Le retour de l’inflation
Selon les données publiées par le Bureau of Labor Statistics, service officiel de statistiques lié au Département du Travail aux États-Unis, la hausse des prix a atteint, en rythme annuel, 6,8 % en novembre. Il faut remonter à près de 40 ans pour retrouver un tel niveau d’inflation et plus précisément au mois de juin 1982. La hausse des prix était alors de 7,1 % en rythme annuel. Les États-Unis subissaient les conséquences du second choc pétrolier de 1979 et connaissaient une inflation galopante, caractérisée par des taux d’inflation dépassant allègrement les 7 % par an. Ce n’est qu’à la suite d’un changement dans la conduite de la politique monétaire décidé par la Réserve Fédérale, alors dirigée par Paul Volcker, que l’inflation a fortement diminué aux États-Unis. En guise de comparaison, elle a atteint 2,6 et 1,8 % en moyenne respectivement au cours des décennies 2000 et 2010.
Comment lire et interpréter les données sur l’inflation ?
Sur le dernier communiqué d’Eurostat, on peut lire que le taux d’inflation a atteint en zone euro 0,5 % au mois de novembre 2021, soit 4,9 % en rythme annuel. Une telle formulation peut dérouter le lecteur. Que faut-il comprendre ? Une telle phrase contient deux informations différentes, mais non contradictoires :
– Premièrement, l’inflation a atteint 0,5 % en novembre. Cela signifie que le niveau général des prix a augmenté de 0,5 % en novembre par rapport au mois d’octobre. Il s’agit, autrement dit, de l’inflation mensuelle.
– Deuxièmement, l’inflation est de 4,9 % en rythme annuel en novembre. Cela signifie que les prix ont augmenté de 4,9 % au cours des douze derniers mois, c’est-à-dire entre novembre 2020 et novembre 2021. Il s’agit ici de l’inflation annuelle.
Ce retour de l’inflation concerne également la zone euro. Selon les données publiées par Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, l’inflation était, en rythme annuel, de 4,9 % en novembre 2021 au sein de la zone euro. Il s’agit du plus haut niveau d’inflation jamais enregistré au sein de la (jeune) union monétaire. Le précédent record d’inflation au sein de la zone euro avait été atteint en juillet 2008 avec une hausse du niveau général des prix de 4,1 % en rythme annuel.
La quasi-intégralité des pays développés est concernée par ce retour de l’inflation. Seule exception notable : le Japon où les prix n’ont augmenté que de 0,1 % en rythme annuel au mois d’octobre 2021.
Vers une diminution du pouvoir d’achat des ménages
L’une des conséquences de l’inflation est de peser sur le pouvoir d’achat, c’est-à-dire sur la capacité, pour les ménages, d’acheter des biens et des services avec leurs revenus. Si l’inflation est supérieure à la progression des revenus des ménages, alors le pouvoir d’achat recule. C’est d’ailleurs ce que prévoit l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour 2022. Selon une projection parue le 14 décembre, le pouvoir d’achat des ménages devrait reculer en France de 0,2 % au cours de l’année prochaine.
Comment peut-on expliquer ce retour de l’inflation ?
Reprise économique et hausse des prix de l’énergie
Le retour de l’inflation s’explique, tout d’abord, par la reprise économique à l’œuvre dans l’ensemble des pays du globe. Celle-ci s’accompagne, en effet, d’une augmentation forte de la demande, que ce soit pour des biens de consommation ou pour des biens intermédiaires, ce qui stimule le prix de ces derniers. Ce phénomène est renforcé par les perturbations que connaissent toujours à l’heure actuelle les chaînes de valeur du fait de la pandémie de Covid-19, toujours en cours. Les processus de production sont, en effet, dispersés géographiquement, ce qui implique qu’une résurgence de l’épidémie limitée à une zone géographique peut avoir des conséquences à l’échelle mondiale.
Dans ce contexte de reprise économique, la hausse des prix de l’énergie – pétrole, électricité et gaz – explique une large partie de l’inflation constatée aux États-Unis et au sein de la zone euro. Plus précisément, les prix de l’énergie y ont respectivement progressé, en rythme annuel, de 33,3 % et de 27,4 % en novembre 2021.
En excluant les prix de l’énergie, l’inflation annuelle en zone euro atteint 2,5 % en novembre 2021.
Les facteurs spécifiques à l’économie américaine
La reprise économique et la hausse des prix de l’énergie concernent la plupart des économies développées. D’autres facteurs inflationnistes sont, en revanche, spécifiques à l’économie américaine. Ce sont ces derniers qui permettent d’expliquer pourquoi l’inflation est plus forte aux États-Unis qu’au sein de la zone euro.
On constate tout d’abord aux États-Unis une forte augmentation du prix des véhicules. Les constructeurs souffrent, en effet, de la pénurie mondiale de semi-conducteurs, qui les contraint à limiter leur offre, ce qui, à demande croissante, contribue à l’augmentation des prix. Selon le Bureau of Labor Statistics, le prix des voitures neuves a augmenté, en novembre 2021, de 9,8 % en rythme annuel aux États-Unis. En partie pour cette raison, les véhicules d’occasion sont également plus demandés, ce qui pousse leur prix à la hausse. Selon une étude du Peterson Institute for International Economics (PIIE), un think-tank américain, près de la moitié de l’inflation récente aux États-Unis pourrait s’expliquer par la hausse des prix des véhicules, neufs ou d’occasion.
L’action des Banques centrales scrutée de près
Dans ce contexte de retour de l’inflation, l’action des Banques centrales, et en particulier de la Réserve fédérale (FED) aux États-Unis et de la Banque centrale européenne (BCE) pour la zone euro, est scrutée de près. Elles pourraient, en effet, rapidement faire face à un dilemme et devoir mener des politiques monétaires plus restrictives, afin de limiter l’inflation, quitte à réduire l’ampleur de la reprise économique…
Un deuxième facteur permettant d’expliquer que les États-Unis connaissent une inflation plus forte que la zone euro réside dans l’ampleur des plans de relance adoptés outre-Atlantique. En particulier, le troisième plan de relance américain – le premier de Joe Biden –, adopté en mars 2021, était doté d’une enveloppe globale de 1900 milliards de dollars, soit environ 9 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Ce plan est suspecté par certains économistes d’avoir déséquilibré l’économie américaine, en particulier avec sa mesure phare : l’envoi d’un chèque de 1400 dollars à la plupart des ménages américains.
« Le dernier plan de relance [américain] était trop important et une partie était inutile » (Thomas Philippon, professeur à la Stern School of Business à New York).