Développement du groupe Evergrande
Fondé en 1996, le groupe Evergrande est, au fil des années, devenu un géant de l’économie chinoise. Il est aujourd’hui le deuxième promoteur immobilier du pays, comptant près de 200 000 salariés et portant, fin 2020, 798 projets dans 234 villes chinoises. Certains d’entre eux sont d’une envergure colossale, comme l’Ocean Flower Island. D’un montant de 160 milliards de yuans (soit environ 21 milliards d’euros), ce projet, encore en développement, prévoit la construction dans la province du Hainan d’un archipel artificiel d’une superficie totale de 381 hectares, composé de trois îlots sur lesquels seront créés un parc d’attraction, des salles de spectacle, une soixantaine d’hôtels, une trentaine de musées, des infrastructures sportives, etc.
Au-delà du secteur immobilier, Evergrande possède également des activités dans les secteurs agro-alimentaire, de la santé, de la finance, de l’automobile, du numérique, etc. En 2009, Evergrande a, par exemple, racheté le club de football de Guangzhou. Grâce aux fonds du groupe, le club a connu une modernisation rapide et est parvenu à attirer des joueurs et entraîneurs de renom, ce qui lui a permis de remporter 7 titres consécutifs de champion de Chine entre 2011 et 2017.
Le groupe Evergrande a été introduit à la Bourse de Hong-Kong en octobre 2009, levant au passage près de 722 millions de dollars.
Selon son dernier rapport annuel, le groupe Evergrande possédait, fin 2020, près de 2 301 milliards de yuans d’actifs, ce qui représente environ 2,3 % du produit intérieur brut (PIB) de la Chine ! Au cours de l’année 2020, son chiffre d’affaires a atteint 507 milliards de yuans et son bénéfice net 8 milliards de yuans.
Evergrande : chronologie d’une crise
Les premières fissures dans l’édifice Evergrande apparaissent début 2021. En mars, le groupe annonce, en effet, vouloir réduire son endettement de près de 150 milliards de yuans, sans que l’ampleur totale des dettes d’Evergrande ne soit connue avec précision à ce moment-là. Les déboires financiers s’accélèrent au cours de l’été. Entre juin et août, la notation de l’entreprise est dégradée par les principales agences de notation – Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s. Fin septembre, ces dernières sont unanimes pour reconnaître un risque très important de non-remboursement des obligations émises par Evergrande.
Le 31 août, Evergrande annonce qu’il pourrait ne pas honorer ses engagements financiers, s’il ne parvient pas à générer assez de trésorerie pour les couvrir. Les ventes immobilières se multiplient alors à des conditions de moins en moins favorables pour le groupe. Celui-ci est également contraint de céder des actifs. Par exemple, fin septembre, il vend 20 % de ses parts détenues dans la banque Shengjing. Le 13 septembre, Evergrande annonce faire face à des « difficultés sans précédent » : son endettement total est alors estimé à un montant équivalant à près de 260 milliards d’euros. Le 24 septembre, Evergrande ne peut honorer des versements d’un montant de 83,5 millions de dollars aux détenteurs de ses obligations. Le groupe dispose de 30 jours pour régler ces versements, faute de quoi il sera considéré comme étant en défaut de paiement. Alors de nouvelles échéances se profilent pour Evergrande, les analystes semblent pessimistes quant à la capacité du groupe à se relever.
Témoin de ces déboires financiers, le cours de l’action d’Evergrande a été divisé par 5 à la Bourse de Hong-Kong pendant les 8 premiers mois de l’année 2021. Sa cotation a été suspendue lundi 4 octobre, alors que le cours n’atteignait plus que 2,95 dollars de Hong-Kong (soit environ 33 centimes d’euro).
Facteurs de crise d’Evergrande
Les difficultés financières rencontrées par Evergrande sont imputables à plusieurs facteurs. Tout d’abord, la stratégie d’expansion du groupe, extrêmement rapide et ambitieuse, reposait sur un fort effet de levier financier, synonyme de risques élevés. Les emprunts contractés par Evergrande ont vu progressivement leur durée se réduire et leurs taux augmenter, en raison de ces risques. Une nouvelle réglementation, dite des « trois lignes rouges », mise en œuvre par le gouvernement chinois décidée au cours de l’été 2020 a, en outre, limité la capacité d’endettement supplémentaire d’Evergrande (voir ci-dessous).
Selon des révélations du Financial Times, Evergrande a également utilisé des fonds provenant de la vente de wealth management products (WMP) pour combler des besoins de financement à court terme, en opposition aux principes de bonne gestion financière. Les WMP sont des produits destinés à la gestion privée, le plus souvent adossés à des projets d’infrastructure. Opaques et risqués, ils affichent des rendements élevés et parfois même garantis. Depuis plusieurs semaines, de nombreux investisseurs de ces WMP manifestent devant le siège d’Evergrande craignant de ne pas revoir leurs fonds, ayant servi pour certains à rembourser la dette à court terme du promoteur immobilier. Enfin, la pandémie de Covid-19 a réduit les revenus du groupe, notamment du fait de la fermeture de certains centres commerciaux et du ralentissement des ventes immobilières.
Les trois lignes rouges décidées par Pékin
Visant à éviter la surchauffe sur le marché immobilier, le gouvernement chinois a décidé, en juillet 2020, de mettre en place une nouvelle règlementation, parfois résumée sous l’expression « trois lignes rouges ». Il s’agissait, en effet, de stopper la spirale de l’endettement des promoteurs immobiliers et d’enrayer la hausse des prix de l’immobilier en Chine en fixant des limites aux trois ratios suivants : dettes sur actifs nets (70 %), dette nette sur fonds propres (100 %) et dettes à court terme sur flux de trésorerie (inférieur à 1). En cas de dépassement de ces ratios, la croissance de l’endettement des promoteurs est limitée dans les proportions suivantes :
Conséquences des déboires financiers d’Evergrande
Les déboires financiers d’Evergrande ont tout d’abord des conséquences importantes pour l’économie chinoise. Ils génèrent, tout d’abord, une forte incertitude, aggravée par la confusion et l’opacité entourant la communication de la société, et impactent de nombreux acteurs économiques et financiers liés, directement ou indirectement, à l’activité d’Evergrande. Des particuliers restent ainsi dans l’attente de la livraison de leur logement. Des établissements financiers et des investisseurs tentent d’évaluer les pertes qu’ils subiront sur les crédits et les financements accordés à Evergrande. Enfin, le secteur immobilier dans son ensemble se trouve déstabilisé.
Loin d’être cantonnés à la Chine, les déboires d’Evergrande ont également eu des répercussions mondiales. Les marchés financiers en Europe et aux États-Unis ont ainsi reculé fin septembre, craignant des pertes liées à l’exposition de certains acteurs aux emprunts d’Evergrande et plus généralement un ralentissement de l’activité économique en Asie. Cette contagion de la Chine vers l’Europe et les États-Unis, pour le moment limitée, pourrait s’accélérer en fonction de la réaction du pouvoir central chinois.
En l’absence d’un renflouement par Pékin, un scénario « à la Lehman Brothers » pourrait déclencher des défauts en chaîne, prémices d’une crise beaucoup plus grave.
Faute d’avoir été sauvée par les autorités américaines, la banque d’investissement américaine Lehman Brothers a fait faillite le 15 septembre 2008. Cette faillite a eu des répercussions considérables et a été un élément déterminant dans l’aggravation de la crise des subprimes.