Dans le Journal de bord du médiateur de l’AMF, en ligne sur son site internet, Marielle Cohen-Branche fait le point sur les conditions de mise en œuvre de la mesure exceptionnelle d’interdiction des ventes à découvert, qui a pris fin le 18 mai 2020.
La vente à découvert consiste à vendre un actif financier sans le détenir à la date de la vente. Cette stratégie est employée par les investisseurs lorsque ceux-ci anticipent une baisse des cours du titre concerné.
En cas de baisse des cours de l’actif concerné, elle permet d’acheter un actif à un cours inférieur à son prix de vente. Si l’anticipation de baisse des cours se réalise, alors l’opérateur réalise un gain correspondant à la différence entre les deux prix, diminuée du coût de l’opération (coût de l’emprunt, notamment).
De la même manière, certaines transactions sur des instruments financiers dérivés peuvent conférer à leur détenteur un avantage financier en cas de baisse du prix de son titre sous-jacent. On parle alors d’opération ayant pour effet de créer ou d’accroître une « position courte ».
Mesure d’interdiction temporaire des ventes à découvert pendant la crise sanitaire
L’épidémie de coronavirus a eu des conséquences sur l’économie et les marchés financiers en France. L’AMF note que « quand les ventes à découvert se font à grande échelle, elles peuvent menacer la confiance des investisseurs. »
Du 18 mars au 18 mai 2020, l’AMF a interdit les ventes à découvert et toutes autres opérations ayant pour effet de créer ou d’accroître une position courte nette. Cette interdiction était applicable à toute personne établie ou résidant en France ou à l’étranger investissant sur des actions négociées sur des marchés français, relevant de la compétence de l’AMF. Cette interdiction temporaire a été suspendue par l’AMF à compter du 19 mai 2020.
Vente à découvert : l’interdiction s’impose à l’investisseur mais n’oblige pas l’intermédiaire financier
Dans l’affaire soumise à Marielle Cohen-Branche, Médiateur de l’AMF, Madame T. avait acheté des certificats Turbo Put le 2 avril 2020. Il s’agit de produit à effet de levier qui amplifie les variations de cours d’une valeur nommée « sous-jacent », en l’occurrence l’indice allemand DAX, assorti d’une barrière désactivante (knock out) ou « seuil de sécurité ». Lorsque le cours du sous-jacent atteint ce seuil, le Turbo est immédiatement « désactivé », c’est-à-dire qu’il est radié de la cotation. Il ne peut plus être échangé. Et sa valeur peut être nulle ou proche de zéro.
C’est ce qui se passe pour Madame T. le 7 avril. Les certificats sont désactivés suite au franchissement du niveau de la barrière. Elle perd alors l’intégralité de son investissement, soit 30 000 €. Ayant appris que les opérations sur produits dérivés ayant pour effet de créer ou d’accroître une position courte nette étaient interdites par l’AMF, Madame T. a sollicité la médiation de l’AMF afin d’annuler la transaction pour manquement de l’émetteur à ses obligations.
La demande d’annulation de la transaction est refusée par le Médiateur de l’AMF
Le Médiateur de l’AMF rappelle « qu’il était de la responsabilité personnelle de l’investisseur, et non de son intermédiaire financier ou de l’émetteur des titres, de s’assurer du respect de ces dispositions avant d’investir. »
Dans une série de questions-réponses publiées par l’AMF, il est bien indiqué que c’est l’investisseur qui doit s’assurer que l’opération ne crée pas une position courte nette ou n’augmente pas une position courte nette existante.
Et il est précisé que l’intermédiaire n’a aucune obligation d’interdire des opérations susceptibles de créer ou d’accroître une position courte nette sur un titre visé par l’interdiction. Cela notamment parce que celui-ci ne peut pas avoir connaissance de l’ensemble des compte s ouverts chez différents intermédiaires par un même investisseur.
Le Médiateur de l’AMF a donc émis un avis défavorable à la demande d’annulation de la transaction réalisée par Madame T. Aucun manquement ne peut être reproché à l’émetteur. D’autant qu’un avertissement figurait sur la page d’accueil du site de l’émetteur du titre.
L’interdiction des ventes à découvert ne s’appliquait que sur les actions négociées en France
Les certificats Turbo Put acquis par Madame T. avaient pour sous-jacent l’indice DAX, principal indice boursier allemand composé des 30 sociétés allemandes cotées les plus importantes en termes de capitalisation boursière, comparable au CAC 40 en France.
Or, ces actions ne figuraient pas dans la liste des actions concernées par l’interdiction des positions courtes nettes. Elles étaient hors périmètre de l’interdiction édictée par l’AMF. La transaction ne pouvait donc pas être annulée pour ce motif.