Les annonces de la BCE
La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé, jeudi 9 juin, un durcissement de sa politique monétaire. Si ces annonces étaient attendues dans un contexte d’accélération de l’inflation au sein de la zone euro, elles permettent de préciser les contours de la politique monétaire pour les mois à venir.
La décision de la BCE est loin d’être singulière. Avant même les annonces du 9 juin, la plupart des banques centrales dans le monde, comme la Réserve Fédérale (FED) aux États-Unis, avait annoncé prendre des mesures plus restrictives de politiques monétaires.
Concrètement, la BCE a décidé de :
- Deux augmentations prochaines des taux d’intérêt directeurs : l’une de 25 points de base (soit 0,25 point de pourcentage) en juillet, suivie d’une autre en septembre dont l’ampleur n’est pas précisée à ce stade. Influençant le coût auquel les banques commerciales peuvent se refinancer auprès de la BCE, les taux d’intérêt directeurs pourraient, en outre, être à nouveau relevés dans le courant de l’année en fonction de l’évolution de l’inflation.
- L’arrêt des achats nets de titres effectués dans le cadre du Programme d’achats de titres (ou Asset Purchase Programme) à partir du 1er juillet prochain. Lancé pour la première fois en 2014, cessé en 2018, puis reconduit en novembre 2019, ce programme, mesure non conventionnelle de politique monétaire, avait pour objectif de lutter contre le risque de déflation en zone euro. Cette décision de la BCE, parfois désignée sous le terme de quantitative tightening (QT), devrait avoir pour effet de réduire la taille du bilan de l’Eurosystème.
Des prévisions d’inflation revues à la hausse
Le durcissement de la politique monétaire annoncé par la BCE s’inscrit dans le contexte d’une accélération de l’inflation. Liée notamment à la forte reprise économique post-crise du Covid-19, aux perturbations que connaissent encore actuellement les chaînes de valeur – en particulier du fait des mesures de la politique « zéro Covid » menée en Chine – et à la guerre en Ukraine, l’augmentation des prix devrait être durable et plus forte qu’initialement attendue. Alors que la BCE prévoyait, en mars dernier, une inflation de 5,1 %, 2,1 % et 1,9 % en moyenne en zone euro respectivement pour les années 2022, 2023 et 2024, elle table désormais sur des taux d’inflation de 6,8 %, 3,5 % et 2,1 % pour ces mêmes années.
Les effets à attendre de ce durcissement de la politique monétaire
La politique monétaire menée par une Banque centrale a de nombreuses implications économiques. Nous nous concentrons ici sur les trois aspects suivants : l’inflation, l’évolution de l’activité économique et la stabilité au sein de la zone euro.
Vers une inflation plus faible ?
Au cours des dernières années, la BCE a mené une politique monétaire particulièrement accommodante, caractérisée par des taux d’intérêt directeurs particulièrement faibles et même négatifs pour certains et des mesures d’assouplissement quantitatif. Cette politique monétaire accommodante avait pour objectif de stimuler l’inflation et d’éloigner le spectre de la déflation, c’est-à-dire une situation où les prix baissent. Le retour de taux d’inflation, dépassant largement l’objectif de 2 % à moyen terme fixé par la BCE, signifie qu’il n’est plus nécessaire pour la BCE de mener une politique aussi accommodante.
Le durcissement de la politique monétaire de la BCE va-t-il pour autant entraîner une diminution de l’inflation ? Si la question divise les économistes, il demeure néanmoins probable que la décision de la BCE n’ait qu’un impact relativement faible sur l’évolution des prix à court terme. L’inflation actuelle est, en effet, en grande partie « importée », puisqu’elle est étroitement liée au renchérissement de l’énergie.
Vers un ralentissement de l’activité économique ?
La BCE prévoit, par ailleurs, que l’activité économique progressera, en 2022 et 2023, moins rapidement qu’initialement prévu. Selon ses dernières projections, le PIB réel devrait, en effet, augmenter de 2,8 % et 2,1 % pour ces deux années, alors que les prévisions effectuées en mars dernier tablaient sur une croissance économique de 3,7 % en 2022 et 2,8 % en 2023.
Si le durcissement de la politique monétaire est loin d’être le premier facteur explicatif de ce ralentissement économique, il devrait y contribuer, notamment en renchérissant le coût du crédit et en altérant quelque peu les conditions de financement au sein de la zone euro.
Vers un risque de fragmentation au sein de la zone euro ?
Le ralentissement de l’activité économique n’est pas le seul risque auquel s’expose la BCE en durcissant sa politique monétaire. De nombreux observateurs s’inquiètent, en effet, du retour d’un risque de fragmentation de la zone euro. Dès les annonces de la BCE jeudi 9 juin en début d’après-midi, le spread italien a, ainsi, fortement progressé et s’est rapproché du niveau atteint en mars 2020 au début de la pandémie de Covid-19. Il a notamment dépassé la barre des 200 points de base, soit 2 points de pourcentage.
Le spread italien mesure l’écart entre le rendement actuariel de l’obligation à 10 ans émise par l’État italien et celui de l’obligation à 10 ans de l’État allemand. Cette dernière étant considérée comme un actif « sans risque », l’augmentation du spread indique une augmentation de la prime de risque associée aux obligations publiques italiennes.
Si les spreads restent au sein de la zone euro à des niveaux encore largement inférieurs à ceux enregistrés au cours de la crise des dettes publiques en zone euro au début de la décennie 2010, leur augmentation pourrait, si elle se prolongeait, perturber l’action de la BCE. Elle témoigne d’un risque de fragmentation au sein de la zone euro, où un écart des conditions de financement entre les 19 pays de la zone euro pourrait rendre la politique monétaire menée par la BCE, unique par définition, moins opérante.