Turquie : Changement de gouverneur et réaction des marchés financiers
Le président Recep Tayyip Erdogan a limogé, dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 mars dernier, le gouverneur de la Banque centrale de Turquie, Naci Agbal, et l’a remplacé par Sahap Kavcioglu, un économiste et homme politique réputé proche du pouvoir central. Ce changement intervient cinq mois seulement après la nomination de N. Agbal. S. Kavcioglu devient ainsi le quatrième gouverneur de la Banque centrale depuis juillet 2019.
Dès leur réouverture, les marchés financiers ont vivement réagi à l’annonce de ce remplacement. La livre turque a perdu près de 10 % face à l’euro dès le lundi 22 mars. Le même jour, les cotations ont dû être suspendues à deux reprises à la Bourse d’Istanbul devant la chute des cours. Le BIST 30, le principal indice boursier turc, a, au total, perdu plus de 10 % au cours de la semaine dernière.
La Turquie a annoncé maintenir un système de changes flexibles, malgré la dépréciation de la livre turque.
Cette dépréciation de la livre turque et le recul de la Bourse d’Istanbul sont le signe d’une défiance des marchés financiers et du retrait de capitaux de la part de certains investisseurs. Ils témoignent également d’une perte de crédibilité de la Banque centrale et des doutes émis quant à l’indépendance réelle de celle-ci.
Lecture : le taux de change est exprimé à l’incertain pour la livre turque : la courbe représente le nombre de livres turques nécessaires pour obtenir un euro. Ainsi, lorsque le taux de change augmente, cela signifie que la livre turque se déprécie : il en faut, en effet, davantage pour acheter un euro.
Le dilemme turc : relever ou baisser les taux d’intérêt ?
Les raisons officielles de ce changement de gouverneur de la Banque centrale n’ont pas été annoncées, mais le limogeage de N. Agbal semble lié à la décision de ce dernier de relever les taux d’intérêt directeurs de la Banque centrale à 19 % afin de lutter contre l’inflation, estimée à l’heure actuelle à près de 15 % en rythme annuel.
A l’encontre de ce que préconiseraient l’immense majorité des économistes en matière de lutte contre l’inflation, le président Erdogan est, en effet, favorable à une baisse des taux d’intérêt. Ce type de politique monétaire plus accommodante pourrait, certes, stimuler l’économie turque à court terme, mais provoquerait sans doute une accélération de l’inflation.
Selon les estimations de la Banque mondiale, la Turquie est, malgré la pandémie de Covid-19, l’un des rares pays à avoir connu une croissance positive de son produit intérieur brut (PIB) réel l’année dernière. Le PIB réel a, en effet, crû de 0,5 % en 2020.
Une baisse des taux d’intérêt, en provoquant une dépréciation de la livre turque, devrait entraîner un renchérissement du prix des produits importés. Il faudra, en effet, davantage de livres pour acheter un même bien, toutes choses égales par ailleurs. Le dilemme auquel fait face l’économie turque est alors le suivant : baisser les taux d’intérêt afin de stimuler l’économie au risque d’amputer le pouvoir d’achat de sa devise ou, au contraire, augmenter les taux d’intérêt pour défendre la valeur de la livre, mais en limitant l’ampleur de la reprise économique.