Comment mesure-t-on la pauvreté ?
La pauvreté est un phénomène complexe et donc difficile à mesurer. Une première manière de l’appréhender, largement reprise dans le débat public, se concentre sur ses aspects monétaires : on parle alors d’une définition monétaire de la pauvreté.
Par exemple, selon les critères définis par Eurostat, une personne sera considérée comme pauvre si son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, défini comme étant égal à 60 % du niveau de vie médian. D’après cette définition, on comptait respectivement 13,6 % et 16,8 % de ménages pauvres en France et au sein de l’Union Européenne et en 2019.
Ce type d’approche de la pauvreté liée à l’insuffisance de revenus a l’avantage de pouvoir se calculer relativement aisément et facilite les comparaisons dans l’espace et le temps.
Toutefois, en insistant sur les seuls aspects monétaires du phénomène de pauvreté, cette approche laisse de côté de nombreuses dimensions de la pauvreté. En effet, la pauvreté peut se manifester par la faiblesse (ou une absence) de revenus, mais également par l’impossibilité d’accéder à un logement autre que précaire, une difficulté à s’alimenter et se chauffer correctement, l’impossibilité de se soigner convenablement, etc. Afin de prendre en compte le caractère multidimensionnel de la pauvreté, des indicateurs non monétaires de la pauvreté ont été développés.
Pauvreté : les travaux pionniers d’Amartya Sen
Lauréat du Prix Nobel d’économie en 1998, Amartya Sen a développé l’une des approches non-monétaires du concept de pauvreté les plus fécondes. Jugeant fortement réductrice la vision strictement monétaire de la pauvreté, l’économiste indien développe, dans les années 1980, une approche dite par les « capabilités » (anglicisme résultant d’une traduction littérale de l’anglais « capabilities » qui signifie « capacités »), c’est-à-dire la possibilité effective pour un individu de choisir entre différents « modes de fonctionnement » (se nourrir, participer à la vie en communauté, se déplacer, recevoir une éducation, etc.). La pauvreté est alors entendue comme une privation de ces capacités et renvoie ainsi à « une incapacité à édifier son bien-être ».
La pauvreté non monétaire en France
Depuis 2004, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) calcule des indicateurs de pauvreté en conditions de vie et de privation matérielle. Une étude, publiée le 1er septembre, fournit les données pour l’année 2019. Selon l’indicateur retenu, entre 11 et 13,1 % de la population était pauvre en termes de conditions de vie et de privation matérielle en France en 2019.
Les indicateurs de pauvreté non monétaire
À partir de l’enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie, l’INSEE calcule trois indicateurs de pauvreté non monétaire :
- la pauvreté en conditions de vie,
- la privation matérielle et
- la privation matérielle et sociale.
Chacun de ces indicateurs repose sur un nombre d’items regroupés en quatre dimensions : l’insuffisance de ressources, les retards de paiement, les restrictions de consommation et les difficultés de logement. Un seuil en nombre d’items est fixé pour être considéré en situation de pauvreté.
Par exemple, l’indicateur de privation matérielle repose sur 9 items :
1. Retard de paiement (de loyer, de factures d’eau, de gaz ou d’électricité ou de crédit à la consommation) au cours des douze derniers mois,
2. restriction de consommation empêchant le maintien du logement à la bonne température,
3. paiement d’une semaine de vacances dans l’année,
4. une dépense imprévue de 1000 euros,
5. manger de la viande ou du poisson tous les deux jours,
6. posséder un téléviseur,
7. posséder un lave-linge,
8. posséder une voiture personnelle,
9. posséder un téléphone.
Tout individu réunissant au moins 3 items sera alors considéré comme pauvre en termes de privation matérielle.
Des pauvretés qui se cumulent
Les deux approches de la pauvreté – monétaire et non-monétaire – sont complémentaires et ne se recoupent que partiellement.
Selon l’étude de l’INSEE, 42 % des personnes pauvres au sens monétaire sont également touchées par la privation matérielle et sociale.
Inversement, 44 % des personnes subissant une privation matérielle et sociale disposent d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté.
Au total, l’étude estime que le phénomène de pauvreté, monétaire et non-monétaire, concerne près de 21 % de la population française.