Modalités de la transition écologique
Le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz remis lundi 22 mai à la Première ministre, « Les incidences économiques de l’action pour le climat », s’inscrit dans une littérature grandissante visant à cerner les aspects macroéconomiques de l’action climatique. Il rappelle, tout d’abord, la nécessité de la transition écologique à l’échelle planétaire : bien qu’incertaines, la plupart des prévisions disponibles montrent que le coût économique de l’inaction serait bien plus élevé que celui de l’action climatique.
Les auteurs du rapport font preuve d’optimisme : pour eux, il est possible, d’une part, de concilier réduction de l’empreinte carbone et croissance économique et, d’autre part, de faire en sorte que la France atteigne les objectifs climatiques qu’elle s’est fixés. Cela nécessite toutefois une accélération dans la mise en œuvre de mesures et un plus large recours à la politique budgétaire. Comme l’écrivent Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, « il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans ». Trois mécanismes sont considérés comme centraux dans cette transformation :
- La substitution de capital aux énergies fossiles. Il s’agit de l’ensemble des investissements en capital permettant de remplacer les combustibles fossiles. Les auteurs du rapport estiment que 85 % de l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 sera réalisé grâce à ces investissements. Ces derniers devront être de 67 milliards d’euros par an (cf. ci-dessous) ;
- La sobriété, c’est-à-dire la modération de la consommation d’énergie à technologie constante. Elle pourrait contribuer à hauteur d’environ 15 % à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ;
- La réorientation du progrès technique vers des technologies vertes. Les effets de ce dernier mécanisme, particulièrement délicats à évaluer par définition, sont à attendre à plus long terme.
La France s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 47,5 % d’ici 2030 (par rapport à leurs niveaux de 2005) et à atteindre la neutralité carbone en 2050 (règlement du Parlement européen du 19 avril 2023).
Combien va coûter la transition écologique ?
Si la réalisation des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre est considérée comme possible, elle n’en demeure pas moins coûteuse. L’un des apports du rapport Pisani-Ferry / Mahfouz est de fournir une estimation du coût économique et social de la transition écologique. Celui-ci sera élevé.
L’action climatique engendrera, tout d’abord, des dépenses publiques supplémentaires pour l’État. Selon le scénario optimal décrit dans le rapport, ces dépenses – regroupant notamment le coût direct pour l’État de la rénovation de ses bâtiments et infrastructures, les dispositifs de soutien à l’investissement ou encore des mécanismes de transition vers l’économie verte – s’élèvent à 34 milliards d’euros par an. Cela représente environ la moitié de l’investissement annuel nécessaire pour que la France respecte ses engagements en matière de réduction d’émission de gaz à effet de serre d’ici 2030. L’autre moitié sera supportée par des acteurs privés (ménages et entreprises).
La transition écologique s’accompagnera également d’une baisse des recettes fiscales, en raison notamment du moindre recours aux énergies fossiles, sur lesquelles pèse une fiscalité élevée. Le passage aux énergies non fossiles aura un coût pour l’État, sous la forme d’un manque à gagner. Il devrait générer, à lui seul, une augmentation de 13 points de PIB de dette publique d’ici 2050.
La réalisation des objectifs climatiques aura, enfin, d’autres effets, plus difficiles à quantifier, sur le budget de l’État. Celui-ci devrait bénéficier de la taxation du carbone et, une fois les investissements réalisés, de la baisse des coûts d’exploitation. Dans le même temps, toutefois, le ralentissement attendu de la croissance économique pourrait avoir un impact négatif sur les finances publiques.
Comment financer la transition écologique ?
Pour les auteurs de ce rapport, la politique budgétaire devra jouer un rôle central dans la transition écologique. Sans renoncer à la tarification carbone, dont l’expérience politique récente montre qu’elle demeure peu acceptée socialement et politiquement, le rapport Pisani-Ferry / Mahfouz met l’accent sur deux moyens pour financer la transition écologique.
Il préconise tout d’abord le recours à la dette publique. Celle-ci pourrait au total augmenter de 250 à 300 milliards d’euros d’ici 2030 en raison des mesures d’adaptation aux objectifs environnementaux. A l’horizon 2040, le rapport estime que la dette publique aura augmenté de 25 points de PIB par rapport à un scénario sans mise en œuvre de ces mesures. Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz considèrent que cet endettement est légitime : « retarder au nom de la maîtrise de l’endettement public des investissements nécessaires à l’atteinte de la neutralité climatique n’améliorerait que facialement la situation, sans aucun bénéfice sur le fond ».
Quid de l’impact sur l’inflation et la croissance économique ?
Le rapport Pisani-Ferry / Mahfouz souligne que la réalisation de la transition écologique pourrait avoir des effets inflationnistes d’ici à 2030. La volatilité des taux d’inflation, généralement causée par les mouvements des prix de l’énergie, devrait, quant à elle, se réduire avec le passage à des sources d’énergie non carbonées. Quant à la croissance économique, elle pourrait diminuer à court terme, malgré le surplus de demande généré par les investissements, en raison de la baisse de la productivité.
Le rapport propose, enfin, la mise en place d’un prélèvement forfaitaire exceptionnel portant sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés, c’est-à-dire ceux figurant dans le dernier décile de la distribution.
Ce prélèvement répond à un double objectif : rendre la transition écologique plus équitable et participer à son financement. Sur une fenêtre de 30 ans, il pourrait générer près de 150 milliards d’euros de revenus supplémentaires pour l’État.