Augmentation de l’extrême pauvreté suite à la pandémie de Covid-19
La Banque mondiale appréhende le phénomène d’extrême pauvreté à partir d’une mesure relativement simple : est considérée comme extrêmement pauvre, toute personne disposant de moins de 1,90 dollar par jour pour vivre. Mesuré dans une devise commune – le dollar en parité de pouvoir d’achat – et selon une définition constante dans le temps, cet indicateur permet de mener des comparaisons internationales et dans le passé.
La parité de pouvoir d’achat est une méthode statistique permettant de comparer la valeur d’un même panier de biens et services dans différents pays, après l’avoir exprimé dans une mesure commune (le plus souvent, le dollar). Une comparaison simple au travers de l’indice Big Mac.
On peut ainsi constater que l’extrême pauvreté a très nettement reculé dans le monde au cours de la période 1990-2017. Alors que l’on comptait près de 1,9 milliard de personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour en 1990, l’extrême pauvreté ne concernait plus « que » 690 millions d’individus en 2017, soit une baisse de plus de 60 % en l’espace d’une trentaine d’années. Cette tendance s’explique en grande partie par la quasi-disparition de l’extrême pauvreté dans les pays de l’Asie de l’Est et du Pacifique.
Selon la Banque mondiale, la pandémie de Covid-19 devrait, toutefois, mettre un terme à cette baisse de l’extrême pauvreté.
Sous l’effet de la plus grave récession que le monde ait jamais connu, le nombre de personnes situées sous le seuil de 1,90 dollar par jour devrait, en effet, augmenter de 50 à 90 millions d’ici 2021. Selon un scénario pessimiste, on comptera, en 2021, plus de 730 millions de personnes extrêmement pauvres dans le monde, soit près de 150 millions de plus que dans l’estimation de janvier dernier, effectuée avant l’irruption de la pandémie de Covid-19. Le scénario de base n’est guère plus optimiste et prédit que 703 millions de personnes vivront avec moins de 1,90 dollar par jour dès 2020.
Propositions d’Esther Duflo pour lutter contre l’extrême pauvreté
Dans ce contexte, l’économiste et lauréate en 2019 du prix de la Banque de Suède en sciences économiques, Esther Duflo, a récemment émis deux propositions afin de lutter contre l’extrême pauvreté. Elle plaide, d’une part, pour la mise en place d’un « revenu universel ultra basique » au sein des pays les plus pauvres du globe et, d’autre part, pour une plus grande coopération et solidarité internationales en direction de ces pays.
Économiste franco-américaine, Esther Duflo enseigne au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT). En 2019, elle a été lauréate, avec Abhijit Banerjee et Michael Kremer, du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. Ces trois économistes ont notamment été récompensés pour avoir révolutionné les travaux en économie du développement et contribué à améliorer les outils de lutte contre la pauvreté dans le monde.
Pour un revenu universel ultra basique
Dans son ouvrage Économie utile pour des temps difficiles (2020), co-écrit avec Abhijit Banerjee, E. Duflo propose notamment la mise en place d’un « revenu universel ultra basique » dans les pays les plus pauvres. Contrairement aux nations les plus riches, ces derniers sont, en effet, le plus souvent dépourvus de toute protection sociale, ce qui n’assure aux populations locales aucun filet de sécurité en période de récession. De plus, les pays les plus pauvres ne disposent généralement pas d’appareils statistiques capables d’identifier avec précision les groupes de population les plus exposés à la pauvreté et/ou aux conséquences d’une crise économique.
Dans ce contexte, la mise en place d’un revenu universel ultra basique permettrait de garantir la satisfaction de besoins humains fondamentaux comme l’alimentation.
L’avantage de recourir à un tel revenu universel pour les pays les plus pauvres est que celui-ci pourrait être financé par les États à partir des systèmes fiscaux déjà existants. E. Duflo et A. Banerjee calculent ainsi qu’un versement annuel de 7 620 roupies (environ 430 dollars) à 75 % de la population de l’Inde permettrait à ce pays de sortir entièrement de l’extrême pauvreté. Or, cette mesure ne coûterait « que » l’équivalent de 4,9 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et pourrait être financée grâce à la suppression de certaines subventions et d’autres régimes d’aides sociales.
Pour un Plan Marshall de l’aide au développement
Dans un entretien récent, E. Duflo souligne, d’autre part, que depuis l’irruption de la pandémie de Covid-19, « la solidarité internationale n’a pas du tout fonctionné », avant d’ajouter : « c’est une honte pour les pays riches ».
Dans ce contexte, l’économiste plaide pour la mise en place d’un véritable Plan Marshall à destination des pays les plus pauvres de la planète. Contrairement aux nations les plus riches, ces derniers ne disposent pas, en effet, d’appareils fiscaux ni d’un accès aux marchés financiers, leur permettant de mobiliser des fonds rapidement et à bas coût. Il leur est alors plus difficile de lutter contre les conséquences négatives de la récession actuelle et de soutenir leur économie.
L’enjeu est de taille, selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), près de 235 millions de personnes auront besoin, en 2021, d’une aide humanitaire et d’assistance. Début décembre, l’ONU a lancé un appel record de 35 milliards de dollars (environ 29 milliards d’euros). Cette somme lui permettrait de venir en aide à près de 160 millions d’individus répartis dans 56 pays différents.