Une nouvelle étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) montre que, d’une part, le PIB ressenti est supérieur en Europe qu’aux États-Unis et, d’autre part, que les crises économiques ont un effet plus persistant que ne le laissent penser les données du seul PIB.
Le concept de PIB ressenti
Que l’on pense à la mesure de l’inflation, des inégalités ou encore du chômage, les indicateurs économiques sont parfois critiqués pour leurs limites et leur incapacité à rendre compte de la perception qu’ont les individus de ces phénomènes. Le produit intérieur brut (PIB) ne fait pas exception : bien qu’étant l’un des indicateurs économiques les plus utilisés à l’heure actuelle, il est régulièrement accusé de ne rendre que très imparfaitement compte de l’évolution de la richesse dans une société.
Devant l’importance prise par le PIB comme indicateur économique, l’économiste J. Steven Landefeld l’a désigné comme étant « l’une des plus grandes inventions du XXe siècle ».
Le concept de PIB ressenti vise à réconcilier l’évolution des niveaux de vie et la perception qu’en ont les individus. Pour cela, il a pour objectif de mesurer la dimension monétaire du bien-être national, en se basant sur des données dites « subjectives »,c’est-à-dire directement issues d’enquêtes portant sur les conditions de vie des ménages.
Plus précisément, le PIB ressenti correspond « au revenu d’un individu ayant un niveau de bien-être égal au niveau de bien-être collectif moyen ». Contrairement au seul PIB, la notion de PIB ressenti prend notamment en compte l’évolution des inégalités dans une société.
En effet, le lien entre le niveau de vie et la satisfaction ressentie par les individus n’est pas linéaire. Dans le cas français, les données d’enquête montrent que le bien-être augmente fortement lorsque le niveau de vie est faible (moins de 20 000 euros par an), puis plus lentement pour un niveau de vie compris entre 20 000 et 40 000 euros par an. Au-delà de 40 000 euros par an, le lien entre niveau de vie et satisfaction ressentie est incertain : passé ce seuil, avoir un niveau de vie plus élevé ne se traduit pas par un plus grand bien-être.
PIB versus PIB ressenti
Une croissance du PIB ressenti moindre que celle du PIB
Une étude de l’INSEE calcule le PIB ressenti et le compare au niveau de PIB par tête pour différents pays à deux dates : 1980 et 2017.
Le premier enseignement est que la croissance du PIB ressenti est, quel que soit le pays considéré, plus faible que la croissance des richesses telle que mesurée par le PIB.
En Europe, la croissance du PIB ressenti entre 1980 et 2017 n’a ainsi été que de 1,2 %, tandis que le PIB par habitant augmentait au cours de la même période de 1,9 %. L’écart est encore plus flagrant aux États-Unis, où le PIB ressenti n’a progressé que de 0,3 %, contre 2,7 % pour le PIB.
En cause : la croissance de la population et l’augmentation des inégalités. La croissance ressentie est en effet moindre lorsque les inégalités augmentent, du fait de la relation non linéaire entre le niveau de vie et la satisfaction perçue.
Un bien-être monétaire supérieur en Europe par rapport aux États-Unis
La comparaison des niveaux de PIB ressenti et de PIB par habitant pour un même pays est également instructive. Le PIB ressenti est systématiquement inférieur au PIB par habitant.
Le résultat le plus important de cette étude est sans nul doute que le bien-être monétaire, mesuré par le PIB ressenti, est supérieur en Europe par rapport aux États-Unis (18 638 euros contre 14 650 euros, en 2017), alors même que la richesse par habitant, appréhendée à partir du PIB, y est sensiblement moins élevée (32 598 euros contre 47 348 euros).
Au sein même de l’Europe, on retrouve également cette inversion dans le classement entre PIB ressenti et PIB par habitant. En France, en 2017, le PIB ressenti par habitant est ainsi évalué à 25 247 euros, contre un PIB par tête de 38 151 euros. En Allemagne, l’écart est encore plus important : 24 194 euros contre 41 696 euros. Autrement dit, selon cette étude, la France jouit d’un bien-être monétaire supérieur à l’Allemagne.
La persistance de l’effet des crises économiques
Le dernier enseignement notable de cette étude de l’INSEE porte sur l’impact des crises économiques. Il transparaît de l’analyse en termes de PIB ressenti que celles-ci ont un effet plus persistant que ne l’enseigne un raisonnement basé sur le seul PIB. Le cas de la crise des subprimes est à ce titre significatif. Étant donné l’ampleur de la crise et de la récession qui s’en est suivie, il a fallu attendre 2015 pour que l’économie française retrouve le niveau d’activité économique qui était le sien en 2007.
En termes de PIB ressenti, ce retour à la situation d’avant-crise n’a eu lieu qu’en 2017. La situation est encore plus sévère aux États-Unis où le bien-être monétaire était en 2016 encore inférieur de 5 % au niveau qui était le sien en 2007 !
Cet exemple devrait inciter à ne plus appréhender les questions de sortie de crise, qui résonnent particulièrement dans l’actualité, uniquement à l’aune de l’évolution du seul PIB.