Qu’est-ce que le risque de fragmentation ?
La Banque centrale européenne (BCE) a présenté, jeudi 21 juillet, un dispositif destiné à lutter contre le risque de fragmentation au sein de la zone euro. Déjà présente pendant la crise des dettes souveraines, la fragmentation renvoie à la divergence des conditions de financement au sein de la zone euro non expliquée par les fondamentaux de l’économie.
Le risque de fragmentation réapparaît au sein de la zone euro alors que la BCE a entrepris un processus de normalisation de sa politique monétaire.
Celui-ci se traduit, d’une part, par une augmentation des taux d’intérêt directeurs et, d’autre part, par l’arrêt des achats nets de titres menés dans le cadre de programmes d’assouplissement quantitatif.
Destiné à lutter contre l’inflation, ce durcissement de la politique monétaire de la BCE conduit à une dégradation « naturelle » des conditions de financement au sein de la zone euro et à une augmentation des spreads d’obligations souveraines. En particulier, les pays « périphériques » (Italie, Espagne, Grèce notamment) ont vu les taux d’intérêt portant sur leurs obligations progresser plus rapidement que les pays « cœur » de la zone euro, tels que l’Allemagne.
Le spread italien a ainsi fortement augmenté récemment. Il était d’environ 100 points de base (soit 1 point de pourcentage) début 2021 et atteint, actuellement, près de 250 points de base.
Cette situation peut, toutefois, devenir problématique en raison de la « fragilité » de la zone euro.
La « fragilité » de la zone euro
Au sein de la zone euro, 19 pays, bientôt 20 avec l’intégration de la Croatie en 2023, s’endettent dans une monnaie sur laquelle ils n’ont pas de contrôle, contrairement aux pays non-membres d’une union monétaire.
Pour l’économiste Paul de Grauwe, il s’agit à de la principale source de « fragilité » de la zone euro. Dans cette situation, les marchés financiers peuvent, en effet, tenter de forcer le défaut d’un pays membre. Un manque de confiance dans la soutenabilité des finances publiques d’un pays provoque un phénomène de « flight to quality », les investisseurs vendant les obligations de ce pays pour acheter celles d’un autre État aux finances publiques considérées comme plus saines. Ces transactions ont pour effet d’augmenter à nouveau les spreads et d’aggraver la fragmentation… ce qui détériore en retour encore davantage les conditions de financement du pays visé et valide ex post la stratégie des investisseurs. La configuration actuelle de la zone euro expose donc les pays membres à des crises de solvabilité auto-réalisatrices.
La BCE cherche à lutter contre ce risque de fragmentation pour deux raisons principales. Il fait, tout d’abord, courir un risque d’instabilité financière pour les pays membres de la zone euro (cf. encadré). Ensuite, une fragmentation de la zone euro limiterait l’efficacité de la politique monétaire et restreindrait les marges de manœuvre de la BCE dans la poursuite de son mandat principal, à savoir la stabilité des prix.
Le TPI, nouvel outil anti-fragmentation de la BCE
Pour lutter contre ce risque de fragmentation, la BCE a développé un nouvel outil : le Transmission Protection Instrument (TPI). Cet instrument permettra, sous conditions, à la BCE d’acheter des titres financiers, notamment des obligations publiques et privées, émis dans les pays connaissant une détérioration de leurs conditions de financement. Il diffère donc des programmes d’achats de titres, comme le PEPP mis en place pendant la pandémie de Covid-19, car ces derniers concernaient l’ensemble des pays de la zone euro, les achats de titres étant effectués en fonction de la clé de répartition du capital de l’Eurosystème (par exemple, la Banque de France possède 16,6 % du capital de la BCE).
Cet accroissement de liquidités permis par le TPI devrait alors amener à une réduction des taux d’intérêt. En utilisant cet instrument, la BCE stimulera, en effet, la demande pour les obligations, notamment souveraines, du pays concerné, ce qui en fera baisser le prix, toutes choses égales par ailleurs. Le champ d’intervention de la BCE est potentiellement très large, puisqu’aucun montant d’achat limite n’est pour le moment prévu. Dans les faits, toutefois, la BCE espère que ces annonces seront considérées comme suffisamment « crédibles » par les marchés financiers pour ne pas avoir à employer le TPI.
La BCE augmente ses taux d’intérêt directeurs, une première depuis plus de 10 ans !
Outre la présentation du TPI, la BCE a annoncé l’augmentation de ses taux d’intérêt directeurs de 50 points de base, soit 0,5 point de pourcentage. Destinée à lutter contre l’inflation au sein de la zone euro – laquelle était de 8,6 % en juin en rythme annuel –, cette décision constitue une première depuis plus de 10 années : la dernière augmentation des taux d’intérêt directeurs de la BCE avait, en effet, eu lieu en juillet 2011.
Pour pouvoir bénéficier de ce nouvel instrument, les pays de la zone euro devront, toutefois, satisfaire plusieurs critères.
Ils ne devront pas, tout d’abord, faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif (PDE) ou pour déséquilibre excessif (PDM). De plus, ils devront mener des politiques macroéconomiques saines et disposer d’une trajectoire des finances publiques soutenable.
Des voix se sont d’ores et déjà élevées pour critiquer ce nouvel instrument. Pour certains économistes, comme Henri Sterdyniak, de tels critères confèrent à la BCE un pouvoir discrétionnaire relativement important. Les politiques menées par les pays membres de la zone euro seraient alors, en effet, largement soumises à la volonté de la BCE et de la Commission européenne.