires, tout en conservant des liquidités. La loi (art L 232-10 et suivants du code de commerce) prévoit toutefois qu’il s’agit d’une option offerte aux actionnaires et non d’une possibilité pour une entreprise de l’imposer à ses actionnaires.
Quels que soient par ailleurs les avantages et les inconvénients d’un tel régime, cette solution ne pourrait donc être choisie d’autorité par une entreprise pour l’ensemble de ses actionnaires, en l’état actuel du droit.
Pour les banques, renoncer à verser des dividendes a un intérêt tout particulier, d’ailleurs souligné par la Banque Centrale Européenne qui leur recommande d’agir de la sorte. Cela pourrait en effet permettre aux établissements bancaires de soutenir l’activité économique réelle, à travers les ménages et les entreprises, tout en soignant leurs ratios de solvabilité et en augmentant leur capacité à absorber des pertes financières liées à la défaillance d’acteurs économiques. Associés à l’effet « morale » et de réputation pour les entreprises, ces considérations économiques laissent penser que les dividendes effectivement versés en 2020 seront réduits à des niveaux relativement faibles, bien loin du record atteint en 2019.